La ritournelle est toujours la même : êtes- vous « pour » ou « contre » – ici l’AME ? Une fois de plus, il faudrait avoir une opinion : êtes-vous pour, ou contre ? Question que la majorité des soignants ne se posent pas sous cette forme. Alors, face aux graves enjeux politiques du moment, on cherche un compromis et l’on ressort d’un vieux chapeau un non moins vieux remède : transformer le soin d’État en soin d’Urgence, comme s’il suffisait d’une voyelle pour ne pas perdre son âme. Mais qu’est-ce que l’Urgence aujourd’hui ? On sait bien qu’en cas d’accident aigu, un sans-papier ou un ministre vont bénéficier du même soin. Sur le moment. Mais dans l’après immédiateté une fois « dés-urgentés », c’est là que les choses basculent et vont ramener, quoiqu’on fasse, quoiqu’on dise, le plus vulnérables vers « les Urgences » dans un tango sans fin – un pas en avant, deux pas en arrière : surinfections, angoisses, effets somatiques collatéraux, épuisement, besoin d’un lit : autant de situations se situant dans cet infernal no man’s land d’entre le social et le médical (autrement nommé patate chaud) qui étouffent les soignants et les travailleurs sociaux dans leur dignité, à force d’être jour après jour confrontés à leurs échecs : pas de lits, pas de lieux de post soins, pas de place. Avec la suppression de l’AME, les Urgences, une fois de plus, payeraient les pots cassés de cette non pensée, qui ne servirait qu’à faire grossir les flots des sans identités sociales fixes dans la longue file interminable d’attente dans leurs locaux. Est-ce cela que nous voulons ?
On nous parle ici d’appel d’air, ailleurs de détournements de ces dispositifs.
Faudrait-il alors, au nom de ces pauvres procès, priver des êtres humains vivant en France dans des états de santé physique et psychiatrique hautement dégradés ? Nombre d’entre eux ont des enfants à l’école française obligatoire : priver de soins leurs parents, est-ce vraiment une bonne idée ?
Cette binarité qui se veut transparente et claire dans la manière de poser les questions et, pire, d’y répondre – Êtes-vous pour ? Etes- vous contre ? – cache un autre problème, bien plus préoccupant : l’état de santé du système de Santé Public et ses capacités à recevoir encore et encore plus de patients, dans des institutions archi saturées : supprimer l’AME et tous les dispositifs qui en font l’ossature, qui de fait soulagent par leur existence même le système de soin public, serait une faute grave, obligerait ces dispositifs à devoir contourner les nouvelles modalités de passage du E au U pour maintenir les soins, dans une triste contorsion aussi énergivore qu’inefficace et délétère. Que l’on ne s’étonne plus si tant de démissions se déploient jour après jour, dans le secteur médical et le social publics : si on enlève l’empathie du soin et de l’accueil, que reste-t-il ?
Les médecins, les personnels soignants, les travailleurs sociaux qui travaillent auprès des plus précaires d’entre nous en milieu hospitalier et au sein de la Cité sont révulsés à l’idée que notre représentation politique, et non des moindres, ait pu envisager ce coup déloyal porté à la Santé, à l’Ethique médicale et à la Raison. •
Xavier Emmanuelli, président du Samu Social International.
Sylvie Quesemand Zucca, psychiatre psychanalyste.
L’appel à signatures reste ouvert, pour manifester votre engagement. Il est limité aux personnels soignants, du fait de son contenu (serment d’Hippocrate), merci pour votre compréhension.