Ce 29 novembre 2023, nous étions à Bruxelles pour accompagner l’intervention très étayée du collectif Tavignanu Vivu devant la Commission des pétitions du Parlement européen. C’est une commission très importante qui permet à chaque citoyen ou groupe de citoyen de se faire entendre et d’obtenir des réponses des instances européennes.
Parallèlement à l’énorme travail qu’il réalise depuis 7 ans devant la Justice pour rejeter le projet de centre d’enfouissement de déchets ménagers et de déchets amiantifères sur un méandre du fleuve, le collectif Tavignanu Vivu porte aujourd’hui son combat devant les institutions européennes. Une pétition a été déposée en urgence grâce à l’intervention du groupe Verts-ALE et de l’eurodéputée Marie Toussaint. François Alfonsi était bien sûr présent pour accompagner la demande du Collectif. L’enjeu était de pouvoir conserver « ouverte » la pétition, c’est-à-dire de pouvoir interpeller la Commission européenne (représentant les États). Ce projet en effet contrevient à de très nombreuses Directives et engagements européens. La commission PETI a donné raison au collectif et la Commission européenne devra s’exprimer sur ces violations. Elle va d’ores et déjà interpeller le gouvernement français sur le sujet. À suivre !
« La pétition que nous vous soumettons vise à alerter le Parlement sur les graves dangers que fait peser un projet de centre d’enfouissement de déchets en Corse et sur les manquements de l’État français concernant l’autorisation de ce projet relativement aux directives communautaires sur les déchets, l’eau, la biodiversité et la gouvernance » a expliqué à l’appui de nombreux slides et documents, l’ingénieur Marie-Dominique Loye au nom du collectif Tavignanu Vivu qui alerte sur « la violation du droit primaire et secondaire de l’Union européenne. L’incomplétude du dossier et le caractère incompatible de ce projet avec la préservation de l’environnement et la santé des populations de la région aurait dû conduire l’État à s’opposer au projet ».
Une dizaine de directives ou traités européens ne sont pas respectés selon le collectif :
– Directive 1999/31/CE du Conseil du 26 avril 1999 concernant la mise en décharge de déchets, modifiée par la Directive UE 2018/850 du 30 mai 2018, qui régissent et limitent les conditions d’autorisation de décharges.
– Directive-cadre 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets.
– Directive-cadre 2000/60/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 octobre 2000 sur l’eau, et la Directive 98/83/CE sur l’eau potable.
– Directive 92/43/CE du Conseil du 21 mai 1992 concernant la Conservation des habitats naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages (dite Directive Habitat) et Directive 2009/147/CE du Conseil du 30 novembre 2009 concernant la conservation des oiseaux sauvages, dite Directive Oiseaux.
– Directive 2009/92/UE du Parlement européen et du Conseil du 13 décembre 2011 concernant l’évaluation des incidences de certains projets sur l’environnement, notamment l’absence de recherche de solutions alternatives, les insuffisances en matière d’information et de consultation du public, l’absence de demande de dérogations espèces protégées.
– Objectifs de la Politique agricole commune (PAC) et recommandations de la Communauté européenne en la matière.
Le projet contrevient aussi à l’article 191 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE) et de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui visent à « la préservation, la protection et l’amélioration de la qualité de l’environnement ; la protection de la santé des personnes », et rappelle notamment « les principes de précaution et d’action préventive, le principe de la correction par priorité à la source, des atteintes à l’environnement et sur le principe du pollueur-payeur » (TFUE).
La directive Habitat de 1992 est une Directive très importante de l’Union européenne. Le projet est situé « en zone naturelle, riche en biodiversité ; la vallée du Tavignanu est un corridor écologique » rappelle Marie-Dominique Loye. Parmi les espèces protégées figure la tortue d’Herman « espèce menacée prioritaire au niveau européen ».
« La directive Oiseaux est également violée car l’emprise du site abrite plusieurs espèces qui figurent à l’annexe I de la directive », grief également soulevé par le Conseil national de la protection de la nature (CNPN), instance scientifique consultative du gouvernement français qui a émis un avis défavorable au projet.
« Cette richesse biologique a été reconnue au niveau communautaire par la création d’un site Natura 2000. Le projet empiète partiellement sur la zone Natura 2000 ; mais celle-ci est surtout menacée par la pollution inévitable des eaux ».
« En niant l’impact important sur la biodiversité, le porteur a délibérément menti » souligne encore Marie-Dominique Loye. « La population n’a pas été correctement informée lors de l’enquête publique et n’a donc pas pu se prononcer de façon éclairée. »
De même l’expertise réalisée par l’État n’a pas été communiquée au public, pas plus que les études complémentaires réalisées par le Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM) « qui montraient la nature totalement inadaptée des terrains ».
Le collectif demande une expertise indépendante et « exige de l’État français les actions nécessaires qui sont encore à sa disposition pour empêcher la réalisation du projet et garantir la préservation de la ressource en eau, de la santé des populations et de l’environnement de la Corse, en se conformant à la politique de l’Union européenne ».
La pétition soulève aussi le caractère patrimonial exceptionnel du Tavignanu et la mobilisation en faveur des droits du fleuve, ainsi que la délibération de l’Assemblée de Corse et le soutien de nombreuses communes.
« L’autorisation d’exploiter a été délivrée et validée par le Conseil d’Etat et le commencement des travaux est imminent » s’inquiète le collectif Tavignanu Vivu qui a souligné l’urgence de la situation auprès des membres de la commission PETI.
Durant le débat, tous les membres ayant pris la parole (notamment PPE, S&D, Verts-ALE, non-inscrits) ont fait part de leur surprise et de leur inquiétude face un tel projet et la persistance de mise en décharge. Tous ont demandé à ce que la pétition reste « ouverte » et que la Commission européenne se saisisse de ces violations des lois européennes.
La Commission européenne a reconnu que le projet contrevenait aux directives sur les déchets, notamment celle spécifique à l’enfouissement alors qu’il existe différents dispositifs pour garantir l’évitement de contamination des eaux, des sols, le risque de fuites, et des mesures obligatoires à prendre pour en minimiser les conséquences. Elle estime que les autorités nationales sont le mieux placées pour examiner ces critères, d’autant qu’un recours est toujours pendant devant les tribunaux nationaux. Cependant, sans attendre plus avant l’instruction, la Commission PETI a demandé à la Commission européenne d’interpeller l’État français sur ces infractions potentielles et donc de faire droit à la demande du collectif Tavignanu Vivu.
La Commission européenne est tenue maintenant de suivre la demande de la Commission PETI. L’État français sera donc interpellé et devra répondre aux interrogations sur le risque de violation des Directives européennes.
À suivre. •