Originaire d’Èvisa, Minicale est l’un des fondateurs, avec Jean-Paul Poletti et Petru Guelfucci, de Canta u Populu Corsu et l’un des principaux acteurs du riaquistu. Musicien, danseur et ardant défenseur de la langue corse, il est le fondateur de Tutti in piazza ! qui promeut les danses populaires de l’île. Ami de Natale Luciani, Minicale nous brosse un portrait du militant culturel, de ses débuts au sein de Canta u Populu Corsu à la fondation de la Scola di Cantu à Aiacciu.
Vous rencontrez Natale Luciani peu après la fondation de Canta u Populu Corsu. Comment s’est passé la formation du groupe ?
La fondation du groupe s’est faite le 17 juillet 1973. J’ai rencontré Petru Guelfucci, que je ne connaissais pas. On avait passé une journée mémorable avec Petru, Jean-Paul, etc. et on s’était retrouvé sur des bases communes, à la fois la passion que l’on avait pour les chants, comme la paghjella, le violon et les choses relatives au répertoire identitaire traditionnel. Suite à cette journée, on a décidé qu’on avait une « croisade » à faire en Corse pour lui rendre son identité. Durant l’année 1975, Natale rentre dans le groupe. Je me rappelle de lui qui chantait des chants révolutionnaires avec sa guitare. Il me paraissait quelqu’un d’assez ouvert, on a très vite sympathisé. On avait les mêmes idées et on considérait qu’on était peu nombreux à défendre notre identité donc quand on partageait ces idées on avait tendance à se serrer les coudes. Maintenant ça parait banal mais à l’époque ce n’était pas rien, c’était rare, et ça occasionnait beaucoup de discussions. Le groupe s’est donc constitué autour de cette idée, l’idée nationale corse et la volonté de défendre l’identité nationale de la Corse aussi bien sur le plan philosophique, que sur le champ de la langue, de la musique ou de la danse.
Canta u Populu Corsu, reste aujourd’hui une véritable référence dans l’histoire de la musique insulaire, quel a été l’apport de Natale au niveau des thématiques abordées ou encore de la musicalité des morceaux ?
Pendant longtemps, le groupe a essentiellement chanté des chansons de Jean-Paul Poletti car il composait depuis un moment. Natale n’a pas composé pendant longtemps, il était ouvert à beaucoup de choses là où les autres étaient fermé comme le fait que la tradition peut évoluer et que l’on peut intégrer de nouveaux instruments comme l’ont fait les Irlandais avec le banjo. Il a commencé à composer après car il estimait que le groupe ne répondait pas assez aux thématiques qu’il voulait aborder comme « l’armée secrète » par exemple. Il composait aussi beaucoup de chansons avec des messages pour la jeunesse, parce qu’il était très sensibilisé à ça. Il n’a pas composé parce qu’il était compositeur, il estimait qu’il ne l’était pas, mais parce qu’il y avait une carence. Ça aussi ça répond complétement à sa démarche de militant et il l’a fait brillamment. Les thématiques qu’il abordait particulièrement c’était surtout la jeunesse et la transmission, des thématiques portant aussi sur les sentiments sincères comme la sincérité en amitié par exemple.
Natale Luciani est un peu le symbole du militant idéaliste et sincère, comment peut-on décrire son idéal ? Comment cela apparait dans ses morceaux ?
Cela repose sur des mots comme « générosité » dans la mesure où il avait opéré une prise de conscience d’un problème et il voulait donner la solution. Il pensait « mon peuple est malade et il faut que je contribue à le sortir de là ». Pour avoir ces idées il faut une grande forme de sincérité et il faut être solide aussi parce qu’il faut tenir le coup dans des tempêtes. Natale était très solide et déterminé. Il ne lâchait rien et il était très engagé. Il n’était pas intéressé, il ne regardait jamais ce qu’il pourrait gagner. Il s’était complétement donné à sa cause, c’était même un excès de générosité.
Natale Luciani disait que Canta était « au service du peuple corse et ne sera jamais soumis à aucun parti politique ». Il décrivait les partis politiques comme restreints alors que le militantisme culturel était voué à être « au-dessus de la mêlée » par sa liberté de discours. Est-ce que le militantisme culturel d’aujourd’hui remplit encore ce rôle ?
Je partage son point de vue. Canta est au service du peuple corse et non au service des partis politiques. C’est une dynamique qui se fait entre le groupe et les gens, c’était une énergie qui s’alimentait avec les gens, qui nous reconnaissaient comme étant eux-mêmes. Je me souviens d’une soirée au Paris à Bastia, c’était salle comble. On chantait et les gens montaient sur scène, il y avait un continuum de va et vient entre la scène et la salle de gens qui chantaient, c’est ça Canta u Populu Corsu. La politique peut être pourrie par l’affairisme et le carriérisme et ce n’est pas avec ça qu’on mène des combats d’idéologie. Les partis politiques ne remplissent pas leur rôle à ce niveau-là. Il faut que des gens qui sont des penseurs et qui étudient la société pour son bien-être soient sur les plus hautes branches de la réflexion. Les partis politiques sont en bas, ils s’occupent du pragmatique et de leurs intérêts. Il faudrait que l’on ait une influence sur un courant de pensée dans la société mais ce n’est pas le cas. Aujourd’hui il y a des gens influents dans le milieu culturel mais on ne les entend pas.
La jeunesse avait une place importante dans le militantisme de Natale Luciani. Au début des années 1990 il fonde la Scola di Cantu à Aiacciu pour former des jeunes chanteurs et musiciens. Quelles sont les valeurs et les idées qu’il voulait transmettre à la jeunesse ?
Même si l’on n’en avait pas parlé personnellement, je pourrai dire sans problème qu’il a fait une école pour diffuser des idées basées sur la réappropriation de leur identité. L’esprit de l’école c’est qu’on apprend à chanter mais on apprend aussi à penser. Ce n’était pas un enrôlement, mais apprendre à être libre dans sa pensée. Natale pensait qu’il fallait élever les enfants d’une autre façon, hors des idées jacobines. Le danger c’était, est-ce que le militantisme n’aboutit pas à une rigidité de l’esprit, à un « enfermisme ». On lui reprochait beaucoup de vouloir faire des jeunes des militants spartiates et aux ordres, et il s’en défendait en disant qu’il voulait au contraire faire des jeunes des gens libres. Cette idée de liberté de la jeunesse était fondamentale. Il voulait proposer à la jeunesse un militantisme d’émancipation.
Propos recueillis par
Pauline Boutet-Santelli.