Un immense espoir s’est levé pour les innombrables victimes d’inceste et de violences sexuelles dans l’enfance avec la parution du rapport de la Ciivise, puis, en l’espace d’un mois, il s’est effondré avec le démantèlement incompréhensible de la présidence de la commission par le gouvernement. S’il fallait un exemple du reniement de la parole donnée d’Emmanuel Macron, c’est bien celui-là. Quelle déception ! Quel scandale !
La mise en place de la Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants a été annoncée le 23 janvier 2021 par le Président de la République avec pour mission de recueillir la parole des victimes et de formuler des propositions pour lutter contre ce fléau. Car il s’agit bien d’un fléau : 160.000 victimes annuelles recensées (et combien non répertoriées ?), 5,4 millions d’adultes victimes dans l’enfance, 9,7 milliards d’euros de dépenses publiques du fait des graves conséquences sur la santé des victimes (suicide, addictions, troubles psychiques…), le rapport de la Ciivise rendu sous la co-présidence du juge Edouard Durand et de Nathalie Mathieu, directrice de l’association Docteurs Bru, a été un évènement. Après trois ans de travaux, quelques 30.000 témoignages, l’implication de tous les acteurs de la protection de l’enfance, une tournée dans toutes les régions (y compris en Corse), le rapport de 600 pages et ses 82 préconisations a été remis officiellement le 17 novembre dernier à Charlotte Caubel, Secrétaire d’Etat chargée de l’enfance.
Trop vrai ? Trop juste ? Trop à l’écoute des victimes ? Le juge Durand a été remercié le 11 décembre, précédé de peu du départ de Nathalie Mathieu. La Ciivise est revue sous une forme nouvelle, confiée à l’ex-rugbyman Sébastien Boueilh, fondateur de Colosse au pieds d’argile, et l’experte judiciaire Caroline Rey-Salmon. Leurs prises de position ont été très nettes dans la différence d’approche. « Au-delà de mon départ, il y a un changement de doctrine que je trouve très inquiétant » a commenté le juge Durand qui prône le « je te crois, je te protège » d’ores et déjà remis en cause par la nouvelle présidence.
En protestation de cette éviction qu’ils ont appris par la presse, ne voulant pas être utilisés dans cette « mascarade », onze membres de la Ciivise ont démissionné le 14 décembre. Arnaud Gallais, militant de la lutte contre les violences faites sur les mineurs, explique que le 10 novembre, un mail collectif des membres de la commission a été envoyé à Charlotte Caubel, « demandant le maintien de la Ciivise avec Edouard Durand. Elle n’a jamais daigné répondre, comme elle n’a jamais daigné répondre ni à Edouard Durand, ni à Nathalie Mathieu ». Il dénonce une manœuvre « à contre-courant » du travail mené par la commission. « On a l’impression que l’on cherche à mettre un couvercle sur la libération de la parole que la Ciivise a entraînée » dénonce Laurent Boyet, président fondateur des Papillons, association de lutte contre les maltraitances de l’enfance. « Nous craignons que cela marque un affaiblissement de la lutte contre l’inceste, qui n’est plus au cœur de la feuille de route de la Ciivise » déplore pour sa part Muriel Salmona, psychiatre et présidente de l’association Mémoire traumatique et victimologie.
Que deviennent les 82 préconisations ? Parmi celles-ci, l’imprescriptibilité des viols et agressions sexuelles contre les enfants, une ordonnance de mise en sécurité immédiate dans le cas d’inceste suspecté, l’obligation (et la protection juridique) pour les médecins de signaler des faits de violences sur enfant, l’organisation du repérage parmi les professionnels pour lutter contre l’invisibilité des agressions sexuelles contre les enfants, avec notamment un rendez-vous annuel de dépistage et de prévention, ou encore la reconnaissance des mères qui protègent leur enfant contre leur agresseur. Quid de tout ça ?
La confiance des victimes qu’avait su mettre en place la Ciivise et son président est brisée. Inquiétant, très inquiétant. •