« Le droit de l’environnement contribue à enrichir le droit public économique et le droit de l’aménagement du territoire », comme l’avait si justement souligné Raphaël Romi en 1992. Nous ajoutons à l’assertion qu’il contribue également à enrichir le droit des sociétés, en particulier les SCI (Sociétés civiles immobilières).
Après la découverte de cadavres de tortues Hermann par les agents de l’Office français de la biodiversité (OFB), le 24 janvier 2022, le tribunal correctionnel d’Aiacciu condamnait Patrick Rocca à 150 000 euros d’amende et 6 mois d’emprisonnement pour mutilation et destruction non autorisée d’une espèce animale protégée et pour l’altération et la destruction de son habitat. Fortimmo, la société de Patrick Rocca, était condamnée à 500 000 euros d’amende, 500 000 euros de dommages-intérêts à l’État et 30 000 euros à l’association U Levante. La tortue Hermann est une espèce protégée par le droit international, par le droit de l’Union européenne et par le droit français. Or, un arrêté préfectoral du 29 janvier dernier vient autoriser la reprise des travaux par la société Fortimmo, représentée par son gérant, Patrick Rocca.
Le code de l’Environnement permet d’accorder une dérogation à la protection des espèces. L’arrêté en cause est donc pris sur un fondement légal. En effet, lorsqu’un projet implique une atteinte notable aux espèces protégées et à leurs habitats, à titre dérogatoire, il peut être autorisé seulement si trois conditions sont réunies : l’absence de solution alternative satisfaisante, l’adoption de mesures d’atténuation et de compensation permettant d’assurer le maintien, dans un état de conservation favorable, des populations des espèces et l’existence de « raisons impératives d’intérêt public majeur ».
Il faut bien avouer que la formule relève presque de l’incantation ! Que sont ces « raisons impératives d’intérêt public majeur » qui justifierait la construction de 162 logements sur la commune de Grussetu Prugna ? Il n’y a pas de réponse tranchée, précisément parce qu’il n’y a pas de définition de la notion, ni de consensus entre les juges. Tout au plus relève-t-on des critères qui reviennent souvent dans les décisions des juges administratifs : « cas exceptionnel dont la réalisation se révèlerait indispensable », l’importance du projet urbain, la « mise en balance de l’intérêt public du projet avec l’objectif de conservation des habitats naturels, de la faune et de la flore sauvage ».
Le tribunal administratif de Bastia ne semble pas retenir le caractère urbain du projet pour valider une dérogation à la protection d’espèces (voir pour une affaire précédente en Corse : TA Bastia 7 novembre 2019, n°1800042). Par ailleurs, il est regrettable de constater que la décision de l’autorité administrative intervient alors que Patrick Rocca avait interjeté appel de sa condamnation de 2022 par le tribunal correctionnel d’Aiacciu. La dérogation accordée par la préfecture intervient donc alors que les juges d’appel doivent se prononcer prochainement. Ce calendrier malheureux doit nous interroger sur une intervention de l’État dans une affaire qui n’est donc pas définitivement jugée. •