Sguardu di giuventù

Anne-Laure Marietti : « Arritti, c’est un merveilleux outil de transmission »

Anne-Laure Marietti vene à cumplettà a nova squadra d’Arritti chè no vi prisentemu dapoi qualchi settimana. Ghjurista di furmazione, porghje un sguardu interessante nant’à a Corsica da custruisce, l’arnese di u Padduc, l’impurtanza di u drittu in u sviluppu, è ciò ch’ellu raprisenta Arritti per sta nova generazione di reddattori.

 

 

Présente-toi à nos lecteurs…

J’ai 28 ans. J’ai fait une licence de droit et un Master 1 en droit pénal à l’Université Paris-Nanterre. Ensuite je suis revenue en Corse pour faire un Master 1 et 2 en droit public, droit des collectivités territoriales. J’ai fait mon mémoire de recherche sur L’effectivité de la loi Littoral en Corse, du droit de l’urbanisme littoral au droit répressif sur le littoral. Je suis maintenant doctorante en droit public sur un sujet portant sur La responsabilité des collectivités territoriales dans la protection du littoral, tel que formulé pour l’instant.

 

Tu as grandi en Corse ?

Non, petite j’étais à Paris, j’y suis née. On est rentré en Corse, j’ai fait mon CM2 aux Salines à Aiacciu, aux Jardins de l’Empereur, et mon collège au Laetitia. Je suis partie durant deux ans sur le Continent où j’ai fait ma Seconde et ma Première en internat dans un lycée à Rueil-Malmaison près de Paris. Puis j’ai fait une année de césure, parce que j’avais un an d’avance et que j’ai voulu partir loin. J’ai été en Argentine une année pour apprendre l’espagnol, étant forte en langues étrangères, anglais et allemand, un peu l’italien aussi.

C’était incroyable. J’avais 15 ans. J’étais en famille d’accueil, j’allais au lycée là-bas aussi. J’ai vécu une expérience immersive totale. En un mois, je maîtrisais la langue.

 

Et en dehors des études, que fais tu ?

Comme doctorante, on a un statut hybride. C’est-à-dire en cursus Licence-Master-Doctorat, et en même temps, personnel de l’université, chargé d’enseignement. Cette année, je suis chargée d’enseignement en Droit administratif.

La vocation première de ma thèse, c’est d’obtenir une qualification de Maître de conférence. C’est très dur dans les sections juridiques, seulement 20 % des doctorants en Droit public sont qualifiés par an. Mais c’est mon premier projet, une carrière universitaire. Après, je ne peux pas renier mon passé, j’ai travaillé en cabinet d’avocats, en droit pénal, je ne prenais pas de vacances l’été pour cela. Je ne peux donc pas exclure un jour de m’inscrire au Barreau pour pouvoir exercer. J’ai eu la chance de toujours avoir une liberté de choix.

 

En suivant tes études ailleurs, la Corse ne t’a pas manqué ?

L’Université de Corse étant située à Corti, pour moi, y rester, c’était rester chez moi avec toute la famille. J’avais besoin d’ailleurs. J’ai toujours eu besoin de partir, voir des choses, rencontrer des gens. Je n’avais pas envie d’être sous « contrôle social » du fait que tout le monde se connaît. J’ai besoin de me sentir libre. Les études étant une priorité, je suis très contente d’être partie. J’ai vécu des années merveilleuses à l’Université de Nanterre. J’ai deux amours, l’Université de Nanterre et l’Université de Corse ! J’ai beaucoup appris à Nanterre, j’ai fait quatre années d’éloquence, j’ai gardé de très bons amis, c’était très puissant. Je ne regrette absolument rien. J’ai eu besoin de partir, et c’est pour ça que j’ai eu besoin de rentrer en 2021. D’ailleurs mon choix de mémoire est révélateur. Je voulais faire de la loi Littoral, et je voulais le faire en Corse.

 

Est-ce que tu as suivi l’élaboration du Padduc, que penses-tu de ce document cadre important et pourtant décrié ?

Ça me rappelle l’adoption de la loi Littoral. Une loi de consensus, ne l’oublions pas, pas juste de protection, mais de protection, d’aménagement et de mise en valeur du littoral. Je sais qu’il y a eu des luttes importantes, j’imagine ce qu’ont dû être les clivages. Ce débat est vieux comme le monde. Il y a une anecdote que j’ai citée dans mon mémoire et puisé dans les comptes-rendus de l’Assemblée nationale au moment des débats, en décembre 1987. Émile Zuccarelli, méfiant, déclare en pleine séance qu’il ne faut surtout pas que la bande des 100 mètres soit appliquée en Corse. Il ne voulait pas de ce premier niveau de protection du littoral parce que disait-il, il ne faudrait pas que la Corse devienne une réserve peuplée d’autochtones. Résultat la bande des 100 mètres a bien été intégrée et est-ce qu’on est aujourd’hui une réserve peuplée d’autochtones ? Je ne le crois pas. Le Padduc c’est pareil, j’imagine que certains ont dit la même chose à l’époque, le Padduc a été adopté, je ne crois pas que l’on soit dans une réserve et qu’il ait empêché le développement.

 

On focalise sur l’aspect protecteur, mais il comprend plusieurs documents structurants de développement économique, de mise en valeur de la mer, de schéma routier, etc. C’est le premier document qui consacre la prise de responsabilité des Corses, à l’heure où l’on parle d’autonomie…

C’est un peu l’équivalent sur le Continent, mais propre à la Corse, du Sradett, Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires. On est à l’heure du bilan, ça va faire bientôt dix ans. Et ce qu’il faut dire c’est que le Tribunal Administratif de Bastia s’en est largement saisi. Les juges administratifs ont une excellente formation, ils font beaucoup référence au Padduc de façon très intelligente dans leurs décisions. C’est donc du droit, on s’en sert, et en environnement et en urbanisme il est nécessaire. Je regrette même certaines permissions, j’aurais fait un document plus restrictif. Vu les lois adoptées depuis, il ne peut être que plus restrictif. On ne peut pas se permettre de tergiverser, savoir qui est content, qui n’est pas content. Il y a des urgences. Le littoral, les espèces, notamment les espèces invasives, il y a tant de thématiques dont la Corse doit s’emparer ! Le Padduc ne peut être que plus restrictif dans l’avenir. S’il ne l’est pas, il y aura problème.

Encore une anecdote, dans une décision de 2019 de la Cour administrative d’appel de Marseille qui concernait la commune d’Albitreccia, la commune est allée jusqu’à essayer de contester la mention « peuple corse » dans le Padduc, c’est pour le moins audacieux… Évidemment, la Cour balaie l’argument, dans le Padduc la mention « peuple corse » a été validée par le juge administratif parce qu’elle est dénuée de portée normative.

Le Padduc n’est pas un remède miracle, mais il le faut. Et ce qui freine les illégalités, la seule chose qui peut rendre une norme effective, c’est la sanction. Au niveau administratif, pénal, civil, sans le juge, il n’y a pas d’application véritable.

 

Tu penses que les institutions devraient forcer son application ? C’est notamment la demande des associations de défense de l’environnement…

J’admets que c’est compliqué. Le contrôle de légalité appartient à l’État. Il en ferait plus qu’avant d’après mes échos, je pense que c’est vrai, ce qui est sûr c’est qu’il y a de plus en plus de contentieux. Est-ce qu’il faudrait déférer ou discuter davantage avec les élus locaux ? Je ne sais pas. Mais ce qui est clair, c’est qu’il n’y a que la sanction qui fonctionne et qui dissuade vraiment. Et il faut que l’amende soit financièrement lourde. Sinon, ce n’est pas moi qui ai inventé cette expression, mais on achète l’illégalité ! Les associations ont raison. Le président du TA de Bastia le rappelait récemment, juridiquement elles montent des dossiers très solides. Elles connaissent le droit et savent s’en servir. Elles ne peuvent pas être partout, ça n’est humainement pas possible et c’est dommage.

 

Demander l’application de la loi aujourd’hui c’est un travail d’experts ?

Oui je pense qu’on a besoin de technicité. La volonté, les grands principes, les valeurs, ne suffisent pas toujours. On le voit dans les grands partis, il y a des problèmes de compétences. Je constate avec tristesse que les gens qui font de la politique se désintéressent de tels sujets et ne les comprennent pas. C’est très regrettable. C’est d’ailleurs difficile de continuer à se battre pour la chose publique quand on s’aperçoit que dès que c’est un peu technique, plus personne n’a envie de travailler.

 

Parle nous de ton implication au sein de l’Assemblea di a giuventù…

Même si je suivais la politique, surtout à l’international, je ne me voyais pas m’y impliquer. La priorité était à mes études. On m’a proposé de candidater, j’ai dit non d’abord. Et puis je me suis dit pourquoi pas avec la volonté de porter deux sujets, l’urba et l’environnement. Au bout de deux ans, mon expérience est mitigée. Je m’attendais naïvement peut-être, à des débats d’un niveau supérieur. Je trouve qu’il y a un manque d’engagement, de recherche de vraie justice. Je pense que nos pères fondateurs quand ils étaient jeunes étaient beaucoup plus dans une démarche d’action et de penser les choses. Penser. C’est ce qui manque.

Aujourd’hui, je fais une thèse en droit public. Et la recherche, l’université, doivent être neutres. Cela exige une grande rigueur. Surtout que je travaille sur un sujet sensible : la juridictionnalisation du littoral. Le littoral est déjà un espace susceptible d’être politisé, et je suis chargée d’enseignement, j’ai des étudiants, j’ai besoin de neutralité.

 

Que penses-tu du processus d’autonomie ?

On est dans une période charnière de l’histoire de la Corse. C’est difficile, mais quand même ça se passe ! Ce qui n’était pas évident. Ça ne peut qu’apaiser les relations Corse-France et c’est tant mieux. Ces relations sont compliquées, il y a des méfiances, des défiances, cette autonomisation peut participer à apaiser les choses, à faire comprendre à l’un et à l’autre que ce n’est pas une déclaration de guerre, mais un outil pour dépassionner ces relations.

 

Du coup, qu’est-ce qui t’amène à Arritti ?

Je suis très axée je l’ai dit sur le droit de l’environnement et de l’urbanisme, je pense que ce sont deux sujets majeurs en Corse. Majeurs dans un contexte global, national français puisque la situation est catastrophique, on l’a vu encore récemment avec le clivage qui n’a pas lieu d’être entre agriculture et environnement, personne n’en sortira grandi. Dans un contexte international aussi, où tout est inquiétant. Et dans un contexte corse, ce sont deux sujets qui m’intéressent, même si je ne fais pas ma thèse sur la Corse. Le droit de l’environnement s’appuie beaucoup sur de la science dure et d’autres disciplines. C’est très technique mais très intéressant. Et il se trouve que de ces deux matières, la personne qui représentait le plus ce en quoi je croyais et pour lequel j’ai choisi de militer, c’était François Alfonsi. Je l’ai cité avant d’être impliquée dans Arritti, à l’Assemblea di a Giuventù. Et j’ai eu l’occasion depuis de citer certains de ses travaux en les contextualisant. J’étais en phase avec cette pensée. Après c’est sûr quand on rencontre les gens, on crée des liens, il se trouve que les jeunes d’Arritti sont tous amis, même si on est arrivé par des chemins différents. On est ravi de partager cette implication.

 

Ce journal, comment tu le vois aujourd’hui, bien qu’il soit ancré dans l’histoire, tu penses qu’il peut encore se projeter ?

J’étais à la Cunsulta Generale de Femu qui a eu lieu en janvier, et ce moment magnifique qui était l’hommage à Max Simeoni. C’était très beau, le film, le discours de la présidente de l’Assemblée de Corse très émouvant, et pour Arritti, je me dis tout simplement qu’on n’a pas le droit de laisser tomber ce journal. Parce qu’il y a un héritage qui est immense, on parle de gens qui ont milité toute leur vie et sont arrivés à soulever des montagnes à l’époque. Nous on est la génération Autunumìa, mais les bases elles sont posées, et ce sont eux qui les ont posées. C’est considérable. La force, la puissance intellectuelle qu’il a fallu, dans son acception la plus vaste, technique, d’intelligence sociale, de connaissances, la puissance oratrice bien sûr. C’est très fort ce qu’ils ont fait et en cela je pense qu’il faut s’en servir, il faut qu’il y ait une transmission entre les gens qui ont bien connu cette époque où l’on n’était pas né et nous aujourd’hui. Et Arritti c’est un merveilleux outil de transmission ! Il y a un héritage, il faut le faire vivre. •