Le conseil exécutif de Corse et l’ensemble de la majorité territoriale ont, avant le premier tour, demandé à tous les candidats à l’élection présidentielle s’ils étaient prêts à tirer les conséquences politiques de la nouvelle donne créée par la victoire des nationalistes aux élections territoriales de décembre 2015, et à ouvrir un dialogue permettant de créer les conditions d’une solution politique globale à la question corse. Aucun de ceux pouvant prétendre accéder à la fonction présidentielle n’a souhaité s’engager en ce sens. Aucun d’entre eux n’a non plus apporté de réponses fortes à des attentes et revendications majeures : statut de résident, coofficialité de la langue corse, traitement de la question des prisonniers politiques, inscription de la Corse dans la Constitution, statut fiscal, développement économique et social, statut d’autonomie. Nous avons pris acte de cette fin de non-recevoir, et avons considéré que nous ne pouvions pas, dans ces conditions, nous engager collectivement en faveur de quelque candidat que ce soit. Je me suis moi-même abstenu au premier tour, eu égard à ce refus d’ouvrir une perspective politique permettant d’engager les relations entre la Corse et l’État dans une ère nouvelle. Le résultat issu des urnes au soir du premier tour de scrutin crée une situation politique radicalement nouvelle. M. Emmanuel Macron, que nous n’avons pas soutenu au premier tour, et Madame Marine Le Pen, dont les choix sont aux antipodes des nôtres, sont qualifiés pour le deuxième tour. Surtout, celle-ci a réalisé en Corse un score considérable, arrivant largement en tête de tous les candidats, avec 27,88 % des suffrages exprimés, et l’emportant dans une commune insulaire sur trois, dont les deux plus grandes villes Aiacciu et Bastia. Il convient de respecter l’expression du suffrage universel, sans traiter ce vote par le mépris, mais sans sous-estimer non plus la gravité de ce qu’il repré- sente. Notre première responsabilité est de nous adresser aux électrices et aux électeurs qui, bien que ne partageant pas l’idéologie du Front National, ont voté en sa faveur pour manifester leur malaise, leur colère, ou leur inquiétude, notamment face aux menaces de l’islamisme radical ou à la montée du communautarisme. Il faut nous employer à les convaincre qu’ils ont fait le mauvais choix, et traiter les problèmes politiques, économiques, sociaux, culturels, socié- taux, qui sont le terreau sur lequel prospère l’idéologie de l’extrême-droite. C’est une démarche de fond, qui s’inscrit sur la durée, et que nous avons initiée dans bien des domaines depuis notre accès aux responsabilités en décembre 2015. Reste l’urgence : à la veille du second tour, le Front National et Madame Le Pen sont à l’évidence en situation de l’emporter en Corse. Face à cette situation inédite, deux possibilités s’offrent aux nationalistes corses. Soit s’abstenir ou voter blanc, en considérant par exemple que l’élection présidentielle ne concerne pas directement la Corse, ou encore que M. Macron n’a pris aucune position par rapport à la situation insulaire qui justifie un vote en sa faveur. Je respecte la décision de celles et ceux qui opteront en ce sens : elle a sa part de légitimité et de logique. Mais ce n’est pas, à mon avis, le choix qu’il convient de faire, eu égard aux enjeux du deuxième tour, particulièrement dans l’île. Nous sommes, depuis décembre 2015, les responsables élus de la Corse. Ces fonctions confè- rent bien sûr à nos paroles, et à nos actes, un poids particulier, en Corse, comme à l’extérieur de l’île. Nous ne pouvons pas assister en spectateurs à la possible victoire dans notre île d’une idéologie totalement antagoniste avec nos options fondamentales, comme avec l’ensemble du combat mené depuis un demi-siècle par le peuple corse pour son émancipation. J’estime donc qu’il est de mon devoir de Président du Conseil exécutif de Corse d’appeler les Corses à dire, par leur vote, « Non » à Madame Le Pen. La décision de voter, lors du deuxième tour de scrutin, en faveur d’Emmanuel Macron n’est en aucun cas une caution ou un chèque en blanc à son égard. Elle est le moyen le plus sûr et le plus efficace d’empêcher la victoire du Front National. Elle est également la façon la plus claire d’affirmer que la Corse et la société que nous voulons sont incompatibles avec les choix et les options du Front National, sur le terrain des valeurs comme sur celui du projet. Nous nous engageons pour une Corse émancipée, une société de paix, de solidarité, de tolérance, de partage : le Front National cultive les antagonismes, les peurs, le rejet de l’autre. Nous nous battons pour la libération et l’amnistie des prisonniers politiques : le FN demandait, jusqu’à récemment encore, qu’ils fussent condamnés à mort. Nous aurons, à partir du 1er janvier 2018, une Collectivité de Corse que nous voulons doter de nouvelles compétences et de nouveaux moyens : le FN souhaite la supprimer et revenir aux départements. Nous agissons pour que la Corse rayonne en Méditerranée et participe à une Europe forte et solidaire : le FN projette de la quitter. Cette incompatibilité totale entre le modèle de société que nous voulons et celui proposé par le Front National doit nous conduire, sans état d’âme ni hésitation, à dire, par notre vote, « Non » au Front National et à Madame Le Pen.
Gilles Simeoni Président du Conseil exécutif de Corse