par François Alfonsi
Michel Barnier a été nommé Premier ministre par Emmanuel Macron après plusieurs semaines de tergiversations. La formation de son gouvernement est un nouveau challenge, afin de pouvoir présenter un discours de politique générale devant l’Assemblée nationale issue des urnes du 7 juillet 2024 sans être aussitôt censuré.
Très probablement, une motion de censure sera déposée par les formations de gauche que cette nomination a écartées du gouvernement alors qu’elles forment la première coalition de l’hémicycle. Si cette motion de censure est votée, le gouvernement Barnier serait mort-né.
Deux possibilités sont ouvertes pour essayer d’éloigner cette issue. La première est de s’assurer d’une majorité relative suffisamment large par rapport au Nouveau front populaire qui compte 193 élus. Avec 166 députés macronistes et 47 députés de la Droite républicaine, le socle de Michel Barnier est de 213 voix. Soit 20 voix d’avance, autant que n’en compte le groupe indépendant LIOT (22 élus), où siègent les deux élus nationalistes corses, qui sera nécessairement très courtisé. Avec, dans le paquet de sa négociation éventuelle, la poursuite du processus de Beauvau.
Mais la principale incertitude sera l’attitude du troisième bloc, celui du Rassemblement national. S’il vote la censure, c’en sera fini ; s’il s’abstient, Michel Barnier franchira la première marche de ce qui restera de toutes façons un chemin difficile, car une nouvelle motion de censure pourra surgir à tout moment.
Le fait politique majeur que signifie le choix d’Emmanuel Macron d’un Premier ministre issu des rangs de ceux qui le soutiennent est qu’il s’est mis délibérément entre les mains du Front national qui usera de son statut d’arbitre pour se crédibiliser en vue des scrutins futurs, et pour se muer en force décisive du Parlement, celle qui décide du maintien, ou de la fin, de ce prochain gouvernement.
À titre personnel, le nom de Michel Barnier fait l’objet d’un certain consensus. Il est expérimenté, apprécié en France et plus encore en Europe ; il est un savoyard attaché à son territoire, et un « girondin » déclaré. Mais son programme sera bien davantage le reflet des contraintes politiques de sa nomination plutôt que celui de ses choix propres. C’est en tous les cas à craindre sérieusement.
Gilles Simeoni, aussitôt sa nomination connue, lui a adressé un courrier officiel pour prendre date sur deux dossiers essentiels pour l’avenir de l’île : la reconduction de la dotation exceptionnelle « coût du carburant » de la dotation de continuité territoriale, sans laquelle les finances de la Collectivité de Corse seraient grandement déstabilisées ; et, bien sûr, la poursuite du processus de Beauvau en faveur de l’autonomie de la Corse. De sa réponse, dépendra l’opinion que l’on aura de ce futur gouvernement vis-à-vis du dossier corse.
De toutes façons, la situation nouvelle des équilibres politiques à Paris nous place en situation difficile. Comment remettre le dossier corse à l’agenda politique quand l’interlocuteur est un gouvernement dont l’espérance de vie est incertaine ? Car le gouvernement Barnier, qui sera tributaire de l’agenda du Rassemblement national, qui doit faire face à une situation budgétaire très dégradée, et donc à des décisions qui seront impopulaires, qui doit affronter une opinion publique que sa nomination à contre-courant du vote du 7 juillet dernier ne peut satisfaire, et qui doit enfin composer avec des priorités politiques hasardeuses de sa propre famille politique, n’aura pas de trop de l’habilité reconnue de son chef pour survivre aux broncas qui s’annoncent.
Mais on sait aussi que le temps perdu est l’ennemi numéro un de la Corse. Et que s’il existe une chance, même faible, que les accords de Beauvau soient suivis, comme l’engagement en a été pris, d’une réforme constitutionnelle lors de l’actuelle mandature, il faudra la jouer pleinement. •