Sant’Antuninu a décidé de se doter d’un Plan local d’urbanisme pour remplacer sa carte communale. Bonne initiative, mais le rendu fait polémique. La lecture des nombreuses contributions des habitants à l’enquête publique clôturée le 17 octobre le démontre. • Première erreur : aucune concertation en amont sur les attentes et besoins de la population permettant un débat d’avenir dont auraient pu se nourrir les concepteurs du document. Dommage ! Cela aurait évité d’imaginer les choses hors sol, d’écrire de grosses bêtises (résultant probablement d’un copier-coller avec des communes du sud qui démontre le bâclé du document) et de provoquer les déboires auxquels ce projet est maintenant confronté : nul doute que ce document, s’il reste en l’état, sera attaqué devant le Tribunal administratif !
« Historiquement, le village de Sant’Antuninu date du IXe siècle. Certains avancent même qu’il serait l’un des plus anciens de Corse… Ce village de 138 habitants (INSEE 2021) est surtout remarquable par son profil de nid d’aigle défensif accroché à 500 mètres d’altitude sur un piton granitique dominant la Balagne. C’est un village très touristique, à très forte valeur patrimoniale, inscrit à l’inventaire des sites pittoresques de la loi du 2 mai 1930 ». Tout est dit dans cette introduction de l’association U Levante quant au soin qu’il est nécessaire d’apporter lorsqu’on imagine le développement futur de ce village.
La commune de Sant’Antuninu elle-même insiste sur son site officiel sur « le caractère authentique » et « pittoresque »des lieux, la « superbe facture » de l’architecture, le potentiel agricole qui en a fait un « véritable jardin »…
On pouvait donc s’attendre à un PLU cadré et respectueux de conserver le cachet de ce qui est considéré comme l’un des plus beaux villages de la Balagne, voire, pourquoi pas, en faire un laboratoire de ce qu’il est possible d’imaginer en matière de tourisme intégré, maîtrisant tous les enjeux, avec une vision moderne et durable du développement profitable à tous : un beau défi !
Que nenni ! C’est l’effarement à la lecture du document proposé qui projette le petit village en véritable ville nouvelle, multipliant par trois les surfaces dédiées au stationnement pour faire face aux 15 jours de grosse fréquentation estivale, surdimensionnant à l’aveugle les équipements publics, et misant sur un tourisme de masse pour une population recensée de 138 habitants, 80 personnes l’hiver…
Il est désespérant, 10 ans après l’adoption du Padduc, de voir à quel point les élus et leurs cabinets conseils ignorent toujours ce qu’est un Plan local d’urbanisme conforme à un développement durable. La lecture des nombreuses contributions et avis à l’enquête publique est instructive sur les nombreux griefs qui lui sont faits :
– une augmentation de 60 % de la population en 10 ans… Piombu !
– un « projet démentiel de nouveau quartier sur une parcelle à forte pente », 40 % ! ce qui pose des problèmes d’accessibilité, de sécurité, de complexité d’aménagement et donc d’endettement public ! Une vraie cassure aussi concernant la vue du village depuis la plaine puisque se situant sur l’espace naturel historiquement protégé pour préserver sa forme en nid d’aigle… sans compter que cet espace naturel compte plantes endémiques et espèces protégées comme la tortue d’Hermann.
– une galerie marchande de 2.000 m2 en R+1 dans ce « nouveau centre urbain » qui semble être le véritable mobile du PLU, visant une attractivité redoublée très intéressée alors que le village accueille déjà 300.000 visiteurs par an !
– une augmentation de 25 % des résidences secondaires alors qu’elles représentent plus de 60 % du total des logements sur la commune, en rupture d’équilibre avec tout ce que recommande le Padduc.
– des résidences principales sur seulement 15 % du nouveau « centre urbain » soit 1.200 m2 sur 8.000 m2, le reste étant consacré à la galerie marchande et à une myriade d’équipements dont on se demande à qui ils vont pouvoir profiter : école, cantine, centre médical, salles de sport, crèche, garderie… Le tout sans concertation avec les communes voisines ! Comment Sant’Antuninu justifiera-t-il son projet auprès de l’intercommunalité ou des financeurs, au premier rang desquels la Collectivité de Corse ?
– pendant ce temps le lotissement E Chiose, créé avec succès en 2008, reste toujours sans équipements publics de proximité, en totale contradiction avec les directives territoriales d’aménagement, alors qu’il compte actuellement 99 % de résidences principales, notamment pour de jeunes actifs !
– une parcelle aujourd’hui inconstructible, attenante à ce lotisement E Chiose, s’ouvrirait à la construction au profit d’un intérêt privé (par ailleurs propriétaire du terrain et promoteur de la galerie marchande et d’un hôtel de charme dans le « nouveau centre urbain »…). Il y aurait une place de choix au détriment des résidences principales (représentant seulement 21 % de surface du terrain et sur la place la plus contrainte à aménager). Le tout en discontinuité aussi avec E Chiose puisqu’il n’y a pas semble-t-il de route prévue entre les deux sites.
– 14.500 m2 de parkings dont 12.409 m2 sur des espaces stratégiques agricoles. Le reste pour 1.000 m2 situés dans le fameux « centre urbain » à destination des autocars sur un site avec un dénivelé de 14 m de haut sur 29 m de long… chjìbba !, réclamant des terrassements importants donc une transformation du relief qui sera superbement vue depuis la plaine. Un impiastru ! Le tout dans un virage rendant compliquées les manœuvres routières et très certainement fréquents les bouchons ! Mais, après tout, la galerie marchande aura son public…
L’autre parking de 1.000 m2, attenant aux « jardins partagés », serait accessible par une route en pente à 25 % (dénivelé de 27 m)… là où se situe un chemin de randonnée, avec donc destruction du site mais aussi une artificialisation que les fortes pluies transformeront vite en torrent…
– une résidence seniors sur un dénivelé encore de 37 m de haut sur 133 m de long !, sans desserte automobile. Pauvres séniors !
– l’absence de projection en matière de fourniture d’eau et de traitement des eaux usées… dans un territoire, la Balagna, extrêmement contraint en la matière. Donc sans aucune prévision b-a-ba.
– Encore deux musées, un marché couvert, une maison des associations, une maison des scientifiques, un office du tourisme, une nouvelle mairie et une salle des fêtes (équipements dont est déjà pourvu le village à moins de 300 m)… bref, des équipements que bon nombre de villes moyennes enviraient !
Les contributeurs à l’enquête publique le dénoncent tel un « mirage » tant les coûts ne sont pas maîtrisés et les projets surdimensionnés par rapport aux contribuables qui doivent les supporter. Quid en effet du financement et des coûts de fonctionnement ? La CdC a d’ailleurs rendu un avis très critique au projet de PLU, c’est tout dire !
Bref, toujours les mêmes fautes dans l’élaboration des PLU : on n’implique pas en amont la population résidente, on ne suit pas les directives territoriales d’aménagement de la Collectivité de Corse, on évalue mal l’augmentation démographique et les besoins des habitants, on fait peu cas de l’environnement et de la ressource en eau, on s’aligne sur les intérêts privés et on impose des choix irréalistes et coûteux, sans se soucier de la suite notamment en matière d’endettement public et de viabilité juridique.
L’avis de la commissaire enquêtrice est donc très attendu. •