L’Associu per l’Operate di e Squadre di a Salute, fédération corse pour la coordination et l’innovation en santé, regroupe les maisons de santé corses. Elle est présidée par le Dr François Agostini, et elle a déjà à son actif la dynamique de création des maisons de santé pluriprofessionnelles dans l’île. La première a été créée à Calinzana il y a dix ans. Elles sont 15 désormais, et 25 autres sont en formation pour un maillage efficace de tout le territoire corse, notamment dans le rural.
La fédération est aussi à l’origine, avec le centre hospitalier de Bastia, d’une expérience, EvaCorse, initiée par le Dr Antoine Faure, cardiologue au centre hospitalier de Bastia, qui est appelée à se généraliser dans toute la France pour mieux soigner, notamment en zone rurale, ceux qui souffrent de pathologies qui augmentent le risque de maladies cardiaques : personnes ayant déjà fait un infarctus, diabétiques, personnes en surpoids, souffrant d’hyper-tension, etc. Arritti a rencontré son président, François Agostini, et son directeur, Igor Giusti.
Quel est l’objectif du programme que vous avez initié ?
François Agostini – Pour les maladies du cœur, la prévention est une nécessité absolue pour réduire les risques et la mortalité. Pour ces patients, il est important de pouvoir être pris en charge par un protocole de soins de suite et de réadaptation (SSR) qui s’échelonne sur une vingtaine de séances menée sous la responsabilité d’un cardiologue de centre hospitalier.
Trop souvent, cette médecine préventive se heurte à des difficultés de suivi par les patients qui doivent se déplacer vingt fois vers les établissements de Bastia ou Aiacciu, alors qu’ils n’en ressentent pas nécessairement l’urgence. C’est très dissuasif. Et cela d’autant plus quand ces patients vivent éloignés dans le monde rural. Nous expérimentons depuis trois ans, en lien avec les deux établissements de santé d’Aiacciu et Bastia, une nouvelle organisation de ces soins qui permet de limiter beaucoup ces déplacements.
Quel est le protocole de soins innovant que vous avez expérimenté ?
François Agostini – Dans l’organisation que nous avons mise en place, sur les 20 séances de soins programmées, seule les six premières, et la séance finale conclusive, doivent se dérouler en milieu hospitalier. Les 13 autres, si le médecin cardiologue de l’hôpital en est d’accord au vu de l’état de santé du patient, peuvent être menées dans chacune des maisons de santé pluriprofessionnelles de l’île, donc au plus près des patients. La difficulté de ces protocoles de santé est de bien coordonner soignants et patients pour que les rendez-vous soient effectifs et les séances réalisées sous le contrôle du médecin. Dans chaque maison de santé, il y a un organe de coordination, ce qui permet cette prise en charge.
Quelle plus-value en tire-t-on au plan de la santé publique en Corse ?
Igor Giusti – Suivre 20 séances dans le cadre d’une médecine préventive est très lourd pour un patient ou une patiente qui doit se déplacer à Bastia ou Aiacciu, surtout si il ou elle vit dans le rural. Du coup, le taux d’abandon avant et en cours de soins est important, encore plus pour les femmes qui ont moins de disponibilité pour s’absenter du foyer. En permettant que les deux tiers des séances se déroulent à proximité du domicile, on réduit de beaucoup ce phénomène. Et l’impact de ces soins préventifs, ou de rééducation pour une personne qui a fait un problème cardiaque, est largement démontrable car les effets en sont directement palpables, par les statistiques, et par les progrès faits par le patient qui s’essouffle moins, qui peut faire lui-même ses courses ou son jardin, etc. Mais le code de la sécurité sociale est très contraignant et jusqu’à présent il ne permettait pas déroger à l’obligation de procéder à ces soins en milieu hospitalier.
Ce n’est qu’en 2017 que l’article 51 du code de la Sécurité Sociale a permis d’établir des dérogations, y compris sur proposition des acteurs locaux par rapport aux réalités rencontrées sur le terrain. Le centre hospitalier de Bastia et la fédération corse se sont alors proposés pour expérimenter ici cette complémentarité entre l’hôpital et les maisons de santé. Cette expérimentation prend fin en janvier 2025. Elle a commencé en janvier 2022. L’Assurance Maladie va la faire évaluer par un cabinet spécialisé. Si l’avis est positif, elle pourra être généralisée sur l’ensemble du territoire français. Mais tous les résultats intermédiaires confirment l’intérêt de cette expérimentation.
François Agostini – Ces soins SSR, quand ils sont bien menés, diminuent nettement le risque de mortalité chez les gens atteints de maladies cardiaques, et ils impactent aussi positivement certaines autres maladies comme Alzheimer.
À travers les maisons de santé et la médecine de proximité, les conseils d’activité physique régulière, ou sur l’alimentation, sont mieux acceptés et mieux respectés. La cardiologie est un domaine où la prévention a une efficacité évidente, dont on peut mesurer les effets très concrètement, chiffres à l’appui.
Igor Giusti – Les effets positifs sont aussi pour les comptes de la Sécurité Sociale. Le coût des soins en maison de Santé sont moindres qu’en milieu hospitalier. Il faut aussi savoir que, si le patient vient de loin, par exemple de Balagne pour Bastia, le transport sanitaire revient très cher à la Sécurité Sociale. C’est aussi un gain en temps de transports et en émissions de CO2. Et, comme toute action de prévention efficace, l’exécution de ces soins est bien améliorée et cela diminue le nombre des hospitalisations. Et cela impacte enfin « l’aptitude à vivre » de nombreux malades qui retrouvent une meilleure santé. Notre expérience de dérogation en Corse intéresse beaucoup d’autres régions. •
Propos recueillis par F.A.
« Les maladies cardio-vasculaires représentent la première cause de mortalité dans le monde, leur prévention et leur absence de récidive sont des enjeux majeurs de santé publique. »