Caravanes Mouv’enfants

Bâtir une riposte contre la pédocriminalité

« La protection des enfants : une priorité politique oubliée en France »… se désole Arnaud Gallais sur la page facebook des Caravanes Mouv’Enfants. Comment ne pas le penser au vu des innombrables victimes d’inceste ou de violences sexuelles révélées et de l’absence de réponse ? « En cas d’inceste, seulement 1 % des agresseurs sont jugés et pour les agressions sexuelles sur enfants, c’est tout juste 3%. Cette impunité accordée aux pédocriminels est inadmissible et nous continuerons à la dénoncer et à agir » dit Arnaud Gallais
Pendant un an, du 31 mai 2023 au 30 mai 2024, il a fait le tour de France avec ses caravanes « de survivantes et de survivants ». Il est venu aussi en Corse en janvier dernier, à Portivechju, Aiacciu, Bastia, Corti, et il en est résulté notamment un film de 36 mn de recueils de témoignages réalisé par Rémy Chauveau-Ciabrini. Il était projeté cette semaine dans les salles de l’île en présence de Arnaud Gallais, et de Paule Maerten, coordinatrice de C3S Corsica1, association partenaire des caravanes.

 

 

Arnaud Gallais a été violé à 8 ans par un prêtre missionnaire et par deux de ses cousins…

Devenu adulte, après un long travail pour tenter de se reconstruire, c’est un activiste des droits de l’enfant. C’est sa thérapie. On ne peut sortir totalement indemne d’un tel traumatisme2. « Plus de 165.000 enfants sont victimes d’incestes ou de violences sexuelles en France ». Un chiffre effarant.

Arnaud Gallais a participé aux travaux du Juge Durand et de la Ciivise3. À la suite, il a mis en place les caravanes Mouv’Enfants pour recueillir les témoignages de victimes ou de soutiens de victimes, mais aussi de professionnels, acteurs de cette lutte, assistants sociaux, gendarmes, juristes, associations. Au total, 35 villes en métropole et 10 villes dans les Outremers ont été visitées. Il en résultera un livre blanc et des préconisations pour « faire de la lutte contre la pédocriminalité un sujet de démocratie participative ».

« La société doit impérativement changer de vision : les enfants ont des droits fondamentaux. Il est crucial de les protéger et de les informer de leurs droits ».

« Malheureusement, cette année encore, nous avons constaté une dérive des politiques publiques concernant la protection des mineurs et la justice qui leur est due » dit encore Arnaud Gallais. « Les départements responsables de placements abusifs d’enfants ne sont pas sur les bancs des accusés. La justice, elle, continue de ne pas s’auto-saisir pour des faits graves de non-dénonciation et de complicité, comme dans l’affaire de l’Abbé Pierre. Pendant ce temps, l’Aide sociale à l’enfance est en crise, il n’y a aucun ministère dédié à la protection de l’enfance… Aujourd’hui, les enfants sont doublement victimes : d’abord de leurs agresseurs, puis d’un État qui refuse d’agir pour leur protection. Nous appelons le gouvernement à faire de la protection de l’enfance une priorité absolue. »

Un plaidoyer hélas encore inaudible politiquement malgré toutes les informations qui remontent désormais sur l’ampleur du fléau. Mais il y a un point positif, les victimes osent enfin parler. Les dispositifs mis en place sont insuffisants mais des brèches ont été créées dans cette carapace de l’oubli qui faisait que jusqu’ici ces crimes restaient impunis, tabous.

 

Le film tourné en Corse témoigne que notre île n’est pas épargnée, que nombreuses sont les victimes et les traumatismes vécus y compris pour leurs soutiens. À l’heure où l’on écrit ces lignes, des enfants sont aux mains de leurs bourreaux, parents, proches, adultes qui abusent de leur autorité pour briser l’innocence. Mais le film témoigne aussi, et c’est le message d’espoir que retient Arnaud Gallais et ses partenaires (association C3S, radio associative Frequenza Nostra, Conseil économique social culturel et environnemental…), que nombreux sont celles et ceux qui veulent désormais se mobiliser, pour « que les choses changent », pour travailler à une « réparation collective », pour qu’on arrête de dire « je te crois mais je ne te protège pas ».

Arnaud Gallais se réjouit particulièrement de la mobilisation en Corse. « Si ça bouge, cela viendra peut-être de votre île ? » confie-t-il avec espoir.

Témoignages durs, dysfonctionnements administratifs, manquements de la justice, anomalies dans la protection de l’enfance, qui font par exemple qu’on maintient le placement d’enfants alors qu’ils sont en situation de danger, manque de formation parfois des personnels chargés de recueillir les plaintes, qui font qu’on ajoute un traumatisme au traumatisme, manque de moyens pour le soin aux victimes, etc., mais aussi espoirs, émotions, solidarités… l’objectif de ce film est de se faire entendre, et d’aider à bâtir une riposte. Pourvu qu’elle vienne. Vite. •

Fabiana Giovannini.

 

  1. Corse Stratégie Santé Sexuelle, C3S est une association créée il y a deux ans pour « soutenir toute initiative sur l’ensemble du territoire corse visant à mettre fin à toute forme de discrimination quelle qu’elle soit, ayant un impact sur le bien-être, la vie affective, relationnelle, reproductive et sexuelle de la population ».
  2. Lire « J’étais un enfant » de Arnaud Gallais aux Ed. Flammarion.
  3. Commission indépendante sur l’inceste et les violences sexuelles faites aux enfants. En Corse, une antenne a été créée il y a peu, la Criivise, animée par le Dr Hatem Ballé. Lire nos précédents articles : https://arritti.corsica/?s=CIIVISE