Suciale

Puvertà di i zitelli : avà basta !

Le 30 novembre 2024, une dizaine de jeunes se revendiquant « Ghjuventù di Manca »1 ont publié un document très complet sur « l’urgence sociale » que représente la « pauvreté des enfants en Corse »2. Une étude parfaitement documentée (plusieurs sont universitaires), très marquante par les témoignages recueillis auprès de jeunes de leur génération, et conclue par un corpus solide de propositions. Voici un résumé de cette étude très pertinente faite par des jeunes particulièrement pertinents dans leurs analyses.

 

 

L’étude est préfacée par Clara Marìa Laredo, présidente de l’association « Sous le seuil de pauvreté », qui rappelle que, selon une étude de l’Insee de mai 2024, un enfant sur quatre, soit 15.000 jeunes, grandissent en Corse en vivant sous le seuil de pauvreté.

Concrètement, le seuil de pauvreté est défini par un revenu disponible inférieur à 60 % du revenu médian par « unité de consommation ». Une mère célibataire et son enfant à charge sont en situation de pauvreté si ses revenus sont inférieurs à 1460 € par mois. Pour une famille formée par un couple et deux enfants, ce seuil de pauvreté est de 2380 €.

Selon l’Insee, 24 % des enfants grandissent en Corse dans un foyer pauvre, ce qui est un taux très élevé par rapport à la moyenne française. Ils sont davantage en Haute-Corse (26 %), et plus de un sur trois (36 %) dans la communauté de communes de l’Oriente autour d’Aleria, Plaine orientale, Balagne et Extrême sud étant les plus touchés. Sur le continent, seules les régions Hauts de France et Paca ont une situation comparable.

Pourtant, souligne le rapport, « le faible nombre d’enfants par femme (1,35 en Corse contre 1,82 en moyenne française), et le faible taux de chômage (6,4 % en 2023 contre 7,3 % en France) ont généralement tendance à limiter la pauvreté infantile ». Qui plus est, la statistique brute ignore « que les prix sont en moyenne 7 % plus élevés que sur le continent », ce qui aggrave considérablement les difficultés de ces familles quand elles vivent en Corse.

 

Cette pauvreté des revenus se superposent à d’autres précarités : « 60.000 Corses sont confrontés à la précarité énergétique, et 28.000 demeurent dans des logements suroccupés », où la proportion d’enfants est importante.

L’étude met aussi en exergue une « reproduction sociale accentuée par l’école ». « Ces enfants ne peuvent guère compter sur le capital scolaire de leurs familles car les parents des adolescents pauvres n’ont pas le baccalauréat dans 88,2 % des cas. »

Les mères isolées sont encore plus touchées. « 23 % des jeunes corses grandissent avec un parent seul, et dans 83 % des cas il s’agit d’une mère isolée ». Pour elles les difficultés pour la garde des enfants aggravent la situation, entraînant « davantage d’emploi à temps partiel subi, de carrières hachées ou d’études interrompues. (…) 34 % des enfants vivant en famille monoparentale sont touchés par la pauvreté, contre 20 % des enfants ayant des parents en couple ».

L’étude fait ensuite l’examen précis des dispositifs d’une « aide sociale à l’enfance à bout de souffle ».  L’ASE en Corse « fait face à une demande croissante, mais les structures sont insuffisantes pour répondre aux besoins réels ». L’ASE propose trois fois moins de places en Corse que sur le continent, et ce chiffre est mis en exergue par le rapport pour témoigner du retard de l’île sur ces politiques.

Au-delà de l’aide sociale à l’enfance, les politiques sont toutes « largement insuffisantes ». Et les inégalités sont grandes entre Lucciana dont la caisse des écoles est largement abondée par la mairie, qui subventionne par ailleurs les garderies du matin et du soir pour aider les parents, face à Aiacciu, quatre fois moins prodigue par enfant et demandant aux parents de payer deux fois plus cher les frais de garderie. Rares sont les communes qui ont produit une « analyse des besoins sociaux » (ABS, seules Bastia, Portivechju et Biguglia l’ont fait), ce qui, pour les auteurs du rapport, « témoigne d’un désintérêt déconcertant pour la question sociale de la part des édiles ».

 

Au niveau de la Collectivité de Corse, le bilan apparaît contrasté. Le rapport relève « un récent engagement financier de la CdC qui a augmenté de manière notable son budget pour les politiques de l’enfance en 2024 ». Le schéma directeur territorial adopté en janvier 2022 pose un diagnostic clair et propose un certain nombre de mesures salutaires, comme par exemple « le recrutement de médecins et de psychologues pour la protection maternelle infantile (PMI). »

Mais cette « bonne volonté » se heurte à des « moyens insuffisants ». C’est notamment le cas face aux phénomènes de décrochage scolaire qui sont en Corse très élevés, un quart des jeunes pauvres arrêtant leur cursus au brevet en fin de troisième.

Enfin, la Corse est notoirement sous-dotée pour l’accueil des enfants. En Corse, « le taux de couverture d’accueil des enfants de moins de 3 ans est de 37,1 % contre 59,4 % à l’échelle nationale : une famille ajaccienne a deux fois moins de chances de réussir à faire garder son enfant en bas âge que sur le continent ».

Dans la présentation du rapport, Clara-Maria Laredo insiste : « le droit à une enfance heureuse et à un avenir prometteur ne doit pas être un privilège de classe mais une nécessité universelle. Nous appelons toutes les instances, de l’État aux collectivités locales, à prendre leurs responsabilités et à agir pour que la pauvreté cesse d’être le quotidien d’un quart de notre jeunesse ». •

 

  1. Marc Boisset, Matthieu Cathalan, Paul Faure, Elia Francisci, Tivio Gaucher, Lisandru Laban-Giuliani, Clara-Marìa Laredo, Thaïs Pouch-Antona, Solène Breton, Pierre-Marie Luciani-Giamarchi et Bastien Lozano. Ces jeunes, ancrés à gauche, mais aussi toujours très actifs dans les mobilisations pour la langue corse, contre la spéculation immobilière et la dépossession du peuple corse, etc.. sont représentatifs d’un courant politique en plein renouveau au sein de la jeunesse corse.
  2. https://drive.google.com/file/d/1deSwa0j5srQo-eNIsiWvF0dnvLQG0hk7/view?usp=sharing

 

5 rivendicazioni di pettu à l’urgenza
20.000 places de crèche, sans attendre
Fournitures, cantine, transports : pour une école vraiment gratuite
Ouvrir une nouvelle maison d’enfants à caractère social
Pour un statut « parent isolé » ouvrant des droits spécifiques
Renforcer l’accompagnement des familles en milieu rural

 

 

 


Testimunianze

Marìa, 25 ans – « Pendant presque une année, nous avons dû nous laver avec de l’eau que nous faisions chauffer à la bouilloire, parce que notre chauffe-eau ne fonctionnait plus et nous n’avions pas les moyens de le faire changer. »

Julien, 23 ans – « On n’est jamais partis en vacances. Je me rappelle de février, la ville se vidait et nous on restait toujours immobilisés par l’insularité. »

Matteo, 15 ans – « Nous évitons les médecins car c’est de l’argent à avancer. Et les médicaments sont souvent mal remboursés. »

Alexandra, 26 ans – « J’ai ressenti le tri social au collège car je venais d’un quartier défavorisé, les moqueries de la part des autres élèves parce que je portais du Kiabi et pas des vêtements chics. »

Yassine, 23 ans – « Le fait d’être constamment isolé, de sentir une grande différence par rapport aux autres, de ne pas inviter ses amis chez soi pour ne pas qu’ils puissent se rendre compte de quoi que ce soit. Se sentir différent, c’était ça le pire. »

Émilie, 35 ans – « Je me prive depuis des mois pour que mon fils ne manque de rien. » •

 


 

Sant’Andrìa ogni ghjornu !

En publiant le rapport ce 30 novembre 2024, les auteurs ont voulu se référer à la fête traditionnelle des enfants qu’est la Sant’Andrìa, durant laquelle chacun est appelé à ouvrir sa porte, son cœur et son porte-monnaie à la ronde des enfants qui frappent à toutes les maisons.

Aprite, aprite
À Sant’Andrìa !
Spartite, spartite
È cusì sìa !
Noce è frutti,
À noi tutti !
Aprite ! spartite !
Hè Sant’Andrìa !

Ramintèmuci chì, in i tempi, u 30 di nuvembre era un mumentu di spartera incù i più pòveri in giru à a Sant’Andrìa. Femu chì, oramai, sta sulidarità sìa ogni ghjornu ! •