Ce mardi 3 décembre, la proposition de loi visant à la création d’un centre hospitalier universitaire en Corse portée par le député Paul-André Colombani a été adoptée à l’unanimité en séance, une semaine après son adoption également à l’unanimité en Commission des affaires sociales.
En 2024, trente-deux CHU, CHRU ou CHR sont répartis sur l’ensemble du territoire, seule la Corse en est dépourvue. Pourtant, concernant l’accès au soin, la Corse connaît d’importants handicaps structurels. La Corse est un territoire montagneux, les déplacements y sont longs et fastidieux, et le territoire insulaire se situe à plus de 250 km du premier centre hospitalo-universitaire, accessible par voie aérienne et maritime uniquement. Ensuite, la Corse connaît un contexte social difficile en étant la région la plus pauvre de France et ses habitants vivent plus souvent qu’ailleurs dans la précarité et ont donc des besoins supérieurs en soin. De plus, les besoins augmentent, tout d’abord par un vieillissement de la population, et ensuite par son accroissement. On peut rajouter à cela les fluctuations de la population de l’île lors de la saison touristique, ce qui crée régulièrement des situations de saturation de nos hôpitaux.
Pourtant, la Corse est un désert médical, notamment en ce qui concerne les spécialités médicales et, en 2023, l’île comptait seulement 326 médecins pour 100 000 habitants. L’île reste un territoire relativement inattractif en l’absence de CHU et donc de perspectives de carrières professionnelles pour les médecins. En effet, on le sait, plus de la moitié des médecins s’installent dans le territoire où ils ont effectué leur internat. L’attractivité des carrières en Corse pourrait alors être renforcée par la création d’une unité de formation d’enseignement et de recherche médicale au sein du CHU en partenariat avec l’Université de Corse, par l’installation d’enseignants-chercheurs. En parallèle, l’Université de Corse, qui propose depuis 2004 la première année d’étude de santé, souhaite mettre en place un premier cycle d’études complet. L’ouverture de la seconde année de médecine pour la rentrée 2025 a été soutenue par la ministre Sylvie Retailleau lors de sa venue à l’Université de Corse le 6 novembre 2023 puis par la ministre de la Santé Catherine Vautrin lors de son déplacement en Corse le 22 avril 2024.
L’absence de CHU explique également la sous-dotation en équipement de la Corse, dans un contexte de forte augmentation de la technicité des équipements médicaux. Par exemple, la Corse ne dispose pas de PET Scan, équipement médical permettant de mesurer avec précision l’évolution des tumeurs cancéreuses. Pourtant le cancer est la première cause de mortalité en Corse et chaque année, 1800 nouveaux cas y sont détectés et 840 décès liés à cette maladie y sont recensés. Pour accéder à ces équipements, les Corses sont donc obligés d’aller se soigner ailleurs. Chaque année, 26 000 personnes se déplacent de la Corse vers le continent pour effectuer des soins, et en 2019, le taux de recours aux soins hors-Corse était d’environ 20 % en moyenne sur l’ensemble de l’île. D’un point de vue financier, ces déplacements coûtent 30 millions d’euros à l’Assurance maladie chaque année et aggravent le déficit des hôpitaux corses, financés à l’activité. De plus, ces voyages constituent une épreuve pour des malades déjà très affaiblis, et aboutissent souvent à une renonciation aux soins. Beaucoup de corses ont connu, en tant que malade ou accompagnant, l’épreuve et le coût que représentent ces déplacements, souvent pour des traitements lourds comme des chimiothérapies, malgré l’important travail des associations Inseme et La MarieDo.
Disposer d’un CHU est une demande portée par le Conseil exécutif de Corse depuis de nombreuses années et a fait l’objet de plusieurs délibérations unanimes de l’Assemblée de Corse. Cette revendication avait donné lieu à la création d’un groupe d’études par l’Assemblée de Corse réunissant des médecins, des professeurs et des élus dès juillet 2019 dans le cadre des premières assises de la santé en Corse puis poursuivis lors de la seconde édition en 2022. Ce groupe a pu étudier différentes questions relatives à la création de ce CHU comme et s’est accordé sur la nécessité absolue de créer un CHU en Corse pour que les Corses puissent se soigner chez eux dans les meilleures conditions. Le nouveau centre hospitalier universitaire devrait être mis en place d’ici à 2030, à Ajaccio ou à Bastia. •
Pauline Boutet-Santelli.
Les mots des députés corses en séance publique
– Extraits –
Paul André Colombani, porteur du projet de loi
« C’est une vieille revendication qui vient de loin, portée de longue date par la famille nationaliste en Corse et qui a su trouver un consensus total entre la population, les associations, l’université, les professionnels de santé et les élus de l’île… La création d’un CHU est une œuvre de longue haleine et a besoin de stabilité. C’est pourquoi il nous appartient de graver dans le marbre de la loi une trajectoire à laquelle nous devons tenir sur la durée. Posons un acte fondateur et créons un choc de confiance pour des familles corses qui depuis trop longtemps sont confrontés à l’inégalité de l’accès aux soins. Faisons entrer la Corse dans la modernité en réparant l’injustice historique qui l’en a privé depuis 60 ans ». •
Michè Castellani
« Le débat que nous menons aujourd’hui interpelle. On peut se demander pourquoi il faudrait une loi pour implanter un CHU là où ailleurs une simple décision administrative suffit, et pourquoi il a fallu des années de batailles pour décider la reconstruction de l’hôpital de Bastia, et pourquoi a-t-il fallu des années de revendications et de répressions pour la réouverture de l’Université, et pourquoi doit-on chaque année ici même plaider pour la revalorisation de la continuité territoriale gelée depuis 2009, et pourquoi faut-il lutter ici à intervalles réguliers pour arracher la prolongation d’un crédit d’impôt qui est indispensable sur le plan économique, et pourquoi est-il impossible d’avancer vers un statut fiscal de développement et plus encore vers les institutions dont la Corse a besoin, qui pourraient améliorer la vie économique, sociale, nous aider à conforter une langue corse qui est mourante, nous aider à lutter contre une spéculation qui est dévastatrice. Et pourquoi les députés de la Corse seraient-ils considérés comme d’éternels quémandeurs alors qu’ils ne font qu’exprimer les requêtes de solutions légitimes et le refus d’une évolution catastrophique pour un peuple dont ils ont ici la responsabilité des intérêts matériels et moraux. Pourquoi les gouvernements successifs refusent-ils de considérer la Corse dans ce qu’elle est, dans sa complétude, sa personnalité et ses intérêts fondamentaux. Pourquoi ? Parce que nous nous heurtons à l’immobilisme, au centralisme, à l’indifférence et quelquefois je veux le dire, à l’hostilité d’un certain nombre à l’égard de la Corse et des Corses. Je ne sais pas ce que sera le gouvernement de la France de demain mais ce que je sais c’est que nous devons sortir de ce mode de gestion calamiteux où nous sommes nous députés de Corse, réduits à une représentation velléitaire. Nous devons nous efforcer tous de jouer gagnant-gagnant et je sais que c’est possible ». •