Par François Alfonsi
La visite pontificale du Pape François à Aiacciu le 15 décembre 2024 restera une date marquante de l’Histoire de la Corse. La ferveur de la rue a accompagné l’évènement. L’Église de Corse a donné un élan nouveau à son action, et elle a démontré sa capacité à fédérer les énergies au sein du peuple corse, tout en refusant, comme le pape l’a dénoncé, « l’instrumentalisation par des groupes qui entendent renforcer leur identité de manière polémique, en alimentant des particularismes, des oppositions, des attitudes d’exclusion ».
La « piété populaire » que le Pape est venu saluer en Corse est un fait culturel vivant qui s’inscrit dans son identité méditerranéenne et latine. Elle est un marqueur évident de l’identité du peuple corse pour qui les évènements religieux sont intégrés à son art de vivre.
Rien n’a jamais plus indisposé un préfet de la République que l’obligation dans laquelle il est mis, de facto, d’admettre que soit férié le 18 mars à Aiacciu pour la Madunuccia, ou le 19 mars à Bastia pour la San Ghjiseppu, et de fréquenter lui-même les lieux de ces processions festives que des milliers de Corses suivent chaque année avec constance. L’espace de ces jours-là, il est bien obligé d’admettre que la Corse n’est pas le continent, et que le peuple corse est différent du peuple français.
Cette « laïcité tranquille » du peuple corse est une force souterraine profonde, et c’est le talent du Cardinal François Bustillo de l’avoir compris quand il a pris ses fonctions d’évêque d’Aiacciu. En fédérant les éléments structurants de ces manifestations de la « piété populaire » des Corses, comme les dizaines de confréries qui ont repris leurs habits auprès de très nombreuses paroisses de l’île, il a mis à l’honneur un sentiment profond, et il a reçu en retour l’adhésion des Corses à son ministère, au point que près d’un millier ont fait le voyage de Rome pour célébrer son élévation comme cardinal. C’est cette clameur d’adhésion qui s’est faite entendre et qui a convaincu le Pape et son entourage que la Corse pouvait servir d’appui à sa volonté de régénérer une religion catholique étouffée par les conventions et les convenances étriquées.
Non que la Corse soit en cela très différente des autres cultures méditerranéennes qui l’entourent, en Sicile, en Sardaigne, aux Baléares, dans les évêchés d’Espagne et d’Italie. Mais en le faisant en Corse, il a donné là une résonnance forte à ce message dans le troisième pays de la Méditerranée européenne occidentale, la France.
La polémique autour de la célébration de la réouverture de Notre-Dame à Paris, relancée par Emmanuel Macron à travers son cadeau peu protocolaire – un livre sur le chantier de réhabilitation de la Cathédrale Notre-Dame à Paris – fait au moment de sa rencontre avec le Pape à l’aéroport d’Aiacciu, illustre en fait les raisons du choix du Pape. À l’heure où l’Église souffre d’une crise majeure de désaffection en Europe, il a décidé que sa priorité devait être d’appuyer les manifestations de regain de religiosité populaire, et non de consacrer une énième cérémonie protocolaire pour les têtes couronnées, les chefs d’État et les mécènes fortunés.
L’évènement du 15 décembre, qui s’est déroulé sur toute la journée, déambulation en papamobile, conclusion du colloque sur la religiosité populaire, messe à la Cathédrale pour les prêtres, puis cérémonie grand public au Casone pour la population entière, a été particulièrement bien mené, surtout si, l’on considère qu’il n’y a eu que cinq semaines de préparation. Une mention particulière est à faire pour l’autel éphémère dressé au Casone, en forme de navire, simple et artistiquement très réussi, surmonté de la Croix et de l’Ancre symbole de l’espérance des débuts de la chrétienté. Au long du parcours, la bonhomie du souverain pontife a fait merveille, bénissant les enfants avec spontanéité et saluant chaleureusement la foule et les bénévoles venus à sa rencontre.
Une autre mention est à faire pour les médias corses, Via Stella et RCFM, qui ont retransmis en direct toute cette journée et qui ont permis à 350.000 Corses de suivre l’intégralité de l’évènement.
Tous s’en souviendront, et, à n’en pas douter, ils sauront transmettre ce souvenir aux jeunes générations. Celui d’une Corse honorée d’avoir accueilli, pour la première fois de son Histoire, un Pape sur sa Terre. •