Par François Alfonsi
L’assassinat par arme à feu de Pierre Louis Giorgi à la veille des fêtes de fin d’année dans un bar branché d’Aiacciu a frappé de stupeur et d’effroi toute la Corse. La mobilisation qui a suivi lors de ses obsèques a exprimé le rejet d’une violence endémique qui est aggravée par un accès débridé aux armes à feu. Une prise de conscience se manifeste enfin.
Les endroits où les jeunes se retrouvent, s’amusent et « font la fête », seront-ils un jour libérés de la menace d’un drame comme celui qui tué Pilou Giorgi et blessé sept de ses compagnons ? Tout doit être fait pour y parvenir, mais force est de reconnaître que la route sera longue.
Car le sentiment est largement répandu que des dizaines d’autres circonstances pourraient conduire aux mêmes drames partout en Corse. Le profil du délinquant qui a tiré ce soir-là est hélas largement répandu : la quarantaine, un passé lié à la délinquance, un avenir sans perspective, une psychologie dangereuse attisée par des addictions à l’alcool ou à la drogue, et une arme systématiquement à portée de main. Ils sont nombreux à partager ce profil, aux marges des bandes mafieuses, et la mafiosisation de la société corse a mécaniquement multiplié les risques de nouveaux drames.
Aussi, à chaque fois, le risque existe qu’un conflit dérape en tuerie comme cela a été le cas au Lamparo à Aiacciu ce soir-là.
Le cri du peuple corse face à ces évènements tragiques est unanime : avà basta, a maffia nò, basta cù l’arme, basta cù a droga !
Répondre à ces demandes est une priorité. Cela commence par l’action de la police et de la justice, pour que les enquêtes soient menées avec les moyens suffisants, et pour que la surveillance soit mieux faite des protagonistes à risque. Nul ne devrait être systématiquement porteur d’une arme et ne jamais être contrôlé, ni ses armes saisies ; nul ne devrait pouvoir multiplier les abus d’alcool ou de drogue dans l’impunité presque absolue ; nul ne devrait pouvoir s’afficher comme un voyou et intimider, menacer et finalement tuer si on le défie.
Il a suffi que Pierre Louis Giorgi, garçon estimé et populaire, pompier décoré pour son engagement au feu, confrère dévoué, croise la route d’un de ces dangereux parasites psychopathes, pour qu’il y perde la vie, pour que sa famille et ses amis sombrent dans un abîme de désespérance. Et avec eux toute une société et toute sa jeunesse.
Aussi, les solutions sont à chercher bien au-delà de la réactivation des procédures policières et judiciaires, même si elles sont un préalable à tout. C’est la fin de la tolérance sociale à l’égard de ces pratiques mafieuses, organisées ou diffuses, qui est le premier stade de la réaction indispensable.
Cette tolérance est l’héritage d’un longue Histoire agitée, et aussi des dernières décennies de la lutte nationaliste en Corse. La « lutte armée » a produit des avatars fantasmés, dont l’imaginaire fatigué de certains se repaît avec d’autant moins de limites qu’ils s’adonnent à la drogue ou à la boisson. Avec pour stade ultime le meurtre gratuit au nom d’un « honneur bafoué ».
Combien sont-ils du même acabit dans les rues des villes ou des villages, et dans les événements festifs tels que les réveillons de fin d’année ? Ces marginaux sociaux ne sont pas issus des milieux en marge de la société. Ils ont bénéficié de l’aveuglement des leurs et de la complaisance de leurs environnements familiaux, générationnels et amicaux.
Il faut désormais ouvrir les yeux, en finir avec la complaisance et donner des moyens à la dénonciation de ces comportements asociaux. C’est notre devoir de parents et grands-parents responsables qui voulons construire l’avenir de nos enfants et petits-enfants. •