François Martinetti, secretariu naziunale Femu a Corsica

« Il faut sortir du culte du voyou »

François Martinetti était l’invité de France 3 Via Stella le 23 janvier dans l’émission Pulìtica de Pierre Simonpoli. L’occasion d’un tour d’horizon de la situation pour le secrétaire national de Femu a Corsica, également maire de Petrosu. Arritti en retranscrit ici les principaux extraits par thèmes.

 

 

L’appel au sursaut « per campà in pace »

Un contexte difficile, qui s’est symbolisé de la pire des manières au Lamparo sur Aiacciu par un véritable massacre, mais aussi des menaces, des incendies, qui se déroulent depuis de nombreuses années. Il est important pour nous en ce début d’année de lancer cet appel, de faire ce constat lucide, face à nos démons, et de dire Vulemu campà è travaglià in pace. Une démarche qu’on a voulu collégiale. Dès le lendemain, on a contacté les collectifs antimafias, des associations, pour réfléchir ensemble. Cette démarche a aussi permis d’accélérer le calendrier, au mois de février est annoncé cette session tant attendue sur la mafia, inédite à l’échelle de la France.

Toute mobilisation que l’on jugera nécessaire, nous la ferons. On ne veut pas caporaliser les choses, c’est un problème sociétal, c’est pour cela que l’on a pris les devants en contactant associations et collectifs. Pourquoi pas envisager dans les semaines à venir un débat ensemble, où la jeunesse aussi prendrait toute sa part ? La société corse doit créer des anticorps, et bien évidemment les hommes politiques, l’État, doivent aussi répondre à ce problème.

 

Les actions à mettre en œuvre pour lutter contre la mafia

La parole, la présence, les communiqués, être là, je pense que c’est essentiel. Se taire c’est une victoire pour les bandes mafieuses. C’est important de se mobiliser, c’est une préoccupation globale, une attente des Corses. J’étais présent lors de l’enterrement du pauvre Pilou Giorgi*. On est obligé de réagir quand on entend les amis de la victime qui disent que « sa mort ne doit pas être vaine ». C’est notre rôle d’être là, par des mobilisations citoyennes, amicales, et surtout par des actes.

D’abord il faut rappeler les compétences régaliennes, police, justice, les résultats sont médiocres, depuis une dizaine d’années, combien d’orphelins, de familles sans réponse, sans vérité ? Il y a un rapport de défiance et un manque de confiance par rapport à l’État qui doit clairement mettre la barre plus haut. Il y a des demandes des collectifs qui ont d’ailleurs été relayées par les députés corses en particulier par le sénateur Parigi récemment, sur la solidification du statut du repenti, sur les délits autonomes d’appartenance à un groupe criminel, sur aussi les confiscations des biens, donc un arsenal législatif à améliorer. Et à côté de cela, il y a bien évidemment tout ce qui a été travaillé avec les collectifs par les élus de la Corse.

À la Collectivité de Corse il y a une transparence efficace au niveau des marchés mais bien évidemment, il y a des possibilités, des failles pour ces bandes mafieuses pour s’infiltrer dans l’économie régulière. La Collectivité de Corse a travaillé, plus d’une trentaine de réunions sur des thématiques qui parlent aux Corses, des secteurs à fort enjeu, les déchets par exemple, l’immobilier bien sûr, mais aussi toutes les problématiques liées à la drogue, etc. On sent pour la première fois qu’il y a une poussée en ce sens, on espère que ça aboutira.

Lors de cette session, des propositions seront faites par le président du Conseil exécutif.

Ça va être un combat long. Il faut sortir du culte du voyou, du culte des armes, c’est un travail qui va se faire sur plusieurs années. Je rappelle qu’il y a trois échelons : l’État, d’abord, responsabilité numéro 1. Les élus, la Collectivité de Corse, les maires etc, qui doivent à un moment donné dire stop, dans les pratiques et dans les faits. Et il y a la société qui doit créer ses anticorps pour nous permettre de vivre mieux et de mettre à la marge ces pratiques mafieuses.

 

Le bilan de la Collectivité de Corse concernant les dérives mafieuses

Il n’y a aucune région en Europe qui a entamé, fait une session de ce gabarit-là. À nous de relever le défi, parce que derrière l’économie mafieuse il y a une économie de la prédation, et quand on se mobilise pour l’autonomie et pour un projet politique pour la Corse, on se mobilise aussi contre ça, pour pouvoir à un moment donné avoir le courage de dire stop. Valoriser les terres agricoles, donner des terres aux jeunes Corses pour se loger, on veut arriver à ce projet politique équilibré, qui donne une économie stable, un modèle sociétal stable pour les Corses. Il y a à la fois l’enjeu de court terme avec des mesures claires, avec des garde-fous, des commissions, ce qui va être proposé avec cette session, et sur le moyen terme, la concrétisation du projet politique. Et, on en est convaincu, ce projet, passant par une autonomie interne, par une maîtrise de notre destin, nous permettra d’avoir le courage de faire des choix politiques affrontant cette économie prédatrice.

On sait qu’il y a des pressions, c’est latent. Nous sommes confrontés à une société où l’argent roi est dominant. Nous, maires, nous essayons tant bien que mal, de préserver l’intérêt communal, l’intérêt des citoyens, en tous cas c’est la politique que j’essaie de mener sur ma commune avec l’équipe municipale à mes côtés. Notre objectif c’est avant tout un projet collectif pour les nôtres, s’il y a des terrains, essayer de les conserver pour le communal pour développer des politiques harmonieuses.

C’est une révolution culturelle que l’on doit faire collectivement. La parole se libère depuis plusieurs années, on manifeste, on n’hésite plus à s’exprimer publiquement, il faut renverser la table par des bonnes pratiques, de la transparence, faire vivre la démocratie, ça fera peur aux voyous.

 

L’autonomie de la Corse

J’y crois plus que jamais. L’autonomie c’est à la fois le fil historique qui nous porte, les moyens de la reconnaissance de notre peuple sur notre terre, c’est aussi les moyens de construire et de concrétiser ce projet politique. Il y a des angoisses très fortes que connaît le peuple corse, liées à l’accès à la terre, à l’accès au logement, à une peur de perte de culture identitaire. L’autonomie c’est à la fois la réponse aux aspirations du peuple corse, largement plébiscitées aux dernières élections, mais en même temps la réponse au quotidien. Souvent nos adversaires politiques font le distinguo entre l’institutionnel et le quotidien. La réponse sur le quotidien des Corses, de manière très concrète, sur le prix de l’essence, prenez la Polynésie, ces territoires ont une autorité de la concurrence. Même chose au niveau de l’accès à la terre, de l’accès au logement, il y a eu des propositions de lois par Jean Félix Acquaviva, reboutées à chaque fois. Des propositions ont été faites par le sénateur Parigi, aujourd’hui je me désole que sur ma commune par exemple, je ne puisse pas donner à un Corse qui touche entre 1200 et 1500 € par mois un bout de terrain pour construire sa maison. Sans la fiscalité nécessaire pour pouvoir préempter, et c’était l’idée de la proposition de loi de Jean Félix Acquaviva, sans une Collectivité de Corse pro-active à ce niveau-là, on n’y arrivera pas.

 

Position du gouvernement

Que ce soit le Premier ministre Bayrou qui s’est souvent exprimé pour l’autonomie et pour les langues régionales en particulier, François Rebsamen aussi, personnalité ouverte qui a été dans le gouvernement Jospin au moment du processus de Matignon, les signaux sont bons. Néanmoins on est prudent, la situation en France est complexe. Nous, en tous cas on ne doit pas dévier. On a été élus pour ça, on continuera, ça n’empêchera pas évidemment qu’on se battra à droits constants sur ce qu’on peut, aujourd’hui et demain.

La parole du président de la République a été rappelée, il y a un engagement fort. Maintenant on est tenu par l’assemblée nationale et le sénat qui doivent voter les mêmes écritures constitutionnelles validées ensemble. Ces écritures font foi. Il y a un calendrier jusqu’à la fin 2025, nous espérons que ce débat arrivera au bout.

 

La perte d’un député Femu

On a fait le constat lors de réunions à Corti, à Quenza, à Francardu, avec les militants, avec les élus, des raisons de la défaite. Une nationalisation des enjeux avec un bloc RN qu’on ne pensait pas aussi haut. Il y a un très bon bilan de Jean Félix Acquaviva. En tous cas quand il y a des colères on doit les entendre. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas se morfondre et se restreindre dans des positions victimisantes, il y a un redéploiement qu’on veut faire. Ce redéploiement prend du temps. Des signes ont déjà été donnés au niveau de la Collectivité de Corse avec une remobilisation au niveau de l’administration, un changement de DGS, un redéploiement aussi au niveau des rôles de chacun, ça va se faire dans les mois à venir, en tous les cas on est confiants, avec la volonté d’écouter les Corses sur ce qu’on n’a pas suffisamment fait et de faire mieux. Le parti Femu a Corsica est à la fois dans l’accompagnement, dans le soutien, et en même temps dans une exigence parce qu’on fait partie aussi d’une lutte qui a 50 ans de sacrifices. Nous serons plus exigeants dans des marqueurs forts du nationalisme corse, la langue, la terre, etc.

 

Les autres forces en présence

Le contexte est nouveau. Il y a un bloc populiste qui semble s’enraciner en Corse, il faut le prendre en compte. Il y a un bloc conservateur, néfaste pour l’avenir, qui peut s’allier avec des forces dites progressistes. Et il y a entre guillemets le « bloc nationaliste » sur lequel en tous cas pour notre part nous nous positionnons. Il y aura des échéances, des discussions. Si des convergences doivent arriver, au-delà du remaniement, elles doivent se faire sur le projet. Quel projet pour la Corse on veut ? À Femu a Corsica nous avons sans cesse prôné la convergence entre nationalistes, nous avons discuté des mois et des mois. Notre volonté c’était avant tout de faire peser la voix de la Corse à Paris. On marchera toujours sur deux jambes, la convergence essentielle avec les nationalistes, et les forces de progrès qui sont aussi parties prenantes de notre démarche.

 

Le bilan de la majorité

À Femu a Corsica on prend le bilan dans son ensemble depuis 2015. Il y a un bilan satisfaisant dans beaucoup de domaines. On a sécurisé les transports aériens et maritimes, sur l’aérien on a fait de gros efforts au niveau des prix. Au niveau du logement, des processus d’aides, Una casa per tutti. On pourrait parler de l’université… Le problème c’est que l’on a mal communiqué. Le bilan existe, transports, énergie, logement, eau, démocratie… Dire que tout a été fait, ce serait mentir. Il faut avancer plus vite, plus fort et c’est l’idée du redéploiement des mois à venir. •

 

* Jeune corse assassiné lors de la fusillade du Lamparo à Aiacciu.