Mardi 8 novembre dernier, Donald Trump a remporté une majorité de grands électeurs et deviendra, le 20 janvier prochain, le 45e Président des Etats-Unis. Mais doit-on se réjouir de son élection? Victoire de Trump ou défaite de Clinton?
Tout d’abord, clarifions une chose: le candidat républicain, bien que minori- taire en voix, a une majorité absolue de grands électeurs (306/538), les règles étaient claires et connues de tous avant les élections. De ce fait, il doit être élu Président des États-Unis. Car, souhaiter que les grands électeurs ne respectent pas leur mandat reçu du peuple reviendrait à refaire voter un peuple sous prétexte qu’il aurait mal voté. Chose qui est devenue malheureusement trop commune en Europe et qui est l’une des raisons du rejet du projet européen. Mais, au-delà de la victoire de Trump, c’est surtout le clan Clinton qui a perdu. Le candidat républicain a obtenu 60,3 millions de voix, soit sensiblement autant que Romney en 2012 (60,9 millions) et que Mc Cain en 2008 (59,9 millions). Autrement dit, l’électorat conservateur a fait le plein, ni plus, ni moins. Hillary Clinton, la millionnaire, a obtenu 60,9 millions de voix, soit 600.000 de plus que le milliardaire Trump mais elle fait surtout 5 millions de voix de moins qu’Obama en 2012 et 9 millions de voix de moins que le premier Président noir américain, lors de son élection en 2008! Autrement dit, alors qu’elle a dépensé sans compter, que tous les médias, ou presque, roulaient pour elle, que le « système » l’avait adoubée, l’électorat démocrate ne voulait pas de la candidature de Clinton, la « candidate de Wall Street », et il ne s’est pas déplacé, humiliant Clinton d’une défaite inimaginable. Si elle a perdu, elle a perdu seule, comme Jospin, en 2002, était seul responsable de sa défaite! Soutenue par les plus pauvres et les minorités (blacks, latinos, asiatiques, jeunes, femmes, juifs…), la candidate démocrate a perdu parce qu’elle ne portait aucun espoir, elle était même détestée par l’électorat qu’elle devait conquérir, c’est dire ! Bernie Senders, le perdant de la primaire démocrate, aurait-il fait mieux ? Lui, au moins, portait un message, un espoir, il mobilisait les foules, surtout chez les jeunes et les déclassés sociaux.
Le sentiment de déclassement ! En atten- dant, le candidat du Grand Old Party (GOP) a remporté l’élection en cartonnant dans le cœur de cible de son électorat: l’homme blanc conservateur du monde rural. Le temps d’un vote, ce dernier, à tort ou à raison, a eu l’impression de reprendre le pouvoir, de gifler Wall Street, de rejeter le système et de se sentir écouté, peu importe les frasques, les pitreries, les injures de l’ex-star de la Téléréalité. Trump est l’homme qui parle à l’oreille des déclassés, ou du moins, de ceux qui se sentent déclassés. Et c’est ça qui a plu chez lui ! Il faut comprendre cet « homme blanc conservateur » qui, bien que majoritaire dans le pays, a le sentiment d’être devenu une minorité « chez lui ». Cet homme blanc qui, bien que descendant d’immigrés, a le sentiment d’être envahi par des hordes d’étrangers. Qui, bien que plus riche que la moyenne américaine, a l’impression de s’être appauvri à cause de la crise des subprimes (dont Bill Clinton est tout aussi responsable que Georges W. Bush). Il faut comprendre que cet homme du rural ne voit pas où sont les bienfaits de la mondialisation, où sont les emplois du libre-échange, où sont les richesses de la croissance si ce n’est « en ville », là où les votes se tournent majoritairement vers les démocrates. Ce ressort-là, c’est le même qui a fonctionné lors du référendum sur le Brexit avec un électorat populaire et progressiste qui refuse le choix morbide entre la sortie de l’UE (ou l’Union telle qu’elle est) et un électorat du rural exclu du système et qui n’a plus que son vote pour dire « merde » au système politico-médiatique. En réalité, ce ressort fonctionne un peu partout en Europe: de la Hongrie d’Orban à la Pologne du PiS, de l’Italie de Beppe Grillo au vote FN en France. Seuls, les particularismes « locaux » changent pour tenir compte d’une tradition politique. Par exemple, la Pologne ayant connu le communisme se jette dans les bras de conservateurs catholiques quand le nord de la France, abandonné par les socialistes et les communistes, se livre à une Marine le Pen qui a un discours très interventionniste. Mais le ciment de tous ces rejets : c’est l’anti- establishment, l’anti-système, l’anti-clan.
L’anti-establishment et sa cristallisation. Depuis la fin de la seconde guerre mondiale, nos démocraties libérales sont divisées selon un clivage classique gauche-droite qui n’a plus de sens depuis plusieurs années, si ce n’est depuis des décennies. L’ensemble des courants socialistes ou socio-démocrates ayant épousé les thèses du néolibéralisme (c’est vrai aux États-Unis avec Bill Clinton, à Bruxelles avec Schulz tout comme dans les États membres de l’UE avec Blair, Schroder ou Strauss Kahn), il n’y a plus d’alternance possible avec les partis traditionnels sauf sur les « questions de société » qui passent, qu’on le veuille ou non, au second plan quand la crise arrive. C’est ainsi que les élections se suivent et se ressemblent, le système est rejeté : que ce soit à la plus petite des primaires (Cécile Duflot : cheffe incontestée d’EELV, est battue au premier tour) comme à l’élection suprême américaine où Hillary Clinton est humiliée, en passant par le Brexit, la disparition du PASOK en Grèce, du PSOE en Espagne, et bientôt du PS en France. Le choix, aujourd’hui, est entre les tenants du système et ceux d’une alternative. Sauf que, si le premier bloc est solide et résiste encore, le second est en voie de cristallisation. Et ce second bloc peut basculer vers un système qui pourrait nous faire sortir de la démocratie, avec la vulgarité d’un Donald Trump, les mensonges d’un Nigel Farage, l’idéologie d’extrême-droite d’une Marine Le Pen ou alors permettre une véritable alternative démocratique, porteuse de progrès social pour tous. Et là, nous, les nations sans États, devons être dans le camp de l’anti-establishment, de l’anti-système, de l’anti-clan mais nous devons rejeter tout autant la voie qui nous mènerait à sortir de la démocratie. Car la démocratie, ce n’est pas être élu, la démocratie, c’est la protection des minorités par la majorité. Nous devons nous battre, comme les nationalistes en Écosse, en Catalogne, aux Pays Basques ou encore en Corse, pour que la cristallisation de l’anti-système se fasse sur nos valeurs de progrès et de justice et non autour de celles et ceux qui viennent de remporter les élections outre Atltantique. Être anti-establishment, anti-système, anti-clan : c’est bien mais ce n’est pas suffisant ! Il faut porter l’espoir d’un monde meilleur, et nous, nous portons l’émancipation de nos peuples qui passe par l’émancipation de chacun et chacune d’entre nous !
Roccu Garoby.