Les chars turcs ont franchi la frontière pour attaquer la ville majoritairement kurde d’Afrine, au nord-ouest de la Syrie. Les bombardements ont fait des victimes civiles, les miliciens kurdes ont riposté avec des roquettes, mais le conflit est militairement asymétrique contre une armée régulière forte de l’appui de son aviation.
Les miliciens kurdes ont été les « héros » de la lutte contre Daech, Leur résistance dans la ville frontalière de Kobané, malgré la passivité délibérée de l’armée turque positionnée à quelques centaines de mètres à peine le long de la frontière, a été le premier coup d’arrêt à la progression des forces islamistes. Elle a amené les combattants et les combattantes kurdes du PYD (Parti de l’Union Démocratique, appuyé par l’organisation armée YPG, Unités de Protection du Peuple) à jouer un rôle majeur au sein de la coalition qui est en train de vaincre l’État Islamique. Ils sont la force de terrain principale dans le nord de la Syrie, ayant assuré l’accueil et la protection des réfugiés yézidis ou chrétiens, et ils sont un pilier reconnu de la coalition qui a progressivement reconquis le territoire, à Raqqa, à Alep, et dans toutes les villes du Nord de la Syrie.
Cette position de force des Kurdes en Syrie exaspère au plus haut point la Turquie car YPG est une émanation directe du PKK qui, dans le Kurdistan de Turquie, mène la lutte contre Ankara. Très clairement la Turquie espérait la défaite des Kurdes contre Daech, comme ils l’avaient scandaleusement montré lors du siège de Kobané.
Avant le conflit, le territoire reconnu aux Kurdes en Syrie était limité au gouvernorat de la région située au nord-est du pays (Djézireh), dans la zone limitrophe entre Irak et Turquie. Deux autres zones sont à peuplement kurde majoritaire, la région de Kobané au centre et celle d’Afrine à l’ouest. Les trois territoires kurdes de Syrie, physiquement séparés par des centaines de kilomètres, forment la Rojava, une région gérée de façon confédérale. Mais, depuis le début du conflit, les forces kurdes ont conquis de nouveaux espaces, et permis la jonction des territoires de Djézireh et Kobané. Manifestement, le premier objectif des militaires turcs est d’empêcher que cette recomposition territoriale n’aille jusqu’à Afrine et ne s’impose ainsi tout le long de la très longue frontière (1000 km) entre Turquie et Syrie.
En mars 2016, la Rojava a été proclamée région autonome de Syrie par les autorités kurdes, avec le soutien de leurs alliés syriens, mais sans l’aval des USA inquiets de la réaction de la Turquie pour qui les Kurdes sont plus que jamais l’ennemi à abattre. Les négociations pilotées par les Russes prévoient une région autonome kurde dans le Nord de la Syrie dans le cadre du règlement politique qui devra, un jour ou l’autre, mettre fin au conflit en cours, mais les désaccords sont encore nombreux, à commencer par l’avenir de Bachar El Assad.
Par ailleurs Moscou s’est aussi rapprochée fortement d’Ankara pour contrer l’influence américaine, au détriment des Kurdes. Et les Turcs feront tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher l’extension du territoire kurde, et sa reconnaissance par les autorités internationales. D’où l’intervention militaire décidée par Erdogan dans l’enclave d’Afrine qui est située dans la zone d’influence du régime syrien grâce au soutien de l’armée russe.
Pour les Kurdes, la première réponse est diplomatique. La coalition des USA et de leurs alliés dont la France leur assure une protection à Kobané et dans les territoires plus à l’est qui sont sous leur zone d’influence. La France a demandé une réunion d’urgence du Conseil de Sécurité de l’ONU.
Les milices affiliées à Al Qaïda (Front Al Nosra), qui soutiennent l’offensive turque et attaquent les combattants kurdes, sont dénoncées de façon unanime comme étant une résurgence du mouvement djihadiste pour qui l’islam tolérant des Kurdes, avec la place particulière faite aux femmes, est l’ennemi à abattre.
Pour les Kurdes, la guerre contre Daech est presque finie, mais les difficultés ne font que commencer ! Pourtant ils sont aujourd’hui, plus qu’ils ne l’ont jamais été depuis bientôt un siècle et le traité de Lausanne qui les a rayés de la carte en 1923, en situation de réussir de grandes avancées politiques.
François Alfonsi.