C’est un document très officiel que l’on peut trouver sur le site internet du Sénat. Il a été rédigé au début des années 2000 « dans la perspective d’examen par le Parlement du projet de loi d’orientation pour l’outre-mer ».
Ce tour d’horizon ô combien instructif porte sur huit îles ou archipels d’Europe : îles Feroé et Groenland au Danemark, Baléares et Canaries en Espagne, Sardaigne et Sicile en Italie, Madère et Açores au Portugal.
La note de synthèse du rapport constate que « à l’exception de la Crête, les principales îles européennes disposent d’une large autonomie ». Le Sénat montre par son rapport que les statuts d’autonomie sont la règle en Europe pour les îles, à part en France et en Grèce. Et que la revendication d’une « autonomie de plein droit et de plein exercice » demandé par l’actuelle majorité territoriale en Corse n’a rien d’exagéré !
Contenu des autonomies
Au Danemark, les îles Feroe et le Groenland.
Il y a une gradation entre les différentes situations. Au Danemark, la situation est la plus avancée puisque l’autonomie s’y définit non comme une énumération des compétences déléguées par l’État aux Collectivités insulaires, le reste restant compétence de l’État, mais par le processus inverse: ce sont les compétences de l’État qui sont décrites par la Constitution (politique étrangère, défense nationale, justice et politique monétaire), tandis que tout le reste devient compétence exclusive des autorités locales, avec un pouvoir réglementaire et législatif entièrement dévolu aux peuples féroien (45 000 habitants) et groenlandais (56000 habitants).
En Espagne, Baléares et Canaries
Ces îles sont des « communautés autonomes » comme les autres entités régionales espagnoles, mais elles disposent d’un large champ de compétences exclusives, avec pouvoir législatif et réglementaire, dans les domaines social, économique, culturel et administratif. Le rapport indique que « si elle n’est pas propre aux archipels des Baléares (800000 habitants) et des Canaries (1,6 million d’habitants), cette autonomie est cependant remarquable compte tenu de leur population qui est relativement faible si on la compare à celle des autres communautés autonomes ».
En Italie, Sardaigne et Sicile
Les deux îles sont parmi les «cinq régions à statut spécial » distinguées par le Constitution italienne en raison de leurs «caractères culturels, linguistiques et historiques particuliers ». Les autres sont le Val d’Aoste, le Sud-Tirol et le Frioul dans l’espace alpin. Ces régions à statut spécial dit le rapport «se sont vues reconnaître par le législateur des compétences exclusives pour lesquelles elles détiennent le pouvoir législatif et réglementaire».
Au Portugal, Madère et Açores
Les deux îles peuvent «légiférer de façon autonome dans les matières intéressant spécifiquement la région en tenant compte des prescriptions constitutionnelles et (celles) qui ont été approuvées par le Parlement national ».
Pouvoir encadré de représentation à l’international
À cet exercice de leurs compétences pour administrer leurs territoires, les îles danoises ajoutent le pouvoir de négocier au plan international sur les domaines vitaux de son économie. Ainsi, c’est l’autorité des îles Feroé qui négocie directement la question des droits de pêche dans ses eaux territoriales avec l’Europe.
Au Portugal (Madère et Açores), les autorités insulaires sont associées à la négociation des accords internationaux qui les concernent directement, et elles peuvent même établir des liens directs avec d’autres régions étrangères et participer à des réunions de coopération inter-régionales.
Les statuts de la Sardaigne et de la Sicile prévoient la représentation de l’île lors de la négociation des projets de traités les concernant.
De même, le statut des Canaries prévoit la présence des représentants de l’archipel dans les délégations espagnoles participant à des négociations européennes particulièrement importantes pour l’archipel, et, d’autre part, son information sur toute négociation internationale le concernant.
Reconnaissance des peuples insulaires
Dans le statut des îles Feroé, adopté en 1948, l’article premier énonce que « le peuple féroien, par l’intermédiaire de ses représentants élus et d’un Exécutif établi par ces derniers, assume, dans le cadre de l’unité du royaume, l’administration et la direction des affaires féroiennes ».
En Espagne, la Constitution dispose dans son article 2 « l’unité indissoluble de la nation espagnole, patrie commune et indivisible de tous les Espagnols ; elle reconnaît et garantit le droit à l’autonomie des nationalités et des régions qui la composent et les solidarités entre elles ».
Aux Baléares, la langue catalane est langue officielle de la communauté, au même titre que le castillan.
Autonomie financière
Les îles danoises bénéficient d’une subvention forfaitaire allouée par le Parlement danois, pour environ un tiers de son budget pour les îles Féroé, et deux tiers pour le Groënland. Cette subvention est indexée sur la hausse des prix et des salaires. Le reste est pris en charge par la fiscalité décidée par les parlements féroien et groenlandais.
Pour les îles espagnoles (Canaries Baléares) la Constitution énonce : « les communautés autonomes jouiront de l’autonomie financière pour développer et exercer leurs compétences, conformément aux principes de coordination avec les finances de l’État et de la solidarité de tous les Espagnols ». L’article suivant précise que ces ressources proviennent de leurs propres impôts et taxes, d’un pourcentage des impôts d’État perçus sur leurs territoires et de subventions de l’État.
Pour les îles italiennes, les ressources sont assurées à 15% par les recettes propres. Elles sont complétées par une fraction des impôts nationaux perçus sur le territoire (en Sardaigne 70% de l’impôt sur le revenu, 90% des droits d’enregistrement, 50% des droits de succession), ainsi que des transferts en provenance du budget de l’État.
Pour les îles portugaises, l’autonomie financière est garantie par la Constitution qui les autorise à «exercer leur pouvoir de créer des impôts (…) ainsi que d’adapter le système fiscal national aux spécificités régionales». Leur budget est alimenté par les impôts et taxes perçus sur le territoire, y compris des droits de douane, les aides de l’État conformément au principe de solidarité nationale et les aides européennes.
Les limites de l’autonomie
Au Danemark, le « commissaire du royaume », représentant de l’État dans l’île, est informé de toutes les décisions prises par les autorités locales. Il siège sans droit de vote aux réunions de l’assemblée du territoire. Aucune décision locale ne peut empiéter sur les compétences réservées à l’État : politique étrangère,
défense, justice et politique monétaire.
Les traités internationaux auxquels le Danemark souscrit s’imposent également en cas de conflit avec une décision du Parlement local.
En Espagne, les compétences exclusives de l’État sont plus étendues qu’au Danemark. S’y ajoutent la législation du travail, les droits pénal et civil, et la santé.
La constitutionnalité des lois régionales est contrôlée par la Cour Constitutionnelle, et la Cour des Comptes intervient pour les aspects économiques et budgétaires. Un délégué du gouvernement est nommé par Madrid.
En Italie, les matières pour lesquelles les îles disposent de compétences exclusives sont limitativement énumérées dans leur statut. L’Etat est représenté par un « Commissaire » qui doit coordonner les fonctions administratives de l’Etat et de la Région. Chacune des deux assemblées peut être dissoute pour violation de son statut ou de la loi nationale.
Au Portugal, un « ministre de la République » est nommé par le Président de la République pour la durée de son mandat. Il promulgue les lois adoptées par l’Assemblée Territoriale. S’il s’y oppose, le texte est à nouveau soumis au Parlement régional. S’il y obtient la majorité absolue, il a alors l’obligation de le signer. Par ailleurs l’article 230 de la Constitution interdit aux régions autonomes de restreindre les droits des travailleurs, ou de réserver l’exercice d’une profession ou l’accès à la fonction publique à des personnes nées ou domiciliées sur le territoire. Lisbonne dispose également du pouvoir de dissolution des Parlements de Madère ou des Açores