Alors que le Président Macron a accepté d’inscrire la Corse dans la Constitution et de se laisser convaincre sur la place à lui donner et le contenu à y mettre, essayons d’y voir plus clair.
‘‘La Corse dans la République”
Tout d’abord, commençons par le plus évident. Modifier la Constitution n’est pas une chose anodine mais, d’une part, les Corses ont voté pour ‘‘une autonomie de plein exercice et de plein droit” en décembre dernier et d’autre part, Emmanuel Macron souhaite la réviser. Le calendrier est serré et il s’agit donc de ne pas rater le train constitutionnel, le premier depuis 2008. Et on ne sait pas quand partira le suivant !
Pour modifier la Constitution, il faut soit un référendum soit la majorité des 3/5 du Congrès, c’est-à-dire 555 des 925 parlementaires (577 députés et 348 sénateurs) après l’adoption par les 2 Chambres du même texte, à la virgule près. Autrement dit, la barre est haute !
Ensuite, il faut rappeler que le débat se concentre sur les articles 72, 73 et 74 de la Constitution française. On peut donc évacuer l’argument ridicule et sans fondement du risque que la Corse devienne indépendante avec l’article 74 qui mentionne la Nouvelle-Calédonie.
La question de l’indépendance de la Nouvelle-Calédonie pudiquement nommé ‘‘pleine souveraineté” est mentionnée dans les TITRE XIII ‘‘Dispositions transitoires relatives à la Nouvelle-Calédonie” qui contient 2 articles (76 et 77). C’est ce dernier qui définit ‘‘les conditions et les délais dans lesquels les populations intéressées de la Nouvelle-Calédonie seront amenées à se prononcer sur l’accession à la pleine souveraineté”.
Les articles 72, 73, 74 -mais aussi le 75 qui couvre les ‘‘langues régionales”- font partie du TITRE XII intitulé ‘‘des collectivités territoriales”. Bref, n’en déplaise aux jacobins de Corse ou de France, de 72 à 74, point d’indépendance !
‘‘L’article 72 : l’expérimentation”
Les plus conservateurs et/ou défaits aux élections de décembre dernier, nous expliquent que l’inscription de la Corse dans l’article 72 suffirait. Ce dernier, dans son premier alinéa, liste toutes ‘‘Les collectivités territoriales de la République (que) sont les communes, les départements, les régions, les collectivités à statut particulier et les collectivités d’outre-mer régies par l’article 74.” Bref, toutes les collectivités y sont mentionnées y compris celles définies par l’article 74.
Mais le troisième alinéa limite les pouvoirs des collectivités régies par l’article 72 en ne leur conférant qu’un pouvoir règlementaire. ‘‘Dans les conditions prévues par la loi, ces collectivités s’administrent librement par des Conseils élus et elles disposent d’un pouvoir réglementaire pour l’exercice de leurs compétences.”. Et le quatrième alinéa autorise ‘‘une dérogation” ‘‘à titre expérimental et pour un objet et une durée limités”. Autrement dit, l’article 72, c’est le droit commun avec une dérogation extrêmement limitée et strictement encadrée.
Mais l’article 72, c’est aussi le très intéressant -et rocardien- 72-3 : ‘‘La République reconnaît, au sein du peuple français, les populations d’outre-mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité”. Pourquoi ne pas inscrire le peuple corse dans le 72, alors ? Parce que l’alinéa suivant est clair, les populations d’outre-mer reconnues plus haut sont toutes dans les articles 73 et 74. Autrement dit, le peuple corse pourrait (partiellement) être reconnu mais pour cela il doit être dans l’article 73 ou 74.
‘‘Article 73 : l’adaptation”
Une fois qu’on a démontré que le 72 n’est pas efficace et ne reflète pas le choix du peuple corse, allons voir ce qui différencie l’article 73 du 74.
L’article 73 est limpide. Son premier alinéa définit le droit à l’adaptation : ‘‘Dans les départements et les régions d’outre-mer, les lois et règlements sont applicables de plein droit. Ils peuvent faire l’objet d’adaptations tenant aux caractéristiques et contraintes particulières de ces collectivités.”
Le droit à l’adaptation est défini par la loi ou par le règlement (2ème alinéa) mais le champ d’adaptation n’est ni obligatoire ni permanent (3ème alinéa) ‘‘les collectivités peuvent être habilitées, selon le cas, par la loi ou par le règlement, à fixer elles-mêmes les règles applicables sur leur territoire” et il est limité (3ème alinéa) ‘‘dans un nombre limité de matières pouvant relever du domaine de la loi ou du règlement.” et évidemment est exclu le régalien (4ème alinéa) ‘‘ces règles ne peuvent porter sur la nationalité, les droits civiques, les garanties des libertés publiques, l’état et la capacité des personnes, l’organisation de la justice, le droit pénal, la procédure pénale, la politique étrangère, la défense, la sécurité et l’ordre public, la monnaie, le crédit et les changes, ainsi que le droit électoral.”
L’article 73, objectivement plus large que le 72, limite grandement les marges de manœuvre de la collectivité territoriale car il n’y a pas de pouvoir permanent ni spécifique. On est dans l’adaptation au coup par coup. Voyons donc le suivant, le fameux article 74.
‘’article 74 : l’autonomie”
Dès le premier alinéa, l’article est clair : chaque collectivité a ‘‘un statut qui tient compte des intérêts propres de chacune d’elles au sein de la République”. Spécificités reconnues dans la République ? Aurait-on déniché le compromis parfait, celui qui explique que les élus de la République en Marche à l’Assemblée de Corse et Pierre Ghionga ont soutenu le texte de la majorité territoriale demandant une inscription à l’article 74, le vendredi 2 février dernier ? Un Jean Martin Mondoloni peut-il sérieusement et honnêtement être contre cela ?
Mieux, l’alinéa suivant précise que ‘‘ce statut est défini par une loi organique, adoptée après avis de l’Assemblée délibérante”. Autrement dit, une inscription de la Corse dans l’article 74 permettrait de faire adopter la Constitution rapidement et de négocier le statut de la Corse dans les 6, 12, 18 prochains mois car pour une loi organique, il ‘‘suffit” d’une majorité absolue au Palais Bourbon (289 députés sur 577) et non plus des 3/5 du Congrès !
Mais le plus intéressant dans l’article 74, c’est qu’il correspond en tous points au vote des Corses, car la loi organique doit fixer, entre autres choses, ‘‘les compétences de cette collectivité” en excluant ‘‘les matières énumérées au quatrième alinéa de l’article 73 (le régalien)”.
L’article 74 qui mentionne l’autonomie (le mot n’apparaît qu’une seule fois dans la loi fondamentale et c’est dans l’article 74 !) précise que la loi organique peut définir ‘‘le rôle du Conseil d’État (contrôle juridictionnel spécifique)” et que la collectivité ‘‘peut modifier une loi promulguée postérieurement à l’entrée en vigueur du statut de la collectivité, lorsque le Conseil constitutionnel, saisi notamment par les autorités de la collectivité, a constaté que la loi était intervenue dans le domaine de compétences de cette collectivité”. Autrement dit, si l’État légifère sur un domaine de compétences du territoire autonome, le territoire autonome peut modifier la loi. C’est la définition même de l’autonomie ! Chacun ses compétences et donc chacun ses responsabilités !
Enfin, pour parachever l’argumentation en faveur de l’article 74, l’antépénultième phrase de cet article stipule que la ‘‘loi organique peut déterminer les conditions dans lesquelles des mesures justifiées par les nécessités locales peuvent être prises par la collectivité en faveur de sa population, en matière d’accès à l’emploi, de droit d’établissement pour l’exercice d’une activité professionnelle ou de protection du patrimoine foncier.”
N’est-on pas là en train d’ouvrir la possibilité d’une reconnaissance du peuple corse et la possibilité de valider la charte de l’emploi local, le statut fiscal et social ainsi que le statut de résident, autant d ‘éléments qui ont été validés pacifiquement, majoritairement et démocratiquement par les Corses en décembre dernier ?
Bref, l’article 74, par son contenu constitutionnel et ses possibilités législatives, correspond en tous points au vote des Corses, il répond aux peurs de ceux qui ne veulent pas voir la Corse sortir de la République et respecte les ‘’lignes rouges” dressées par le chef de l’État ! Alors, on attend quoi ?
Roccu GAROBY
Vice-Président de l’Alliance Libre Européenne Jeune