On n’imaginait pas Jean Guy Talamoni en lecteur assidu du site internet de la Préfecture de Région. La dernière session de l’Assemblée de Corse a montré le contraire : la motion qu’il a déposée et faite voter par les élus est plus qu’instructive ! Un mois après l’épisode du directeur de l’administration fiscale sur l’île qui annonçait sans sourciller viser les Corses en priorité lors des contrôles fiscaux, les relents colonialistes à propos de l’Histoire de la Corse retraitée par la Préfectorale en disent long sur l’état d’esprit qui règne au sein de la haute administration d’Etat sur l’île.
Le grand référent des rédacteurs de ce site est ainsi Giròlami-Cortona, « historien » du tout début du XXème siècle, à qui la ferveur patriotique tricolore qui soufflait avant que n’éclate la Grande Guerre a inspiré ce propos sur la Corse : « Tous les peuples l’ont convoitée. Fière, elle a résisté avec héroïsme à tous. Enfin, est venu le beau Français qui l’a prise de force, et, comme la Sabine, elle a fini par aimer passionnément son ravisseur ».
Cent ans plus tard, il est singulier de relire cette citation reprise à son compte par l’autorité préfectorale, alors qu’elle a, comme le souligne la motion votée par la Collectivité de Corse, « une indéniable portée coloniale, voire sexiste ».
D’autres emprunts de ce site à différents auteurs historiques sont eux aussi « retravaillés » pour mieux « coller » avec le postulat d’une Corse, certes bousculée, mais finalement consentante à son annexion par la France.
Ainsi, un récit de la période de l’indépendance évoque un « essai de négociation » de la France avec « le chef de la jeune nation » : en fait c’est Gênes qui est l’interlocuteur de cette négociation, dans le texte original de l’historien Jean Claude de Pasquale que la prose de la Préfecture plagie mot à mot. Pourquoi cette mystification ?
La motion de Jean Guy Talamoni démonte le subterfuge : « cette transformation a pour objectif de minimiser l’annexion brutale et sanglante de la Corse en présentant la France comme une puissance qui tente de négocier (« la France essaie de négocier ») face à un Pasquale Paoli qui refuserait (« Elle n’obtient de Paoli que la réaffirmation de sa volonté d’indépendance ») ».
Un autre passage éloquent est celui qui traite de l’après Ponte Novu. Pour le site préfectoral, « La France s’efforce de consolider et d’asseoir pacifiquement sa présence en Corse ». Oubliés les pendus du Niolu, les massacres du Fium’Orbu, et réhabilités les Morand et les Marboeuf, ce même Marboeuf qui avait écrit au temps où il dirigeait les troupes françaises en Corse : « Pour parvenir à éteindre tout à fait une race aussi exécrable, le premier moyen étant de leur retirer la facilité des retraites que leur offre les maquis, nous avons pris la résolution de les faire brûler dans toute l’étendue de l’île ».
Le Préfet Schmeltz a aussitôt fait effacer ce texte du site internet de la Préfecture. Mais il faut s’interroger sur la construction intellectuelle qui a présidé à sa rédaction, puis à sa publication. Beaucoup de signaux convergent en effet qui montrent que le nouveau pouvoir est en grande partie habité par la « cause sacrée » chère à Jean Pierre Chevènement, celle que le patron du Trésor Public cultive à sa manière en matière de contrôles fiscaux. Yves de Molliens, un mois après le scandale de ses propos rendus publics par des syndicalistes FO ou CGT, est toujours en poste. Et les syndicalistes seraient sommés de retirer leurs témoignages sous peine de ses retrouver mutés au loin…
La pyramide du pouvoir qui gère le dossier corse a une colonne vertébrale construite au sein de la Préfectorale. A son sommet, l’ancien Préfet de Corse Patrick Strzoda, aujourd’hui directeur du cabinet d’Emmanuel Macron. La nouvelle Préfète nommée en Corse était sa collaboratrice directe quand il était Préfet à Nanterre. Autour d’un Emmanuel Macron pétri d’un messianisme genre « France éternelle », cet environnement ouvertement jacobin n’aide pas à construire un climat de dialogue.
François Alfonsi.