Encore une fois à la suite d’un simple match de football, un racisme primaire anti corse s’est réveillé et les réseaux sociaux se sont emballés sur des propos haineux relevant de la diffamation publique, voire du délit ou du crime. Ce qui a amené le président de l’Assemblée de Corse, Jean Guy Talamoni, a prendre l’initiative de constituer un Collectif d’avocats « pour protéger les intérêts moraux du peuple corse ».
Explications.
Vous avez pris une initiative peu commune pour un président d’une assemblée d’élus d’une région, mettre en place un collectif d’avocats pour dénoncer le racisme anti-corse qui nous affecte à intervalles réguliers…
expliquez-nous.
C’est une initiative que j’ai été contraint de prendre devant une polémique d’une violence rare. Il ne s’agit pas de football lorsqu’on lit certains propos, insultes, mais aussi des appels à commettre des crimes envers notre peuple. Je cite seulement le fameux hashtag #mortauxcorses. Des attaques contre les Corses il y en a eu depuis des années, mais une telle campagne de haine, cela faisait longtemps qu’on n’y avait plus assisté. Cela rappelle les mêmes appels aux meurtres de «mort aux Corses » dans la presse au lendemain de la défaite de 1870 sous le Second Empire, article de presse qui ont ensuite dégénéré. À Marseille, quelques malheureux furent jetés à la mer, et à Paris, deux Corses, Vincensini et Poli, furent jetés dans la Seine, tout comme un siècle plus tard Brahim Bouarram, pour les mêmes raisons, le racisme et la bêtise vont souvent de pair.
Dans un tel contexte, ce racisme et cette bêtise peuvent être partagés…
Certes. La différence, c’est que les racismes anti-français, anti-maghrébin ou antisémite, peuvent être condamnés par les tribunaux, fort heureusement.
Mais le racisme anti-corse non, car la Cour de Cassation a décidé en 2002 que les Corses ne faisaient pas partis des catégories protégées par la loi sur la presse de 1881. Les magistrats se sont appuyés sur l’arrêt du Conseil Constitutionnel de 1991 qui avait annulé la notion de «peuple corse ». À entendre donc les juges les plus renommés de France, comme il n’existe pas de peuple corse, on peut dire et écrire n’importe quoi sur les Corses et il est alors possible de proférer des propos haineux à leur endroit. Pour ma part, comme président de l’Assemblée de Corse, j’ai reçu de nombreuses sollicitations pour faire respecter les droits moraux des Corses.
Le football est souvent l’occasion de dérapages racistes au point d’être banalisés… certains médias sur le continent vous accusent de « délire victimaire »…
Il y a un vide juridique extrêmement préjudiciable parce que ce qu’ont compris les internautes qui insultent et menacent les Corses de meurtre aujourd’hui sur les réseaux sociaux, c’est qu’ils ne peuvent pas être poursuivis ou que s’ils l’étaient, ils auraient de bonne chance d’obtenir une relaxe. Donc il y a un problème juridique que l’on doit traiter. Le racisme, qu’il soit anti-corse, anti-français, anti-maghrébin ou autre, n’est jamais admissible. Faut-il rester inerte alors que je suis interpellé en ma qualité de président de l’Assemblée de Corse et que les tensions s’aggravent ? Juriste de formation, j’ai la faiblesse de croire que le droit n’est pas inutile et qu’il a été inventé pour réguler les rapports au sein de la société. La démarche proposée n’est en rien vindicative. Elle est née de l’idée que la règle et les juridictions peuvent constituer un remède contre la montée des tensions, et donc des périls.
En quoi consiste-t-elle exactement ?
J’ai appelé les avocats de Bastia, d’Aiacciu et même ceux exerçant à l’extérieur de l’île, à constituer un Collectif pour assurer la protection légale des Corses ainsi qu’elle existe pour les autres peuples, confessions ou religions. J’ai également invité les présidents de groupes de l’Assemblée à se joindre à cette démarche. Les groupes nationalistes et le groupe Andà per Dumane ont accepté d’y participer. Quant aux avocats, plusieurs dizaines ont répondu à mon appel. Et nous avons donc commencé à travailler sur ce problème.
L’idée est d’engager des procès à l’encontre de ceux qui insultent les Corses, et d’essayer de faire changer la position de la Cour de Cassation, et si nous n’y parvenons pas, de saisir la Cour européenne des droits de l’homme.
Autre possibilité, demander aux six parlementaires corses de préparer une proposition de loi pour modifier le texte de loi de l881 afin qu’il protège les communautés territoriales et culturelles.
Notre démarche n’est pas agressive, ni de victimisation, l’objectif est d’apaiser la situation et de faire en sorte que les Corses soient défendus par le droit.