Lors de son récent congrès ce 10 juin à Borgu, Jean Brignole a été réélu sans surprise secrétaire national du Sindicatu di i Travagliatori Corsi. À la tête du syndicat nationaliste jusqu’en 2022, plus que jamais il entend placer ce troisième mandat sous le signe de la lutte pour la corsisation des emplois.
Interview.
Vous avez été réélu de façon unanime et sous les bravos de tous les adhérents, le résultat d’un mandat bien mené?
Comme nous le disons en titre de notre Motion d’Orientation Générale, 34 anni di lotta senza pientà.
Cette réélection n’est pas ma réélection mais la confirmation du travail fourni par la Commission Exécutive, et au-delà du travail fourni sur le terrain par l’ensemble des sections et des militants. Un mandat bien mené, je dirais plutôt un travail de plusieurs mandats sur plusieurs décennies.
Il y a 34 ans, en 1984, lorsque le STC est né, certains nous prédisait « syndicat mort-né ».
Qui pouvait prévoir que nous deviendrions la première organisation syndicale de Corse?
Si nous faisons l’analyse de ce qui s’est passé, combien d’embûches avons-nous dû surmonter?
Des embûches parce que nous étions un syndicat nationaliste; des embûches parce que les règles en vigueur à l’époque, concernant la reconnaissance du syndicat, sa représentativité, ses moyens propres, étaient très souvent mis en avant par l’État et les autres organisations syndicales. Nous les avons toujours surmontées, souvent avec difficultés, mais toujours avec la même volonté, sans jamais baisser les bras, pour doter notre Peuple d’un outil efficace, au service des travailleurs et de la Corse.
Nous avons fait du STC au fil du temps «un syndicat nationaliste mais pas un syndicat de nationalistes». On peut même dire que ce discours d’ouverture était, bien avant l’heure, celui prôné aujourd’hui avec une audience majoritaire sur le plan politique. Ce positionnement a sans nul doute permis au STC de se développer, que ce soit en nombre de sections, d’adhérents et de victoires dans différentes instances.
L’évolution du syndicat est plus que positive.
Ne soyons pas modestes.
Pourtant vous avez dit « les choses n’avancent pas », pourquoi?
Parce qu’en tant que syndicalistes, nous aimerions que les choses évoluent plus rapidement pour le sort des travailleurs et des petits.
Nous ne pouvons accepter que, sous couvert de modernité, de simplification, l’on remette en cause des acquis sociaux, alors que l’on accorde encore plus de privilèges à des nantis.
La Corse n’échappe pas à cette règle.
Esse di stu paese è pudè ci travaglià. La revendication fondamentale du STC est fortement liée à la préservation du peuple corse comme communauté de destin, dont un des droits fondamentaux est celui de pouvoir travailler dans son pays.
Votre mot d’ordre reste plus que jamais la corsisation des emplois?
Force est de constater que l’ensemble des raisons qui ont conduit à la création d’un Syndicat des Travailleurs Corses, sont plus que jamais d’actualité.
La paupérisation des travailleurs corses est un phénomène grandissant, dont les causes sont la vie chère, véritable racket au profit de quelques-uns. Notamment dans la grande distribution et avec le coût du carburant. Dans ce contexte, la spéculation immobilière et foncière qui exclut les Corses de leur terre vient aggraver ou se nourrir de ce constat alarmant.
La notion de corsisation des emplois est la clef pour permettre la survie du peuple corse sur sa terre, et pouvoir continuer à envisager un jour une reconnaissance juridique.
Cette question est d’autant plus d’actualité que le refus des organismes représentant le patronat corse de ratifier la charte pour l’emploi local est caractérisé et le nombre de signatures dérisoire.
Pour ceux qui l’ont validée, comme les chambres consulaires, on peut s’interroger si ce recrutement « local » concerne exclusivement le recrutement dans leurs institutions ou bien si elle traduit l’engagement de leurs ressortissants, qui ne paraissent pas l’appliquer.
Charte de l’emploi local que le STC a, dès le début, considéré comme « un code de bonne conduite » mais qui avait le mérite d’exister et de créer une réflexion collective.
Le STC, fort de son enracinement, et de par son champ d’action dans le domaine social, a donc un rôle primordial à jouer dans le combat pour l’émancipation nationale de ce pays.
Les années qui viennent seront décisives sur ce plan, car la Corse est désormais en passe d’atteindre un point de non-retour.
Quelle stratégie proposez-vous pour impulser une nouvelle dynamique?
Le STC doit prendre plusieurs initiatives en interne et en externe au cours des mois à venir.
Sur le plan de sa structuration, il doit intégrer la nécessité de mieux sensibiliser ses sections sur l’objectif de libération nationale et sociale.
La Commission Exécutive issue de ce congrès devra élaborer une stratégie de combat qui doit permettre une meilleure réactivité pour s’insérer dans des luttes de terrain qui seront indispensables et inéluctables à l’avenir. C’est la phase préliminaire qui doit permettre au STC de lancer, à l’horizon 2019, une campagne d’ampleur avec des actions importantes sur ce thème de la Corsisation des emplois.
Cela demandera l’implication de l’ensemble des adhérents de manière synchronisée et structurée. Aucun secteur d’activité, notamment et surtout le privé, ne doit être absent de ce combat, qui doit s’inscrire dans la durée.
D’où la nécessité absolue de le planifier, car au vu de la situation, cette lutte ne peut plus se résumer à quelques protestations en réaction par section, et de plus en plus de manière résiduelle et limitée au secteur public.
Plus de 7000 adhérents, des progressions aux différents scrutins, le STC se porte bien?
Le STC se porte bien, il est victime de son succès. Près de 12000 voix aux différents scrutins, public et privé, la deuxième organisation syndicale à 7200 voix, les autres à 3900 et 3200. Tamantu passu fattu!
De plus en plus de gens viennent vers nous, car la situation économique est tendue, inquiétante.
Les difficultés grandissantes pour les travailleurs, les inégalités qui se creusent, la crainte pour l’avenir. Alors qu’autre part, il y a un certain désamour pour les Organisations Syndicales, en Corse et en particulier parce qu’existe le STC, les demandes sont de plus en plus nombreuses. C’est un challenge supplémentaire pour nous.
Lors de ce dernier congrès, nous avons renouvelé près d’un tiers de notre Commission Exécutive, afin de préparer l’avenir et créer les conditions de la relève.
2018, en décembre auront lieu des élections dans les trois fonctions publiques, (Etat, Territoriale, Hospitalière). Le STC qui est déjà majoritaire, et ce depuis les élections de décembre 2014, devra conforter et améliorer son implantation et en particulier au sein de la Collectivité de Corse. C’est aussi un des enjeux de notre dernier congrès.
La reconnaissance au niveau «national » reste cependant un combat…
Nous avons vécu l’épisode inacceptable des élections TPE de 2016 lors duquel, nous avons assisté à un déferlement de haine envers notre organisation syndicale de la part de l’ensemble des Confédérations Syndicales Nationales.
Sur ce sujet, comme nous l’écrivions dans notre Motion d’Orientation Générale, «L’Article 72 de la Constitution Française, même affublé d’un paragraphe 5, ne correspond pas à notre volonté, y compris en tant que syndicat particulier et original »
Des moyens, des participations à certaines structures, à certaines commissions, ne nous sont pas reconnus, car le statut de la Corse d’aujourd’hui, et y compris celui de demain, ne nous permet pas de faire valoir une réalité sociale dans les textes réglementaires.
Les article 73 et 74 qui concernent les régions ultra-marines sont à ce titre plus avantageux car les avis de leurs structures politiques (conseils départementaux et conseils régionaux) sont pris en compte afin d’écrire la loi, y compris de portée générale.
Les dernières lois sociales et ordonnances vont sûrement complexifier encore un peu plus le dialogue social. Encore, un challenge pour nous. Liberazione suciale, liberazione naziunale!