Le Président du Conseil Exécutif était l’invité du premier Cuntrastu de la rentrée, sur Via Stella, avec sa nouvelle formule et ses invités, laissant une meilleure place à la pluralité des opinions et donc à un débat interactif. L’occasion de faire le tour de plusieurs sujets, de fonds ou d’actualité pour Gilles Simeoni. Extraits*.
Le dialogue avec le gouvernement
On nous a reproché d’avoir consacré trop de temps à la discussion avec le gouvernement, par rapport aux fondamentaux qui justifient notre engagement. Or nous considérons que lorsque les Corses de façon massive nous ont mandaté pour négocier une autonomie de plein droit et de plein exercice, le rapprochement des prisonniers politiques, une solution politique, un statut fiscal, il est de notre devoir de le faire. Mais pour un dialogue il faut être deux. Nous sommes disposés et le resterons dès lors que c’est un dialogue loyal.
Mais nous sommes aujourd’hui face à un mur.
Ce mur nous allons le dépasser. Dès lors que nous avons dit et fait partager l’idée qu’il n’y avait pas de place pour la violence clandestine, nous ne pouvons avancer autrement que de façon démocratique. Ça impose aussi que nous réfléchissions à notre stratégie, que nous trouvions des partenaires qui nous aident, en France et en Europe. C’est ce que nous sommes en train de faire. Cela ne se réalise pas en quelques mois. Mais nous avons cette volonté d’aller au bout de ce pourquoi nous nous sommes engagés, et ce pourquoi d’autres avant nous se sont battus depuis un demi-siècle.
Le départ des Ghjurnate Internaziunale
Fondamentalement et avant tout je pense qu’il y a un peuple corse et que ce peuple corse doit être reconnu dans ses droits. Les Corses nous ont donné mandat de construire une société corse démocratique, de placer l’éthique au coeur de notre démarche. Et nous devons envoyer des signaux qui sont en cohérence avec ces attentes et avec ces engagements. J’ai quitté les Ghjurnate parce que l’organisation du débat qui était retenue par les organisateurs n’était absolument pas celle qui avait été actée entre nous. Ceci étant je ne souhaite pas personnaliser et ce d’autant mieux que nous sommes aujourd’hui dans un contexte où l’État se sert en permanence d’un certain nombre de difficultés ou cherche à instrumentaliser les divisions. Je suis un homme
de convergence, je suis un homme de dialogue, mais je suis aussi un homme de convictions.
Dans ce cas comme dans d’autres, personne ne m’imposera des choses que je ne veux pas faire. Et je ne laisserai pas croire que l’on peut être en position d’imposer des choses qui n’auraient pas été validées de façon démocratique.
La structuration de Femu a Corsica
Tout le monde sait très bien que la priorité pour notre courant d’idées qui est le courant majoritaire, c’est la structuration de Femu a Corsica. Nous allons –enfin– parce que je pense que c’est quelque chose d’indispensable pour le bon fonctionnement de l’ensemble de la majorité, aller vers cette assemblée générale constitutive qu’est la désignation des instances, avec une organisation qui permettra bien sûr l’expression des sensibilités. Un grand congrès de Femu a Corsica aura lieu à la fin du mois d’octobre, le 21 ou le 28. Notre volonté c’est de dépasser le PNC, de dépasser Inseme, d’ouvrir cet espace politique qui va permettre aux milliers de Corses, de femmes et d’hommes de toutes générations, en Corse et à l’extérieur, qui se reconnaissent dans la démarche que nous avons initiée, qui a joué un rôle majeur dans la victoire du nationalisme en 2014 d’abord à Bastia, en 2015 ensuite et en 2017 de façon réitérée, d’avoir la structure, le mouvement, le parti, qui leur permettra de s’investir pleinement.
La compagnie maritime
Nous avons remis le bateau à flot. Là où hier on dépensait 130 millions d’euros par an au temps de la mandature Santini, 104 millions d’euros à notre arrivée, nous ne dépensons plus que 75 millions. Nous avons économisé 30 millions pour un service renforcé, avec des diminutions de 25% pour les résidents, et jusqu’à 40% sur le fret. La DSP qui a été votée, pour la première fois n’a pas été contestée en justice. Nous gérons judiciairement un héritage douloureux qui pourrait nous coûter 120 millions d’euros suite aux erreurs cumulées des mandatures Santini et Giacobbi.
Nous nous sommes rapprochés de l’Union Européenne, aussi bien dans le cadre du transport maritime que du transport aérien, pour mettre en place des processus qui seront irréprochables et validés. Nous travaillons et avançons.
Dans l’aérien, nous sommes tenus aujourd’hui par une Convention de Délégation de Service Public signée avant notre arrivée. Notre objectif, c’est de mettre le bord à bord à 99 euros, et le Bastia-Paris à 199 euros. Des diminutions de tarifs très conséquentes. C’est la prochaine Convention DSP qui permettra de le mettre en oeuvre.
L’affaire de Tavera
Nous avons réaffirmé qu’il ne pouvait pas y avoir dans la société corse de place pour les menaces ou pour les pressions et qu’il ne pouvait pas être question de cautionner ou de laisser faire des actes qui viserait à priver par la force des bergers du droit d’aller dans les estives. Nous avons discuté avec l’ensemble des protagonistes, y compris avec la commune de Tavera qui ne voulait pas de l’ouverture pérenne de la piste. Et nous avons trouvé un point d’accord qui a consisté à la réouverture de cette piste pour la saison pour bien montrer qu’il ne pouvait pas y avoir de prime aux actes de force. Nous avons convenu d’une réinstallation qui convienne aux bergers dans d’autres estives et que ceux qui voudraient aller sur les bergeries desservies anciennement par la piste, le feraient à pied, comme le font d’ailleurs beaucoup de bergers.
La mise en place de la Collectivité unique
J’entends les inquiétudes et sans doute devons-nous faire encore plus et encore mieux pour rassurer, écouter, impliquer, mais ce mécontentement et ces inquiétudes ne doivent pas occulter tout ce qui a été fait de positif. Nous avons fait en moins de 9 mois, ce que de simples régions qui ont fusionné, entre collectivités de même nature, n’ont pas fait en 24 ou 28 mois. Il s’agissait de faire travailler ensemble, d’harmoniser des structures différentes, des procédures différentes, des champs de compétences différents, des femmes et des hommes qui vivaient dans trois collectivités, et de faire naître un sentiment d’appartenance. Est-ce que ce processus est arrivé à son terme? À l’évidence non. Est-ce que nous avons beaucoup avancé? Oui et je rends hommage à la fois au directeur général des services et aux DGA. Dès lors qu’elle s’exprime dans les formes requises, dans le respect des femmes et des hommes, et dans le respect de notre institution, la critique est naturelle et c’est un signe de santé démocratique.
Je continue d’être ouvert et en recherche d’améliorations, et ce sont les instructions que j’ai données, trouver les moyens d’avancer mieux et plus vite.
L’attente des Corses
Il y a aussi une impatience externe. Des maires, des présidents d’intercommunalités, ou tout simplement des citoyens, qui disent nous voulons plus de proximités, plus de présence, plus de réactivité. Nous avons commencé à le faire. Nous améliorons les process, nous rationnalisons.
On a adopté un règlement des aides qui renforce le soutien aux petites communes, notamment du rural et de l’intérieur, qui donne de l’équité, de la lisibilité, de la transparence, qui permet aux communes d’avoir une opération financée, structurante, hors dotation quinquennale, avec un fonds de territorialisation qui incite à penser le développement au niveau des régions et territoires. Nous devons travailler, fonctionner différemment et essayer d’optimiser l’argent public chaque fois qu’il est investi. C’est la logique de mutualisation, de définition de choix concertés, de territorialisation. Ça se construit, il faut du temps, mais nous sommes sur ce chemin-là.
La modification du Padduc et la possibilité d’ester en justice
Sur une question de Dumè Gambini d’U Levante
Aghju assai rispettu per l’azzione di U Levante è sò sempre statu à fianc’à elli, prima quand’eru militente, dopu quandu sò statu elettu è dipoi chì sò presidente di u Cunsigliu Esecutivu. Sò statu à cantu à elli quand’elli sò stati minacciati o tocchi d’attache, perch’è ùn hè micca accettèvule per nisun ma sopratuttu per quelli chì si bàttenu di manera pùblica, pacìfica, pè e so edee.
U Levante c’est une association, moi je suis Président du Conseil Exécutif de Corse et je dois défendre l’intérêt général, et l’institution dans ses prérogatives, ses attributions, au service d’une vision politique. Les choses sont claires. Pas de modification de la loi Littoral dans tous ses principes fondamentaux, et notamment la protection contre la spéculation et la bétonisation du littoral.
Deuxièmement, il n’y a pas de raisons de modifier le Padduc par rapport aux demandes qui pourraient être faites sur l’exploitation économique et les activités de plage.
Nous sommes dans une logique de réappropriation du Domaine Public. Lorsque nous défendons des activités économiques y compris de restauration sur les plages, cela ne veut pas dire que nous voulons cautionner les illégalités. Le Padduc a prévu, parmi les quatre catégories de plages, les «plages naturelles fréquentées». C’est précisément des sites à proximité ou inclus dans des espaces remarquables mais qui sont très fréquentés et où l’on considère que l’activité humaine a sa place, dans le cadre d’un cahier des charges strict, défini par la puissance publique, y compris pour préserver le site. Les gens qui sont en dehors des clous, doivent rentrer dans les clous. Il n’y aura pas de permissivité.
En ce qui concerne les actions en justice, le contrôle de légalité aujourd’hui est exercé et doit être exercé par l’Etat. Ce qu’il n’a pas fait pendant des décennies. Ce n’est pas de ma compétence d’ester en justice et je n’ai pas les moyens humains et juridiques de suivre l’ensemble des permis de construire. Par contre, et je l’ai dit publiquement, lorsqu’il y aura des cas emblématiques et bien, oui, la Collectivité de Corse se réserve le droit d’ester en Justice.
Préemption sur Cavallu
Nous avons donné des gages forts historiquement, et depuis notre arrivée, jusqu’à la préemption sur Cavallu pour préserver un espace naturel. Au nom de la Collectivité de Corse, par application d’une décision qui a été prise par l’ensemble du Conseil Exécutif et par l’ensemble de la majorité territoriale, et soutenue par l’ensemble des forces qui se reconnaissent dans notre majorité, nous avons préempté un terrain de 3,3 hectares sur l’île de Cavallu. Il se trouve que sur ce terrain il y a une activité de restauration qui n’apparaissait pas dans les actes qui nous ont été notifiés. C’est un fait nouveau mais qui ne remet pas en cause notre décision de préempter et surtout la signification juridique, politique et symbolique de cette préemption.
La crise des déchets
Sur une question d’Alexandre Lanfranchi, opérateur privé
Le chemin que nous avons pris est le seul conforme à la loi française et à la directive européenne, et le seul qui va nous permettre de sortir par le haut et dans des délais réduits d’une situation catastrophique qui a perduré pendant des décennies. Qui a la compétence de la collecte aujourd’hui ? Pas la Collectivité de Corse. Ce sont les intercommunalités, qui ont la volonté de faire, et on l’a acté ensemble, mais qui n’ont pas eu jusqu’à aujourd’hui les moyens, ni juridiques ni financiers ni humains.
On a un cadre contractuel validé à l’unanimité qui va nous permettre d’agir ensemble:
la Collectivité de Corse, compétence générale pour le plan, à l’exclusion de toute autre compétence, L’État, le Syvadec, compétence du traitement, et les intercommunalités, la collecte.
Nous allons mettre de l’argent et des moyens humains, y compris en ouvrant des postes à l’interne, pour soutenir les intercommunalités dans le cadre de leur effort de tri.
Pour le reste, nous avons proposé deux centres de tri multifonctionnels sis à proximité du Grand Bastia et du Grand Aiacciu, parce que nous voulons aller le plus loin possible sur le traitement en amont des ordures ménagères et que ce que nous aurons à traiter en résiduel soit le plus faible possible.
Troisième signal, nous respectons les opérateurs privés, mais nous voulons que la gestion des déchets en Corse reste sous la maîtrise publique. Notamment pour la vision politique et pour des raisons de coût économique, parce que lorsque le public n’a pas la main ça laisse la place à des intérêts privés qui peuvent être y compris spéculatifs a fortiori dans une île où il y a des situations de monopole ou de quasi-monopole.
L’exportation des déchets
Par principe et par philosophie, une île qui a vocation à être autonome ne peut pas exporter de façon pérenne ses déchets. D’abord parce qu’il y a un surcoût économique qui est énorme. Et en terme de vision, ce n’est pas ce vers quoi nous voulons tendre. Si j’ai accepté de valider la solution de l’exportation dont la mise en oeuvre relève, je le rappelle, du Syvadec, c’est parce que nous n’avons pas d’autres solutions dans le cadre de la période transitoire. Nous avons une distorsion importante entre la capacité d’enfouissement dans les centres qui fonctionnent actuellement et notre production. Nous devons exporter le surplus, entre 20.000 et 50.000 tonnes. Mais nous devons le faire dans une perspective de très court terme, trois ans. Parallèlement nous montons en charge sur le tri et le sur-tri. Ce qui permet d’avoir des installations de stockage, qui ne seront pas les centres d’enfouissement d’aujourd’hui. Si on stocke des ordures résiduelles, après les avoir triées, sur-triées, et valorisées, le stockage est totalement inerte, y compris pour une réutilisation dans quelques années, lorsque les techniques auront évolué.
Lorsqu’on travaille sur des sites à proximité de la voie ferrée, c’est par rapport à une vision globale, y compris dans une logique de rationalisation, de diminution des coûts, de diminution de la pollution par les transports routiers.
Nous venons d’une gestion qui n’a pas été conduite dans les formes pendant 10, 20, 25 ans. Et, nous sommes une île, avec des territoires très cloisonnés, une forte saisonnalité, une différence entre le rural et l’urbain, nous cumulons les contraintes.
Il faut construire un système qui soit un système à la dentelle, empirique, mais avec des principes clairs, et sur ces principes, nous sommes dans le juste.
Les dérives du nationalisme
Sur une question de Marcu Biancarelli, écrivain
Est-ce que nous sommes guéris ? Non. Est-ce que la Corse est guérie de ses maux au-delà des nationalistes ? Non. C’est un combat en permanence sur nous-mêmes. Est-ce que nous avons bien fait de faire l’union? Ma réponse est Oui. Est-ce que cette union est la garantie de ce que nous avons rompu avec nos fantômes et nos démons ? Il ne peut pas y avoir de garantie absolue. Être dans la majorité, n’est pas une garantie, mais être en dehors de la majorité en étant ou pas nationaliste, n’est pas une garantie non plus. Donc ce travail il est à mener à la fois en interne à la majorité, et nous avons montré que nous le menons, et que nous continuerons à le mener. Il est à mener aussi avec d’autres nationalistes qui ne sont pas dans la majorité, parce qu’il ne faut pas se poser en donneur de leçons. La réalité corse d’aujourd’hui et d’hier, celle des années 90 qui nous a tellement traumatisés, c’est avec ça que je veux rompre. Pas avec des personnes. Avec des logiques. Et avec des mécanismes.
Mais sommes-nous sûrs qu’intellectuellement chez nous tout le monde a rompu avec ça, qu’on soit dans la majorité ou qu’on n’y soit pas ? Je n’en suis pas sûr.
Le peuple corse, ce n’est pas seulement les nationalistes, et la Nation Corse que j’ai envie de construire, ce n’est pas seulement la nation des nationalistes. Il y a beaucoup de Corses qui ne sont pas nationalistes qui nous ont fait confiance, ils comptent autant que les autres.
Et puis il y a tous les Corses qui ne nous ont pas votés, et à ceux-là aussi nous devons nous adresser. Il faut être très ferme sur les principes. Je ne transigerai pas avec ce que je considère être fondamental. Et ce qui est fondamental pour moi, c’est tirer les leçons du passé, ne pas reproduire les mêmes erreurs, être dans une démarche réellement démocratique, et construire la Corse, la nôtre. Pensu à i vostri figlioli, i mei, pensu à tutti l’altri ch’anu da vene daretu, è vogliu ch’elli càmpinu ind’una sucietà di pace è di demucrazia, una sucietà corsa dinù.
Les symboles du nationalisme
J’ai eu l’occasion de le dire à Emmanuel Macron, il y a trois dimensions indissociables si vous voulez régler ce problème. La dimension symbolique. La dimension politique et institutionnelle. Et la dimension économique et sociale. Ce surinvestissement sur les symboles procède de notre situation aujourd’hui de peuple non reconnu. Et donc nous avons besoin du symbole y compris pour forger notre cohésion. Est-ce que notre cohésion doit passer uniquement par le symbole? Bien sûr que non. Je n’ai pas envie d’une identité et donc d’un peuple qui soit en permanence enfermé dans son passé. Notre victoire n’est pas seulement la victoire du nationalisme. Elle est aussi la victoire d’une immense espérance et d’une aspiration à la respiration démocratique et à la modernité. Et ça, c’est ce qui est devant nous. Aujourd’hui il y a une conjonction de difficultés qui fait que nous sommes confrontés à une sorte de creux de la vague, mais c’est là justement qu’il faut faire preuve de courage, de détermination et de constance.
La Corse de mes rêves c’est effectivement une Corse qui est elle-même, qui connaît son histoire, mais une Corse qui est ouverte, qui réinvente en permanence son identité. Il y a des choses qui ne vont pas, j’en ai conscience.
Le moment que nous vivons est difficile pour la Corse, pour les Corses. Il y a des problèmes conjoncturels, structurels. Individuellement et collectivement, on doit essayer d’améliorer.
Je suis très déterminé. Et je suis très optimiste, perchè pensu veramente chì ci hè una strada per ssu paese è per ssu pòpulu.