Durant tout le mois de janvier, les agriculteurs vont voter pour renouveler leurs élus aux deux chambres d’agriculture. Mais le secteur poursuit sa crise politique et économique et il est entré dans une zone de turbulence qui s’annonce très agitée.
Il faut tordre cependant le cou à certaines idées reçues : le secteur agricole, et l’élevage en particulier, ne sont pas les seuls à bénéficier des dispositifs de soutien à l’activité économique en Corse, même si les aides de la PAC (premier pilier) ont bondi de 14M€ en 2014 à 36 M€ depuis 2015 et l’entrée en vigueur de la nouvelle politique agricole commune (période 2015-2020).
La viticulture par exemple bénéficie de la TVA à taux zéro sur les ventes de vin sur l’île, quand elles sont faites dans les commerces ou directement dans les caves. Cet avantage de 13 M€ permet de mieux rester compétitifs pour les ventes réalisées sur l’île (78 % de part de marché) et cela est répercuté dans les comptes des entreprises viticoles.
Autre exemple avec le secteur de l’hôtellerie et de la restauration qui bénéficie d’un taux de TVA réduit par rapport au continent : 2,1 % en Corse, au lieu de TVA facturées ailleurs 10 % (hébergement et restauration), ou une TVA Corse de 10% au lieu de 20% dans les bars et débits de boissons. Au total, selon le rapport de l’Inspection Générale des Finances d’octobre 2018, 47 M€ d’avantages fiscaux pour le secteur du tourisme en général.
Le secteur du bâtiment n’est pas non plus exempt de soutien des politiques publiques, avec un taux de TVA de 10% contre 20 % sur le continent, soit une moins-value fiscale de 46 M€ qui vient compenser les surcoûts pour l’approvisionnement des matériaux, ce qui, au final, devrait permettre de ramener la valeur des logements en Corse, loyer ou acquisition, au même niveau que sur le continent.
Mais de ces aides aux autres secteurs d’activité, on en voit les effets. Sur le tourisme et le bâtiment, les deux principales activités économiques insulaires, c’est bien sûr un facteur essentiel de compétitivité. La viticulture quant à elle exporte désormais sur le continent et à l’étranger les deux tiers de sa production.
Les ventes de vins corses sur le continent ont généré 48 M€ de chiffre d’affaires en 2017, contre 18 M€ en 2006.
Le développement économique est bien là dans ce secteur emblématique de l’agriculture insulaire, qui espère valoriser 10.000 hectares de vignes dans dix ans contre moins de 6.000 hectares aujourd’hui. Avec à la clef une augmentation proportionnelle des emplois directs et induits de cette activité.
Par contre dans le secteur de l’élevage des ruminants, la moitié des exploitations agricoles insulaires, les résultats sont loin d’être proportionnels aux aides injectées. Le secteur bovin notamment souffre de chiffres exceptionnellement défavorables : les subventions perçues sont 4,3 fois plus élevées que les revenus générés par les produits de l’exploitation.
Ce ratio est un ratio moyen, toutes zones confondues ; on imagine qu’il bondit encore dans les zones où le maquis domine. Pour les autres ruminants (ovin/caprin) il est de 1,2. Certes, la subvention est une part indispensable du revenu agricole partout en France et en Europe, mais le ratio moyen français est de 0,83. Que l’on soit à 1,2 pour l’élevage ovin/caprin insulaire semble raisonnable. Alors que le secteur bovin explose toutes les statistiques !
Le secteur bovin insulaire, souvent décrié, est donc soumis à l’analyse critique de ses performances, avec à la clef des procédures de contrôle, et même des recours en justice, qui auront probablement de sérieuses conséquences sur la pérennité du modèle actuel. Sa remise en cause est donc au coeur du débat agricole en cours.
On en trouve l’expression dans les projets des différentes listes en présence.
Est-ce simplement le fait de « fraudeurs systémiques » que la liste sortante à la Chambre d’Agriculture de Haute Corse a voulu écarter ? Ou est-ce tout un modèle qu’il faut remettre en cause, en changeant de politique, comme le demande la liste d’opposition de Via Campagnola ? En Corse du Sud, les sortants dénoncent la politique du « bouc émissaire » qui consiste à jeter en pâture médiatique certains cas particuliers par des perquisitions ciblées, tandis que les deux listes d’opposition, finalement divisées, peinent à se faire entendre.
En fait, cette élection de janvier 2019 semble bien devoir être un rendez-vous manqué. Pas assez de débat pour engager l’agriculture corse sur de nouvelles perspectives, et trop d’intérêts imbriqués pour se hisser à la hauteur des enjeux. Les véritables remises en cause seront encore à venir. L’Exécutif de la Collectivité de Corse a commencé à le faire à travers les prises de position du Président de l’Odarc Lionel Mortini, et la création d’une seule Chambre d’Agriculture Territoriale permettrait de revenir devant les agriculteurs avec davantage de pertinence.
François Alfonsi.