Le Traité de Lisbonne a doté l’Europe d’un poste de «Haut Représentant aux Affaires Etrangères » qui est occupée par une italienne, Federica Mogherini*, depuis 2014. Dans deux dossiers sensibles, la situation au Venezuela et la préservation du Traité passé avec l’Iran sur le nucléaire, la Haute Représentante en exercice fait enfin émerger une diplomatie européenne contre les prétentions hégémoniques de l’Amérique de Donald Trump.
Venezuela : éviter la guerre civile
Écartelé entre l’interventionnisme d’un Donald Trump héritier zélé de l’hégémonie séculaire des USA sur tout le continent sud-américain, et une dictature locale qui menace gravement les libertés publiques et qui dilapide les richesses économiques du pays, le Venezuela traverse une crise sans précédent.
Il est au bord de la guerre civile.
Son Président Nicolas Maduro a été élu malgré des accusations très nombreuses de fraude électorale. L’opposition détient avec son rival Juan Guaido la Présidence d’une Assemblée Nationale devenue fantôme depuis qu’une réforme de la Constitution, obtenue par le Président Nicolas Maduro, lui a enlevé tous ses pouvoirs effectifs.
Le rapport de forces s’est depuis déplacé dans la rue, par manifestations interposées, et sur la scène internationale où les États Unis pèsent de tout leur poids, politique, militaire et financier, pour pousser le Président Maduro à la démission en vue de nouvelles élections présidentielles anticipées.
Les pressions américaines sont énormes, notamment le gel des avoirs pétroliers de l’État vénézuélien, dont les USA sont le premier client, et sans lesquels il est promis à une faillite rapide. Sans compter que Donald Trump, toujours dans la nuance, n’a pas hésité à avancer le principe d’une opération militaire en lien avec certains pays voisins, Brésil en tête, contre le Venezuela. Ce qui apporterait le chaos probable dans cette partie du monde.
Les militaires vénézuéliens peuvent aussi intervenir à tout moment, et selon le choix qu’ils feront, légitimiste pour Maduro, ou en faveur de son rival, il est prévisible que les supporters du camp perdant répondront dans la rue, jusqu’à des émeutes qui seront sanglantes.
Comment éviter cet engrenage du pire?
L’Union Européenne a avancé conjointement avec l’Uruguay la proposition d’un « groupe de contact international » sur le Venezuela, qui regroupera plusieurs pays sud-américains (Uruguay, Bolivie, Équateur, Costa Rica) et européens en dehors des USA. Dans le même temps elle a sommé Nicolas Maduro d’organiser de nouvelles élections présidentielles, ce qu’il a refusé.
En conséquence, plusieurs États de l’Union Européenne (Espagne, France, Allemagne, Autriche, Portugal, Grande Bretagne) ont annoncé qu’ils reconnaitraient à leur tour la légitimité de son opposant Juan Guaido comme Président par intérim, tout en maintenant le «groupe de contact de Montevideo» qui a tenu sa première réunion le 7 février.
Cette réunion de Montevideo a été validée par Nicolas Maduro, ce qui laisse entrevoir un espoir ténu de règlement négocié du conflit qui, inévitablement, devra se conclure un jour par de nouvelles élections présidentielles tenues selon des standards démocratiques incontestables.
Actuellement, face à la crise économique, inflation record et pauvreté galopante, plus de 10% de la population a déjà pris la route de l’exil en quelques mois à peine. Si le chaos et la violence s’installent, l’aggravation de la situation serait inévitable. Par contre, si le Venezuela réussit à échapper au chaos politique, il pourrait mettre sur pied le redressement économique que ses immenses richesses naturelles l’autorisent à espérer.
Aussi, si la diplomatie européenne réussit, avec le concours des États sudaméricains les moins inféodés aux USA, à mettre sur pied une solution pacifique à travers le groupe de contact de Montevideo, elle obtiendrait un de ses premiers succès d’envergure sur la scène mondiale.
Accord avec l’Iran : résister aux oukases américains
Donald Trump a décidé unilatéralement il y a un an de faire tomber l’accord qui a permis l’arrêt de l’escalade vers l’arme nucléaire qui avait été enclenchée par l’Iran. Cet accord donne des contreparties commerciales (achats de pétrole, coopération économique, etc.) à l’Iran qui, de son côté, a démantelé son arsenal nucléaire et autorisé un système poussé de contrôle international sur le respect de ses engagements.
Les engagements iraniens étaient effectivement tenus, et validés par les experts en charge des contrôles. Malgré cela, Donald Trump a unilatéralement rompu l’accord iranien et il entend obliger les Européens à le suivre, contraints et forcés.
L’arme qu’il déploie pour cela est celle des sanctions économiques : libre aux entreprises européennes de continuer à commercer avec l’Iran, puisque l’Europe continue de soutenir l’accord avec les iraniens, mais elles subiront alors des rétorsions américaines et seront interdites de continuer à commercer aux États Unis, ou d’utiliser le dollar comme monnaie d’échange.
Autant dire que, vu le poids du dollar dans les transactions mondiales, et celui du marché américain, elles sont condamnées à s’aligner sur la position étatsunienne, sauf à perdre la plupart de leurs marchés internationaux.
Conséquence : le poids politique de la décision européenne de continuer à soutenir l’accord iranien devient nul et non avenu.
La réponse mise sur pied par la Commission Européenne consiste à créer une société de compensation de statut européen, dont trois Etats (pour l’instant) sont les actionnaires (Allemagne, France et Grande Bretagne), dont l’adresse est à Paris au siège même du Ministère des Finances à Bercy. Son nom est INSTEX, et elle permet de substituer aux transactions financières, passibles de sanctions, un système de troc, pour contourner l’obstacle.
En clair, si une entreprise européenne fournit des automobiles ou des machines-outils à une entreprise, publique ou privée, en Iran, ce pays s’acquittera alors de sa dette par la fourniture, pour un montant correspondant, d’un volume de pétrole, raffiné ou non.
L’instance centrale, du côté européen, gèrera les commandes et agira en chambre de compensation. De ce fait, il n’existera aucun flux financier entre Téhéran et l’UE, et la transaction échappera aux sanctions américaines.
Certes les USA ont sans doute les moyens d’étendre leurs sanctions à ce dispositif puisqu’il s’agit d’une démarche unilatérale de leur part. Mais que l’Europe ait matérialisé une résistance concrète et effective contre l’unilatéralisme de Donald Trump est déjà une révolution en soi. Certes, Trump peut vouloir surenchérir. Mais ce serait aggraver encore les contentieux avec l’Europe, ce qui impacterait alors l’économie américaine, sans compter que la bataille juridique fera rage entre les deux administrations.
Avec INSTEX, l’Europe sort enfin de l’incantation pour rentrer dans une véritable résistance aux oukases de l’administration Trump.
Cela méritait d’être souligné.
François Alfonsi.
*Membre du Parti démocrate, elle a été ministre des Affaires étrangères du gouvernement Renzi avec délégation aux Affaires européennes.