L’association U Levante ne décolère pas. Et pour cause ! Le rythme des dépôts de permis de construire sur des espaces stratégiques du Padduc ne baisse pas. L’association n’a pas accès à toutes les demandes de permis de construire, mais dispose de suffisamment d’informations pour tirer des enseignements. Elle nous livre une analyse qu’elle a pu faire à partir de chiffres concernant les personnes morales. Et les résultats sont alarmants.
On se souvient, lors de l’élaboration du Padduc, combien les associations de défense de l’environnement ont bataillé pour obtenir de meilleures garanties de protection. Il faut leur rendre hommage : encore une fois, elles avaient raison! Les terres à fort potentiel agricole et les espaces remarquables du littoral restent la proie des velléités de construction alors qu’ils sont des espaces particulièrement fragiles, particulièrement indispensables pour bâtir un développement durable, et qu’ils doivent être protégés des expansions
immobilières.
Le respect du Padduc ne sera pas le fruit d’une « génération spontanée» mais de l’exercice du contrôle de légalité pour faire respecter les textes, d’une part, de la classe politique corse pour veiller sur leur importance et au respect de leur principe d’autre part.
Il faut bien malheureusement constater que le nationalisme corse, particulièrement actif sur ce plan toutes ces dernières années, et principal artisan avec les associations de défense de l’environnement de la protection de ces espaces, a quelque peu baissé la garde depuis l’adoption du Padduc. Les appels successifs ces dernières semaines au respect de ses préconisations de la part du Président du Conseil Exécutif, du président de l’Agence d’Aménagement d’Urbanisme et d’Energie de la Corse, ou du groupe Femu a Corsica, notamment, démontrent d’une volonté de reprise en main.
On a relativisé le discours trompeur sur le Padduc véhiculé par quelques maires, et qui a fait son chemin depuis, d’autant qu’il vient trouver appui désormais sur l’attitude de l’État en Corse. Un comble ! D’abord parce que c’est souvent les communes les plus opposées à l’établissement de ce Padduc toutes ces dernières années et les plus consommatrices d’espaces, comme Portivechju, Grossetu Prugna, Coti Chjàvari, Carghjese… qui attaquent le Padduc. Ensuite parce que l’État doit veiller au « contrôle de légalité » et à l’application des textes, et pas à en demander la modification.
U Levante, sur son site internet, apporte la démonstration que les inquiétudes soulevées par l’Exécutif territorial ne sont pas une vue de l’esprit.
« Au vu des éléments exposés ci-après, les autorisations d’urbanisme ne sont manifestement pas instruites au regard des espaces à statut particulier du Padduc.
L’État avait annoncé vouloir appliquer le Padduc après le 25 novembre 2018 même dans les communes pourvues d’un document d’urbanisme : manifestement ce n’est pas le cas ! » alerte U Levante qui a analysé les permis de construire attribués entre le 1er janvier 2017 et le 31 mars 2019 délivrés aux personnes morales (SCI, SARL, etc.) selon les sources du Service de la donnée et des études statistiques (SDES).
L’association n’a pas accès en effet à l’ensemble des dépôts de permis de construire.
Ainsi, 1.332 demandes de permis de construire pour tous types de travaux ont été déposées par des personnes morales pendant cette période. 809 ont fait l’objet d’une décision favorable1 soit 61%.
« Pour comparaison, sur cette même période ce sont 13.409 demandes de permis de construire tous travaux relatifs au logement qui ont été autorisées pour toute la Corse. Les permis de construire autorisés pour les personnes morales (données auxquelles nous avons accès) représentent seulement 6% des permis autorisés enregistrés sur la base de données Sitadel2. »
De quoi craindre l’analyse sur l’ensemble des constructions autorisées !
L’association a examiné les permis ayant reçu un avis favorable pour des constructions nouvelles, c’est à dire « toute construction hors extension de l’habitation principale (y compris les annexes détachées du bâtiment principal comme les piscines, garages, etc.) et créant une superficie nouvelle de SHON. Ces constructions nouvelles concernent 616 demandes des 809 demandes autorisées, soit 76% des demandes ».
Ainsi, après vérification et localisation des parcelles (d’après le dernier millésime du cadastre DGFIP de janvier 2019 disponible), U Levante a exploité 378 des 553 permis de construire ayant reçu un avis favorable soit 68% des données publiées par le SDES sur cette période dans toute la Corse.
Pour U Levante, le résultat démontre que : « avant ou après la date du 25 novembre 2018, les permis de construire autorisés sont localisés à plus de 66% dans des espaces à statut particulier du Padduc. Contrairement à ce qui a été annoncé, la tendance est à la hausse pour les autorisations dans ces espaces à statut particulier Padduc après le 25 novembre 2018 (77% contre 66% des permis de construire attribués). Ces premiers mois de 2019 n’augurent en rien une baisse des autorisations sur les espaces à statut particulier du Padduc. »2
La conclusion est simple : « des maires complaisants et un contrôle de légalité très défaillant » !
Cette analyse rejoint les chiffres INSEE que U Levante a divulgué dans un autre poste sur son site : «des maires affirment que l’enchevêtrement des normes empêcherait tout “développement” urbanistique en Corse. En réalité, les derniers chiffres INSEE (calculés fin du troisième trimestre 2017 et publiés le 18 janvier 2018 font état d’un nombre de logements autorisés à la construction en cumul annuel qui continue d’augmenter (+25,2%) et atteint 6.400 fin septembre, d’un nombre de logements commencés en cumul annuel de +18,6% pour l’ensemble de la Corse, en Haute-Corse, la hausse s’établit à 33,4% sur un an, en Corse du Sud, elle s’établir à +12%. (…) L’évolution des permis de construire entre mars 2018 et mars 2019, cumul sur 12 mois, est de +26%. » «17.000 résidences secondaires ont donc été construites en cinq ans en Corse pour 8.000 habitations principales. Et les données seront quasi identiques entre 2016 et 2019» dénonce encore l’association.
« Si, comme dans toute la France, “le rythme de croissance du parc de résidences secondaires est supérieur à celui des résidences principales”, il reste deux fois plus élevé en Corse. »
L’INSEE l’explique en partie par « la forte pression touristique » qui pèse sur l’île.
54,3 % du nombre de logements construits dans la région sont des résidences secondaires. Sur le continent, ce taux est de 11,2% en moyenne, rappelle encore U Levante. C’est donc en Corse que la part des résidences secondaires est la plus élevée des régions métropolitaines (soit 37,2% contre 9,6% au niveau national). Elle dépasse largement celle de Provence-Alpes-Côte d’Azur et d’Occitanie (17,7% et 15,7%) « Il y a plus de constructions de résidences secondaires que de principales ; 13.630 contre 11.870. Et dans les communes soumises à la loi Littoral ce taux dépasse 75% dans six communes et est compris entre 75% et 50% dans 49 communes ».
L’association, qui a réalisé là un inventaire minutieux et démonstratif, s’inquiète encore du nombre de constructions érigées… sans permis de construire, et pas toujours déférés. «U Levante assiste à toutes les audiences du Tribunal Administratif consacrées à l’urbanisme.
Nous avons noté 135 affaires en 2016, 144 en 2017, 137 en 2018, c’est bien peu par rapport à 5000 permis de
construire annuels! Quand elles en ont eu connaissance à temps, les associations ont déféré en Tribunal Administratif, Cours Administrative d’Appel, Conseil d’État, ou empêché quelques permis de construire, parmi les plus emblématiques ou les plus destructeurs, leurs moyens ne leur permettant pas de faire mieux: plusieurs villas à Bonifaziu, la Villa Mury à Piana, des ensembles immobiliers à Coti Chjàvari, à Patrimoniu, à Lìsula, à Sartè, à Grossetu Prugna… quand les constructions étaient réalisées, elles ont également agi, presque toujours seules, devant le tribunal correctionnel. »
« L’enchevêtrement des normes n’a pas empêché et n’empêche en rien la construction en Corse» rabâche encore courageusement l’association qui déplore le «massacre de certaines portions du littoral » que cette politique a provoqué. « S’il est plus difficile qu’ailleurs de faire un PLU, c’est pour des raisons sociologiques, démographiques, économiques (clientélisme, pressions, emprise mafieuse, etc) et non pas à cause de la loi Littoral ou du Padduc. Un nombre non négligeable de maires de communes littorales veulent faire de la “résidence secondaire” et le justifient par la volonté de développer la “silver economy” dans leur commune.
Or les résidences secondaires sont consommatrices d’espace et ne génèrent pas de richesse. »
Rappelons aussi que cela cause des problèmes d’aménagement du territoire, entre voiries, réseaux et services à pourvoir pour des populations dispersées, cela entraîne un surcoût non négligeable pour les collectivités en matière de transport urbain, de collecte de déchets, d’investissements en infrastructures publics.
Et c’est bien pour cette raison, pour rétablir des équilibres et une cohérence dans l’aménagement du territoire que la Corse s’est doté d’un Padduc.
U Levante déplore le manque de moyen affecté au contrôle de légalité qui doit faire face à une moyenne de 5000 demandes de permis de construire par an, à l’examen des PLU et aux réunions en tant que Personne Publique Associée.
«En 2017, pour le seul arrondissement de Sartè qui s’étend de Sulinzara à Ulmetu, 2500 autorisations d’urbanisme ont été délivrées (soit 10% de plus qu’en 2016) : seules 2 personnes étaient en charge de ce contrôle. La même augmentation de 10% a été observée en 2018: une personne de la DREAL a été mise à disposition… en septembre ! Mission impossible donc. »
Pour plus d’information : http://www.ulevante.fr
Fabiana Giovannini.
- La date a été renseignée dans la colonne «DATEREELLE_ DECISION_FAV ». «Pour les autres, cette date est absente de cette colonne. Correspond-elle à un avis défavorable ? Nous en retenons l’hypothèse » explique U Levante sur son site.
- Entre le 01/01/2017 et le 24/11/2018 inclus, sur 331 permis de construire accordés, 217 sont en espace à statut du Padduc soit 66%, dont 25% en Espaces Stratégiques Agricoles et 7% en Espaces Remarquables ou Caractéristiques. Entre le 25/11/2018 et le 31/03/2019, sur 47 permis de construire accordés, 36 sont en espace à statut du Padduc soit 77%, dont 53% en ESA et 9% en Espaces Remarquables ou Caractéristiques.