Le vote est pitoyable. Le groupe Verts-ALE a introduit une demande de modification de l’ordre du jour de la session de Strasbourg le 21 octobre, afin que se tienne un débat sur la situation en Catalogne. Elle a été rejetée par 299 voix contre 118.
Le débat sur l’ordre du jour d’une session du Parlement Européen est d’ordinaire sans relief, et la proposition formulée par la Conférence des Présidents de groupes le plus souvent validée sans grands changements. Cela a été différent ce lundi car, s’agissant de la Catalogne, les forces politiques espagnolistes se sont mobilisées sur tous les bancs.
C’était même pathétique de voir les groupes socialiste (dont le PSOE espagnol), conservateur (où siègent trois élus Vox), libéral (qui comprend Ciutadanos) et PPE (avec le Partido Popular) se disputer à travers des porte-parole issus des composantes espagnoles la première intervention contre la tenue d’un simple débat, alors que 525.000 manifestants ont envahi le centre de Barcelone vendredi 18 octobre, et alors qu’une semaine durant la mobilisation des Catalans a mis en évidence la caractère inacceptable de ces condamnations.
C’est un député socialiste du PSOE qui a été le plus rapide et qui a déclamé son refus d’un débat « qui serait une ingérence dans les affaires intérieures d’un Etat-membre », par ailleurs reconnu comme « parfaitement démocratique ». La déléguée du PPE enrageait de n’avoir pu parler avant le socialiste alors que son groupe est plus grand, puis renchérissait encore.
Cet empressement ulcéré est tout de même paradoxal : si la sentence de la Cour Suprême espagnole condamnant jusqu’à 13 années de prison des élus parfaitement démocratiques était si inattaquable, pourquoi craindre qu’elle soit débattue ?
Puis on est passé au vote, moins serré que ce que les instructions données par les chefs des groupes laissaient prévoir, signe que de nombreux députés ont enfreint la consigne de vote, mais suffisant pour verrouiller les choses et empêcher la démocratie de s’exprimer.
Mais ce mini-débat sur l’ordre du jour de la session a quand même eu son intérêt en ébranlant la ligne négationniste que les chefs d’Etats suivent depuis le début de la crise catalane, faisant mine de ne rien voir et de ne rien entendre de la volonté démocratique exprimée avec force et constance par le peuple catalan.
Manifestement les députés espagnols (à l’exception de ceux de Gauche Podemos et du seul élu écologiste) craignent comme la peste de devoir s’expliquer devant leurs pairs. En effet, comment justifier une peine de 13 années de prison alors qu’il n’est reproché aucune violence, et donc aucun « coup d’Etat » ?
Imaginons que le gouvernement de Viktor Orban ait agi comme l’Etat espagnol en Hongrie. Bien évidemment les choses se seraient passées autrement. S’agissant de l’Espagne, les Etats passifs (Allemagne en tête) tolèrent et restent sans réaction, alors que les Etats actifs, la France d’Emmanuel Macron en tête, appuient et encouragent la dérive autoritariste du gouvernement espagnol. Jusqu’où iront-ils ?
Car peut-on imaginer un seul instant que tous les 525.000 manifestants de Barcelone rentreront sagement à la maison en laissant leurs dirigeants en prison ? Que faudra-t-il tolérer de la répression qui va venir contre un peuple qui aspire majoritairement à sortir du statu quo institutionnel où l’enferme la seule volonté de l’Espagne ? Si la droite extrême remporte les élections législatives le 10 novembre prochain, ira-t-on jusqu’à soutenir un régime post-franquiste au prétexte de la « non-ingérence dans les affaires internes d’un Etat-membre » ?
Qu’aurait-on fait si la guerre d’Algérie avait été contemporaine ? Y aurait-il eu un front uni de François Mitterrand à Jean Marie Le Pen pour dire « pas d’ingérence dans les affaires intérieures de la France qui va de Dunkerque à Tamanrasset » ?
Et par effet domino jusqu’où cela ira-t-il ? Un avant-goût a été donné par Emmanuel Macron qui a opposé seul le véto de la France pour empêcher les négociations d’adhésion avec la Macédoine du Nord, alors qu’elle s’est enfin libérée du véto grec depuis que le conflit sur son nom est résolu. Que reproche-t-on aux Macédoniens à Paris, si ce n’est d’avoir inspiré, avec les autres Etats issus de l’ex-Yougoslavie, le projet politique de la Catalogne d’aujourd’hui ?
Tout cela se fait manifestement au détriment de l’Europe. Il serait temps que les députés européens, et tous les responsables de l’Union Européenne, se rappellent qu’ils sont comptables des intérêts collectifs de l’Europe et non des intérêts étriqués d’un Etat espagnol incapable d’instaurer un dialogue démocratique.
L’intérêt de l’Europe est de favoriser ce dialogue, en commençant par le commencement : un débat au sein du Parlement Européen qui permette que l’Europe sorte enfin de son silence.
Mais ce n’est que partie remise.
François Alfonsi.