La crise économique provoquée par le confinement rendu obligatoire en mars dernier pour éviter l’explosion du système de santé face à l’épidémie Covid-19 a été repoussée à coups de centaines de millions d’euros pour la Corse, de dizaines de milliards d’euros pour la France et de centaines de milliards d’euros pour l’Europe. Reports de charges, fiscales et sociales, pour les entreprises, chômage partiel pour les salariés, aides ponctuelles aux indépendants et artisans empêchés de travailler, prêts garantis par l’Etat pour éviter la noyade des entreprises touchées de plein fouet par la crise sanitaire, les canaux de cette injonction d’argent frais ont été directs et efficaces. Mais cette mise sous perfusion ne peut être éternelle. En juin tout au plus, il y sera mis fin.
Si l’activité économique n’a pas retrouvé alors son rythme normal, pour se soutenir elle-même et pour pourvoir par ses propres revenus à son équilibre économique, puis progressivement rembourser les avances qui lui ont été faites grâce à des reports d’activité (arrière-saison par exemple rattrapant en partie une avant-saison avortée), ou, sur un plus long terme, par le regain progressif d’une économie revitalisée une fois l’épidémie éradiquée, l’Europe, la France et la Corse plongeront dans une crise sans précédent.
Il faut mesurer l’enjeu : un milliard d’euros ont été ainsi injectés en Corse depuis mars, soit 12% de son PIB annuel. L’équivalent de 10.000 euros par salarié, soit approximativement le montant moyen d’un livret A de Caisse d’épargne. En fait, les autorités ont vidé un livret A par actif pour lui assurer ses revenus courants durant mars, avril et mai. Comment pourraient-elles aller au delà du mois de juin ?
Or il n’est pas du tout acquis que cela s’arrêtera en juin, ce qui, surtout dans nos économies à base fortement touristique, est crucial. Car si juillet et août sont eux aussi des « mois blancs », sans transports ni touristes, ce sera une catastrophe économique probablement insurmontable. La crise que l’on peut encore espérer supportable basculerait alors en crise majeure.
On n’en est pas encore là, et les indicateurs en cours après deux semaines de déconfinement sont plutôt rassurants. Le virus n’a pas trouvé de vigueur nouvelle malgré les mouvements de population rendus à nouveau possibles, grâce à la bonne réponse de la population qui a intégré dans ses réflexes naturels bon nombre des gestes barrières –fin des embrassades, respect des distances, port du masque, etc… Le 2 juin, de nouvelles libertés de mouvement seront probablement décrétées qui permettront aux professionnels de rouvrir leur commerces de restauration, aux transports de repartir, aux premiers touristes de venir. Mais avec quelles précautions faudra-t-il entourer ces nouveaux mouvements, qui multiplieront les brassages de population et donc les risques de relance de l’épidémie ? Si tel était le cas, tout s’effondrerait à nouveau ; il faut donc l’éviter à tout prix. D’un autre côté un excès d’immobilisme pour éviter toute prise de risques précipiterait l’économie à sa perte encore plus surement. La proposition du Green Pass faite par l’Exécutif semble bien répondre à cet équilibre, et c’est d’ailleurs la solution retenue aussi ailleurs (Canaries, Sardaigne, etc…).
Il faudra compter aussi avec les ratés techniques inévitables quand il faut rétablir des circuits économiques, comme en témoigne cette anecdote survenue en Sardaigne : un vol touristique d’une filiale de Lufthansa parti d’Allemagne est reparti sans pouvoir atterrir car l’aéroport d’Olbia était encore fermé. Quels seront les « ratés » que nous aurons à subir ? Et combien ajouteront-ils à la facture globale ?
Dans ce contexte de tension prévisible sur le terrain économique s’est invité le second tour de l’élection municipale qui aura lieu le 28 juin prochain. Il n’aura lieu que dans 22 communes, et encore ce ne sera que de simples formalités dans plusieurs d’entre elles. Mais pas à Bastia, Portivechju, Lìsula ou Aleria. Là les enjeux seront ponctuellement très forts. Comment pourront-ils être portés sereinement dans un tel contexte ?
En ce mois de juin 2020, le retour au réel est périlleux, économiquement et politiquement.
François Alfonsi.