Inondations à Aiacciu

Catastrophe naturelle et catastrophe urbaine

On les voit poindre, la mine grave, monter au créneau à grand renfort de communication pour demander une énième reconnaissance de l’état de catastrophe naturelle. C’est aussi un état de catastrophe urbaine qu’il s’agirait désormais de reconnaître enfin officiellement avec la responsabilité de ceux qui l’ont rendu possible par leur incurie, leurs négligences et leur complaisance. Car la cause de marasme est bien visible à quelques ramées d’une avenue Noël Franchini transformée en torrent, et les noms et visages de ses coupables sont bien connus, voire bien élus.

 

La décennie 2010 a été celle de l’assassinat d’un territoire anciennement productif dont on éventre et décapite les collines avant d’en ensevelir les restes sous l’enrobé et le béton.

Toute réalité y est niée, notamment son patrimoine historique et paysager constitué de ses vallées et coteaux cultivés en terrasses, vignes, terres de pâturage, serres… Permettant par la nature du site et la cohérence de ses aménagements de canaliser les risques d’inondabilité.

L’artificialisation non maîtrisée des sols par la multiplication des constructions et des aménagements attenants (parkings, voies de desserte…) menaçait déjà de manière absolument alarmante un équilibre fragile où étaient identifiés les secteurs exposés aux aléas forts d’inondation, sans pour autant qu’il ne soit accordé le moindre intérêt à la gestion des eaux. Les bassins de rétention et exutoires ont été pensés et dimensionnés comme réponse à un problème déjà récurrent et sans anticiper la croissance exponentielle de l’étalement urbain dans les zones en amont qui ont vu en 7 ans éclore des milliers de logements dans des opérations toutes plus monumentales et décontextualisées les unes que les autres.

 

En 2014, dans le cadre d’une mission d’architecte et urbaniste conseil de la ville d’Ajaccio, notre agence questionnait le devenir de l’expansion frénétique de la ville du coté de son entrée nord et au niveau de la Rocade. Une expansion par opportunités, au coup par coup et sans aucune vision que celle de la rentabilité des opérations par leurs promoteurs, qui a construit au fil des années une image totalement illisible de ce morceau indéfinissable d’un territoire de consommation boulimiques des terres naturelles et agricoles où les zones monofonctionnelles sont apposées les unes après les autres sans logique de continuité avec les quartiers voisins, toujours plus enclavés et inaccessibles.

En amont de l’avenue Noel Franchini, le projet alors en phase d’études d’une opération de près d’un milliers de logements sur le vallon de Budiccione nous avait valu la rédaction d’un avis. Nous y interrogions avec inquiétude la violence de la transformation du site et de sa topographie pour la réalisation d’un programme démesuré qui prévoyait un arasement conséquent de la colline sur une hauteur d’environ 16 mètres de manière à y implanter des ensembles de logements sous forme de « barres » agrémentées de toits à quatre pentes et terrasses rompant en façade avec l’expression la plus violente de cette typologie pourtant mise en oeuvre ici même avec une radicalité extrême.

 

Nous écrivions sur les points particuliers de la gestion de l’eau en milieu urbain et du rapport à la topographie :

« Au regard, encore une fois, de l’échelle de la zone inondable, gérée par le bassin de rétention initialement prévu à 10000m3 dans le PLU (ce volume tendant à se modifier vis à vis de la minéralisation massive de la zone de projet et des terrassements importants), il s’agirait de proposer un véritablement traitement paysager sur l’ensemble de ce qui ne s’apparente aujourd’hui qu’à un équipement technique.

À l’image du bassin de rétention de la Madunuccia, déjà réalisé plus en aval, un tel équipement, en lien avec tous les autres bassins de rétention aménagés ou en projet dans l’épaisseur de la rocade, est susceptible de porter une véritable trame verte en ré-instaurant les ripisylves le long des cours d’eaux et par se faire, renouveler l’image de l’entrée de ville qui peine aujourd’hui à se construire une identité par l’urbanisation anarchique et décontextualisée qu’on lui connaît.

L’option de l’arase de la colline telle que proposée (16 mètres environ de dénivelée) et son déboisement total est inenvisageable.

En premier lieu parce qu’elle porte atteinte de manière considérable au site et au paysage naturel (disparition de l’espace boisé et de la faune associée) et fait disparaître une perspective urbaine remarquable sur la colline depuis la rocade et l’avenue Noël Franchini, le reste de la butte étant totalement occultée par l’implantation de la barre de 210 m de 9 étages prévue au piémon .

Au delà de considérations strictement réglementaires, un modification aussi radicale de la topographie naturelle constitue une négation du contexte, faisant s’adapter la géographie et les dis positions physiques du site au projet et non l’inverse. L’insertion du projet dans son environnement est conditionnée en premier lieu par une réponse particulière, contextualisée au site.

(…) Quid de l’impact réel de la disparition de cette partie de la colline, en plus des excavations importante sous les bâtiments -R-2/3- associée à la forte minéralisation des surfaces extérieures, sur l’inondabilité de la zone et la transformation, de fait, du PPRI…?

(…) Les différents aménagements nécessaires à la desserte de la résidence peuvent être traités de manière plus minimales : la minéralisation imperméable des surfaces (enrobé/bitume) pouvant être mise en oeuvre sur les seules voies de desserte de la résidence. Les zones de stationnement et autres séquences d’entrée, espaces de rencontre extérieurs et parcours piétons pouvant, quant à elles être traitées comme surfaces perméables (sol laissé naturel, stabilisé, sol perméable en béton, stationnement végétalisé par plantation de sujets de haute tige et traitement des sols par dalles végétalisées ou non….). La réponse au traitement du sol ne peut se limiter à une réponse bitumée systématique à l’heure où des réponses valorisant La qualité inhérente à ces « espaces ouverts » – véritables réservoirs de la biodiversité en milieu urbain – construit dans le même temps un parc en réseau, au sein de laquelle les mobilités douces – et de l’échelle du quotidien que le piéton suggère – pourraient être introduites.

Ainsi, un nouveau raisonnement est à trouver pour permettre à cette opération d’être un véritable projet de ville et un modèle de qualité et d’innovation architecturale, ce qui lui permettra de rayonner au-delà d’Ajaccio et de la Corse. C’est indispensable au regard de la qualité du site et des enjeux pour la ville. »

 

Ce programme a, par la suite, été revu à la baisse (réduction du nombre d’étages et modification de la volumétrie d’ensemble) mais a conservé son caractère démesuré avec près de 800 logements.

Il approche désormais de sa phase d’achèvement, et se voulant, comme d’autres dans le voisinage immédiat – et bien à tort – symbole d’une ville attractive, espérons qu’il ne soit pas dans un futur très proche celui d’une ville qui tue car à ce rythme nous ne compterons plus seulement les dégâts matériels mais les morts par noyade en pleine ville, et encore une fois on pourra rappeler aux responsables qu’on le leur avait dit.

 

Sébastien Celeri

Président de l’Ordre des Architectes