Il y a près de 40 ans, en 1983, dans un reportage « Corse à l’endroit, Corse à l’envers », signé François Enderlin, Edmond Simeoni témoignait d’une île aliénée, sous la double dépendance du clan et de l’Etat jacobin. Images crues qui démontrent à quel point, encore aujourd’hui, nous payons les errements du passé en matière de déchets, de constructions, de spéculation, de désert intérieur… Il était alors interrogé sur une éventuelle indépendance de l’île… et il expliquait nos antagonismes, avec toujours une grande lucidité.
«Le peuple corse, comme tous les peuples, a ses contradictions, ses héros, ses doutes, ses interrogations, et il est confronté depuis quelques années à une mutation économique, sociale, culturelle, qui remet en cause les fondements traditionnels d’une société. Confronté à ces difficultés neuves, le peuple corse hésite, s’interroge, doute, s’extrémise dans ses fractions les plus jeunes. Mais la ligne de fond qui est nettement perceptible depuis ces deux dernières décennies, c’est qu’il se réconcilie progressivement avec son identité profonde. Les Corses sont des Méditerranéens, passifs, et non pas impulsifs comme on le croit, acceptant l’intolérable pendant longtemps, mais ayant prouvé toujours au cours de leur histoire qu’il y avait des limites qu’il ne fallait pas dépasser. Et je crois que l’État, en particulier au cours des deux dernières décennies, a montré – pendant une politique de colonisation qui si elle n’était pas féroce, était quand même extrêmement efficace –, qu’il voulait atteindre le peuple corse dans sa substance, dans son identité. Ce fut une période pratiquement inévitable de convulsions, de violences, de drames, d’emprisonnement. Mais il est difficile d’être témoin et acteur de son temps parce que l’acteur est impatient.
On tente de nous décrédibiliser mais l’histoire nous a déjà donné raison et nos détracteurs sont en fait en retard de plusieurs décennies. Nous avons la fierté de nous être insurgés les premiers, et ce n’est pas nous qui avons privé la Corse de toutes ses ressources, qui les avons aliénées. Ce n’est pas nous qui avons condamné des centaines de milliers de Corses à partir, ce n’est pas nous qui avons détruit l’identité corse. Nous, nous l’avons défendue, nous avons réhabilitée la Corse, et je crois que l’histoire le retiendra.
(…) Je me suis toujours senti profondément français jusqu’en 1952, quand j’ai commencé mes études sur le Continent, où j’ai acquis le sentiment de la différence, et puis, la lecture de l’histoire qu’on avait occultée, le mépris qu’on a eu pour cette identité, l’aliénation de nos ressources, le phénomène claniste, m’ont progressivement détaché, non pas du peuple français, qui est un peuple frère comme tous les autres peuples, mais de l’État français qui a eu un rôle aliénant sur cette terre. Et je crois que c’est essentiellement la voie de la raison qui m’a fait choisir depuis de longues années le chemin de la complémentarité avec l’État français, et non pas le chemin de l’antagonisme. Mais pour dialoguer, il faut être deux.
(…) Une Corse indépendante est parfaitement concevable au plan économique, social, culturel ; cependant, il y a des servitudes qui ne peuvent pas être occultées. Nous sommes dans une zone géostratégique sensible en Méditerranée où s’affrontent les antagonismes. Il y a avec la France des liens multiséculaires, des brassages de populations, des mixages, et je crois qu’il serait proprement aberrant dans un siècle d’interdépendances – la France elle-même ne dépend-t-elle pas du gaz sibérien ? – je crois qu’il serait aberrant de chercher une indépendance qui serait plus formelle que réelle. »