La langue incontestablement la mieux parlée dans les instances européennes est la langue de bois. Elle est particulièrement en vigueur entre parlementaires et hauts fonctionnaires de la Commission Européenne, quand les députés soulèvent des problèmes que la technostructure bruxelloise ne souhaite pas entendre. Aussi quand une réponse, signée par une responsable aussi haut placée dans la hiérarchie communautaire que l’est la Présidente de la Commission, Mme Ursula von der Leyen, sort de la langue de bois habituelle, le fait mérite d’être souligné.
La question des îles dans l’Union Européenne fait l’objet d’un lobbying continu, depuis l’origine du Parlement Européen, à travers notamment un Intergroupe de parlementaires qui rassemble les députés européens issus des îles et des régions côtières. Formé par 114 députés, il est le second plus important des intergroupes agréés par le Parlement. En son sein, plusieurs vice-Présidents exercent une pression constante sur les différentes thématiques liées aux régions côtières et insulaires. J’ai été élu pour être le vice-Président en charge des îles. Le Président, Tonino Piçula, est croate et originaire d’une des îles de la côte de l’Istrie.
Jusqu’à présent, la Commission a toujours fait la sourde oreille. Elle a divisé les îles de l’Union Européenne entre « Régions Ultra-Périphériques » (les RUP en jargon bruxellois) à savoir les territoires européens situés à plus de mille kilomètres du continent européen, qui sont tous des îles à l’exception de la Guyane, et les autres îles qui, en Méditerranée, en Mer Baltique ou en Mer du Nord sont moins éloignées géographiquement.
Ce partage a arrangé la France qui a pu ainsi attirer vers ses « départements d’outre-mer » de nombreux financements, tout en oubliant délibérément la Corse. Il a eu aussi l’adhésion de l’Espagne, au bénéfice des Canaries et au détriment des Baléares, et il a favorisé le Portugal qui a pu ainsi recevoir de nombreux financements pour les Açores et Madère. L’Italie (îles toscanes, Sicile, Sardaigne) et la Grèce aux multiples îles habitées, et aussi la Finlande, la Suède ou le Royaume Uni, ont dû se plier à ce « règlement non écrit » qui se fait au détriment de leurs populations insulaires.
Dès le 20 avril, avant que le plan de relance européen ne soit présenté, onze députés insulaires ont à nouveau interpellé la Commission Européenne et sa Présidente sur la nécessité de prendre en considération la situation particulière des îles dans le contexte économique créé par l’épidémie du Covid-19 : « nos régions sont à la fois beaucoup plus fragiles et beaucoup plus impactées par la crise du Covid-19. Chaque territoire insulaire est menacé d’un effondrement économique général. »*
La réponse de Madame von der Leyen surprend par sa clarté : « Je partage pleinement votre évaluation de l’impact asymétrique de l’épidémie de COVID-19 sur la situation dans les différents États membres et régions de l’UE, et en particulier sur les régions insulaires. En raison de leur dépendance à l’égard du tourisme ainsi que des transports aériens et maritimes, l’économie de ces régions est touchée d’une manière sans précédent. »*
Dès septembre, les députés signataires engageront des contacts pour obtenir que cette réponse trouve sa traduction concrète dans les plans de relance que l’Europe va financer à travers les États-membres. Beaucoup reste à faire, mais un climat de compréhension de nos problèmes spécifiques semble enfin s’être installé à Bruxelles.
François Alfonsi.
*Lire la lettre des onze députés insulaires à la Présidente de la Commission Européenne
*Lire la réponse de la Présidente de la Commision Européenne