« Terre de liens Corsica, Terra di u Cumunu » est la déclinaison, en Corse, d’une démarche née en France au début des années 2000, avec pour objectif lutter contre la spéculation sur les terres agricoles et permettre leur mise en valeur. Sa représentation dans l’île s’est mis en place ce samedi 22 juin à Corti. Jean François Bernardini en est le coprésident avec Vincente Cuchi. Il n’est pas seulement un chanteur engagé, il est un militant des causes humaines, s’impliquant fortement dans les actions citoyennes. Après la Fondation de Corse Umani, et ses nombreuses initiatives solidaires, après son action pour promouvoir la Non Violence, il se fait le porte-parole en Corse de cette association « Terres de lien » et lui donne sa déclinaison «Terra di u Cumunu ». Il était l’invité de notre confrère RCFM ce 21 juin, par la voix de Patrick Vinciguerra. Arritti en résume ici l’échange.
Pouvez-vous nous dire ce qu’est Terre de liens et son objectif ?
Ce n’est ni un parti politique, ni une association environnementale ou caritative, c’est un mouvement citoyen. C’est la société civile, un mouvement transversal à plusieurs citoyens, qui se préoccupe d’une part de préserver les terres agricoles et qui encourage les paysans à s’installer pour une agriculture non pas fondée sur des choix d’il y a 50 ans, mais sur une agriculture saine et durable.
Comment ça fonctionne ?
Terre de liens achète ces terres en faisant un appel à l’épargne. C’est à dire que chaque citoyen peut acheter une action à 108 €, faire un placement qui est remboursable, et ainsi participer à devenir ensemble propriétaire de ces terres. C’est à dire en s’engageant à ne jamais les revendre et à les préserver de toute spéculation foncière, pour une destination qui est durable et qui est une garantie pour le citoyen. Ces terres ont une vocation définitive à l’agriculture saine, et elles ne rentrent pas dans les circuits spéculatifs dont on sait qu’ils peuvent faire des ravages.
Ce rôle d’acquisition n’est-il pas celui de la Safer ?
On a vocation à travailler avec toutes les institutions locales, la Safer y compris.
Elle joue un rôle prépondérant, c’est même un outil assez exceptionnel en Europe. Par contre ce que ne fait pas la Safer, c’est l’animation citoyenne des territoires. Contrairement à ce que l’on peut penser, ce n’est pas l’argent qui manque. Ce qui manque c’est la confiance citoyenne, l’animation citoyenne des territoires qui donne la confiance à tout paysan qui veut s’installer, et qui dit j’ai trouvé la terre mais je ne peux pas l’acheter. C’est l’alliance entre la société civile et les paysans, pour dire on a besoin urgemment de vous. Nous avons 10-12 ans sur la planète, et en Corse aussi, pour prendre à bras le corps un défi climatique, un défi foncier, et un défi nourricier.
Cela dit, le Padduc sanctuarise 105.000 hectares de terres agricoles, alors même que le nombre d’agriculteurs ne cessent de baisser, ce n’est pas suffisant ?
C’est la Corse à l’envers. L’agriculture représente à peine 2% du PIB [contre 25% le tourisme à peu près]. Il y a le Padduc qui est sur les cartes, et puis il y a le Padduc intérieur, celui qui gouverne nos têtes. C’est à dire qu’aujourd’hui dans notre esprit à tous, nous avons un imaginaire spéculatif, la terre n’a de valeur que si elle est bétonnable, que si elle est bétonnée, si elle est piscinable.
C’est une erreur majeure qui menace profondément nos générations, à nous et à venir. Terre de liens a voca tion à travailler avec toutes les institutions, chacun peut devenir actionnaire, et avec cette volonté citoyenne qu’il est urgent d’animer sur les territoires.
Mais cette spéculation foncière concerne surtout le littoral, pas tant les terres agricoles, qui dans certaines régions sont plutôt laissées à l’abandon ?
Comment voulez-vous qu’un jeune paysan, quelqu’un qui est au lycée agricole, ait vocation à s’installer dans une société où on a profondément dénigré les métiers de la terre, en disant « ùn fà micca u pastore, ùn t’occupa micca di a terra », et en même temps, avec des taux de foncier qui ne font qu’augmenter !
Si la société civile ne donne pas à ces paysans dont nous avons urgemment besoin, un signal positif, fort, en disant « a terra hè l’affare di tutti », le paysan est livré à lui-même pour accéder à ces terres dans un marché qui est totalement étouffé par une production alimentaire qui vient de l’extérieur. Comment voulez-vous que la capacité de la terre nourricière à rester dans sa vocation première, c’est à dire nourrir les hommes et les femmes de ce pays, ce qui va devenir une urgence – il se peut que dans 10 ou 12 ans les questions seront «Que va-t-on manger ? Que vat- on boire?» Aujourd’hui les fleuves partout dans le monde ont baissé de 20 à 30% leur débit. C’est vrai en Corse aussi, ce sont des questions fondamentales.
Nous avons urgemment besoin de ces acteurs.
Mais c’est une révolution des mentalités qu’il faut ! Cette vision du Corse proche de la terre c’est plutôt une vision nostalgique, aujourd’hui les Corses sont davantage tournés vers la mer, et surtout vers le profit ?
La preuve qu’apporte Terre de Liens, c’est que ça marche. Et qu’il n’y a aucune raison pour que ça ne fonctionne pas en Corse aussi. Depuis 2003, Terres de Liens a racheté en France 4680 hectares, a pratiqué 220 installations, a mobilisé plus de 65 millions d’euros. Et je reviens à ce que je disais : ce qui manque ce n’est pas l’argent. C’est l’animation citoyenne d’un territoire où la terre nourricière est le premier outil politique dont nous devons nous emparer, pour ne pas le livrer à la spéculation et à une vocation piscinable.
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Terre de Liens est né en France de la convergence de plusieurs mouvements liant l’éducation populaire, l’agriculture biologique et biodynamique, la finance éthique, l’économie solidaire et le développement rural. C’est un réseau associatif qui accueille et accompagne les paysans pour leur permettre d’accéder à la terre, et informe et mobilise le public autour de ces enjeux fonciers et agricoles. Ce réseau s’appuie sur un outil d’épargne solidaire ouvert aux citoyens, La Foncière, agréée entreprise d’utilité sociale, et sur une Fondation, habilitée à recevoir des dons, legs et donations. L’argent récolté permet l’acquisition de terres et fermes agricoles mis à la disposition d’agriculteurs qui s’engagent au respect de l’environnement et à la préservation des ressources naturelles.