À la double invitation du président de la Collectivité de Corse, Gilles Simeoni, et de l’eurodéputé Verts-ALE, François Alfonsi, la venue d’Antonì Vicens i Vicens, directeur en charge des relations extérieures pour le gouvernement des Baléares, venu présenter à Aiacciu, au Palais Lantivy, le « décret sur la conservation de la Posidonia Oceanica dans les îles Baléares » et la politique mise en œuvre pour son application, est un événement. À cette occasion, en effet, la Corse, par la voix du président de l’Exécutif, Gilles Simeoni, et du président de l’Office de l’environnement, Guy Armanet, a annoncé sa volonté ferme d’adhérer au Réseau méditerranéen sur la Posidonie, MedPosidoniaNetwork, créé à Athènes en 2019, sous l’impulsion notamment du gouvernement des Baléares. Présents également à Aiacciu Catherine Piante de WWF, Frédéric Villers de l’Office français de la biodiversité (OFB), Reda Neveu pour l’association MedPan, tous scientifiques membres du réseau, venus appuyer l’importance de préserver et restaurer ce patrimoine naturel endémique majeur de la Méditerranée. Objectif : protection totale des herbiers de posidonies à l’horizon 2030.
En pleine polémique sur les initiatives de l’État de multiplier autour de l’île les installations de coffres de mouillage pour accueillir les navires de grande plaisance, sans concertation avec les institutions de la Corse, l’initiative prise conjointement entre Gilles Simeoni et François Alfonsi, avec le soutien du gouvernement des Baléares, vient à point nommé. La menace que fait peser une activité touristique massive sur la biodiversité marine et les déséquilibres engendrés, inquiète. À l’heure où le réchauffement climatique nous entraînent dans un cercle vicieux de plus en plus infernal, où l’ensemble de la communauté scientifique ne cesse d’alerter et où les gouvernements du pourtour méditerranéen commencent à prendre conscience de l’importance de préserver et de restaurer ce patrimoine naturel précieux, endémique à la Méditerranée, qu’est Posidonia Oceanica, l’entrée annoncée de la Corse dans le réseau MedPosidoniaNetwork est une excellente nouvelle !
Il y avait du beau monde au Palais Lantivy ce 5 mai 2023 pour entendre cette annonce. Scientifiques et responsables de la Stareso, du Parc naturel régional de Corse, gestionnaire de la réserve de Scàndula, de l’Université de Corse, de la Réserve naturelle internationale de Bonifaziu et des îles Lavezzi, du Parc marin du Cap Corse et des Agriates, en passant par des sommités tel que les professeurs Christine et Gérard Pergent, des associations telle Global Earth Keeper, des élus de la Collectivité comme le président de la commission des compétences législatives, Romain Colonna, des membres de l’Assemblea di a Ghjuventù ou des élus locaux comme le maire de Belvidè Campumoru Don Georges Simeoni, et bien d’autres, tous mobilisés dans la préservation de cette richesse aux multiples vertus.
Les intervenants scientifiques de WWF, l’OFB, MedPan l’ont rappelé tour à tour. Cet herbier n’est pas une algue, c’est une plante qui fleurit et produit de la photosynthèse, un véritable puit de carbone, capable d’emprisonner le CO2 bien plus que ne peut le faire même la forêt amazonienne ! Sa capacité de capture de CO2 par hectare est la plus élevée au monde et c’est un écosystème remarquable, source essentielle de vie sous-marine abritant 25 % des espèces marines de Méditerranée. Une fois morte la posidonie continue à œuvrer pour le bien de l’environnement, formant une barrière qui protège le littoral de l’érosion et des tempêtes. Elle y abrite nombre d’organismes vivants. Sous l’eau, elle forme une couche épaisse sur des milliers d’années qui contribuent à la capture du carbone : détruire la posidonie, c’est aggraver le réchauffement climatique. L’herbier a aussi un rôle important dans la régulation des courants, et filtre les sédiments, il concoure donc à la limpidité de l’eau qui lui permet de se développer car il a besoin de la lumière du soleil pour croitre. C’est pourquoi il ne se développe pas au-delà des 30 m de profondeur, sauf en Corse où il peut atteindre jusqu’à 40 m, ce qui témoigne de la pureté de nos eaux dans des sites remarquables comme Scàndula ou les Lavezzi. La Corse compte parmi les plus beaux herbiers avec les Baléares. Et cela donne une résonnance encore plus importante à notre adhésion au MedPosidoniaNetwork ! Il faut impérativement conjuguer nos efforts pour la protéger partout. C’est l’objectif du réseau. Il regroupe États, institutions et acteurs engagés dans la protection de Posidonia Oceanica.
Gilles Simeoni veut faire de la Méditerranée « une de nos priorités absolues », du fait de son rôle et des menaces multiples qui pèsent sur elle, pollutions plastique, hydrocarbures, labourage des herbiers avec les ancres de mouillage du nautisme… « Il nous faut prendre des décisions politiques fortes » a dit le président de l’Exécutif, « ce qui est fait par les îles Baléares doit nécessairement inspirer la Corse ». Or, « c’est l’État qui prend les décisions et in fine les prend seul » a-t-il déploré. « La Corse qui aspire à l’autonomie a vocation à récupérer cette compétence ». Relevant la « situation d’urgence » et sa volonté d’y faire parade, il a annoncé l’adhésion de la CdC au Réseau méditerranéen sur la Posidonie. « Il faut impérativement protéger sans le moindre espace pour quelconque remise en cause des herbiers de posidonies. Toutes les activités qui peuvent avoir un impact négatif direct ou indirect, de court, moyen ou de long terme, doivent être par principe interdits. Et c’est bien sûr au premier rang de ces activités la question du mouillage qui continue dans des conditions qui sont inacceptables. La Corse doit donner l’exemple » a fermement déclaré Gilles Simeoni. « Il faut aller plus loin, nous avons engagé une politique de quotas pour protéger nos espaces sensibles. Partout où il y a un espace naturel, de la biodiversité, et où il y a une fréquentation excessive, la Collectivité de Corse et l’Office de l’environnement de la Corse ont vocation à réguler et le cas échéant à interdire. Nous le faisons directement, nous le faisons également avec le Parc naturel marin du Cap Corse et des Agriates » a-t-il asséné, réveillant lors du débat la réaction des professionnels du nautisme.
En quelques diapositives, Antonì Vicens i Vicens enchante l’auditoire par la pertinence des choix du gouvernement des Baléares et les résultats produits.
Les Baléares ce sont 1,2 M habitants, mais 16 M de touristes chaque année et notamment plus de 30.000 bateaux de plaisance qui mouillent autour de l’Archipel. Ses herbiers de posidonies occupent une surface de 650 km2, soit 1,50 % des herbiers espagnols. Celui de Formentera est de très haute qualité biologique, c’est dire la complexité pour conjuguer les deux impératifs. Le choix qui a été fait par le gouvernement autonome de donner la priorité à la protection des posidonies est remarquable. Outre le décret de protection de la posidonie, le gouvernement des Baléares est offensif dans sa politique de protection de l’environnement : loi sur le changement climatique et la transition énergétique, loi sur les déchets, pionnière dans le traitement des plastiques à usage unique, loi de création du Parc national maritime-terrestre de Cabrera, approbation de 8 plans de gestion du réseau Natura 2000 et de deux plans hydrologiques. « En 8 ans on a protégé l’équivalent en surface de la moitié de l’île de Majorque et l’équivalent de la totalité de la surface de Majorque en ce qui concerne la protection marine » a dit Antonì Vicens i Vicens. Il y a désormais 31 % de surface protégée dans l’ensemble des îles Baléares.
Malgré cela et malgré la règlementation européenne, il faut être présents sur le terrain pour combattre les nuisances (ancrage des bateaux, rejets illégaux, trafic maritime). « Notre statut d’autonomie donne les compétences exclusives en matière de protection de l’environnement dans les espaces naturels » explique Antonì Vicens i Vicens. Ce qui a permis de travailler complémentairement à toutes ces protections, sur quatre axes principaux :
– Législation : plan de gestion Natura 2000, décret relatif à la conservation de la posidonie pour encadrer les protections et mieux gérer et contrôler.
– Communication et diffusion : brochures, campagnes sur le web, assistance téléphonique, application Posidonia du gouvernement pour permettre le mouillage sans affecter les herbiers… « C’est un axe très important pour faire partager à toute la société l’importance de la posidonie. Cette conscience sociale nous a permis vraiment d’avancer ».
– Action de gestion directe en mer : zones d’amarrages respectueuses des herbiers marins, sept zones ont été créées, et surtout, 18 bateaux surveillent et aident à l’ancrage.
– Création du réseau Mediterranean Posidonia Network pour partager cette protection avec l’ensemble des territoires de Méditerranée.
Parmi les éléments les plus importants du décret, la délimitation cartographique et le catalogage selon les valeurs écologiques de tous ces espaces. Financée par une écotaxe qui fait donc participer le tourisme au travail de protection de l’environnement, cette cartographie a permis de prioriser la gestion et de « mener plus précisément les différentes actions ». Le décret interdit de récolter, couper, mutiler, déraciner ou détruire Posidonia Oceanica. Il règlemente le retrait des posidonies mortes sur les plages, combat « historique » aux Baléares où les gens revendiquaient le nettoyage de ces « plages sales ». Il y a eu un travail pédagogique pour faire comprendre l’importance de ces dépôts. Là encore une classification des plages permet de traiter différemment les plages naturelles et les plages urbaines, permettant d’enlever la posidonie durant la saison avec tout un protocole de suivi et la redéposer durant les mois moins fréquentés, « avec toujours une autorisation du gouvernement » insiste Antonì Vicens i Vicens.
Autre point important, la réglementation de l’ancrage des bateaux. Il est impossible sur la posidonie à haute valeur écologique et très règlementé sur des espaces de moindre impact, avec un système de bouées simples installées par le gouvernement durant la saison touristique et enlevées hors saison.
Un comité Posidonie évalue « à chaque fois avec les informations précises et recataloguer la situation de chaque herbier, informer et inventorier les différents impacts observés, de manière dynamique et proposer des mesures supplémentaires ». Y sont représentés le gouvernement autonome, les présidents des associations de maires, l’université, les centres de recherche scientifique, les conseils insulaires de chacune des îles Baléares, les présidents des confréries de pêcheurs…
Les résultats sont immédiats. 50.476 actions menées par les gardes en 2018, 201.832 en 2022. Les images par avion sont parlantes de l’efficacité de ces contrôles… où l’on distingue très nettement les mouillages sur le sable, préservant les herbiers. Les plongées scientifiques sont aussi fréquentes et le travail de sensibilisation permanent, les sanctions sans appel.
Enfin, MedPosidoniaNetwork créé en 2019 regroupe 10 pays et de nombreux organismes scientifiques et acteurs associatifs. Le réseau travaille sur la connaissance et le suivi de la santé des herbiers, les impacts et les règlementations à renforcer ou à créer pour une meilleure protection, les alternatives pour l’ancrage, le lobbying international. La région de Valencia a commencé à mettre en place un décret Posidonia, d’autres territoires en Méditerranée prennent ce chemin.
Là encore l’union fait la force ce qu’a confirmé l’intervention du président de l’Office de l’environnement qui aspire à davantage de compétences pour pouvoir adopter ce type de décret, mais aussi à travailler « à droit constant pour aller plus loin dans la protection », répétant sa volonté de « contribuer au réseau construit, prêt à y participer, prêt à signer une charte ».
Parmi les programmes européens en cours, François Alfonsi fait part de ceux dans le cadre de la Politique agricole commune qui consistent à encourager la reforestation et limiter le recours aux pesticides. « Ce que j’aimerais c’est étendre ce dispositif aux herbiers de posidonies », permettant de créer des dispositions financières pour réparer les impacts « que des années et des années de plaisance sauvage ont exterminé dans certaines secteurs ». Une piste « très intéressante » saluée par le professeur Perjent qui a fait part aussi de son travail « sur des techniques de transplantation d’herbiers », avec des sites d’expérimentation ou de restauration d’herbiers. « Mais nous serons toujours limités par la vitesse de croissance de la plante et la conservation, c’est-à-dire la restauration passive avec la surveillance resteront l’arme la plus efficace » a affirmé le professeur émérite saluant l’initiative de ce débat.
Arritti reviendra prochainement sur les échanges et interventions lors de cette conférence. •