Algaghjili murtali

« Agissez vite avant que la situation ne devienne irréversible »

Le dernier documentaire d’investigation de Jean-Charles Chatard, coproduit par France Télévision sera présenté en avant-première à Lama ce 26 mai. Il sera ensuite diffusé sur Via Stella le 1er juin. Ne le manquez pas. Il alerte sur cette nouvelle « bombe à retardement » environnementale que sont les cyanobactéries. Elles sévissent du nord au sud, et d’est en ouest, sur tous les bassins versants de l’île. Toutes les retenues d’eau potable et agricole sont impactées par le phénomène, nous explique Jean-Charles Chatard. Il faut réagir. Et vite.

 

Votre prochain documentaire sera présenté en avant-première à Lama, ce 26 mai. Quel est le message que vous avez voulu faire passer dans ce gros travail d’investigation?

La principale vertu d’un documentaire est d’offrir aux téléspectateurs un éclairage nouveau sur un sujet de société qui est partiellement ou pas du tout abordé au journal télévisé. C’est le cas de la prolifération des cyanobactéries. J’ai souhaité adresser un message aux décideurs et citoyens consommateurs d’eau potable et agricole en Corse « Regardez ce film.

Jugez par vous-mêmes. Agissez vite chacun à votre niveau avant que la situation ne devienne irréversible». La trame du film se résume ainsi… Si l’on ramenait l’histoire de la terre à l’échelle d’une année, les cyanobactéries seraient apparues aux environs du mois de juin alors que l’homme, lui, serait apparu quelques heures avant la fin de l’année. Ces cellules microscopiques ont joué un rôle fondamental dans l’évolution de notre planète en y créant pour la première fois, par photosynthèse, de l’oxygène. Mais, depuis la révolution industrielle, la donne a changé. Effets directs issus de la pollution et du réchauffement climatique, elles ont commencé à muter progressivement sous forme de poison mortel pour sévir à plusieurs endroits dans le monde et notre île ne fait pas exception…

Après la question du nucléaire, celle de l’amiante environnementale, celle des déversements toxiques en Méditerranée, votre préoccupation sur le danger causé par les cyanobactéries sur la qualité de l’eau est encore écologique… d’où vous vient cette sensibilité à la cause de l’environnement ?

Il y a vingt ans, le simple fait de débattre avec des élus insulaires sur les conséquences de certaines activités humaines ayant un potentiel dévastateur sur la santé des Corses était un tabou. Au lieu d’être écoutés et pris un peu en considération, associatifs et journalistes étaient rapidement catalogués «écolos de base». Je me souviens encore de Paul Giacobbi qui me disait en 1998, au cours d’une halte électorale dans le Niolu : «Soyons crédibles.

Tchernobyl n’a eu aucun impact sur les goitres et cancers de la thyroïde en Corse. Ces gens sont malades à cause de leur régime alimentaire, de leur carence en iode et bien sûr de la radioactivité dégagée par le granit naturel. »

Quatorze ans après cet échange teinté, vous le noterez, d’une infime délicatesse, le même Paul Giacobbi, devenu président du conseil exécutif de la collectivité territoriale de Corse, a fait voter à l’unanimité une enquête épidémiologique sur appel d’offre européen visant à recenser, auprès de la population locale, les maladies pouvant être liées au nuage radioactif de Tchernobyl de 1986. Pour en revenir à votre question, l’environnement et la santé sont l’un et l’autre indissociables de mes films. Dans la mondialisation actuelle, en plus de la précarité, ce sont les deux thèmes les plus vulnérables.

Il me semble qu’il y a urgence de prendre aujourd’hui des mesures concrètes et radicales pour offrir de meilleures garanties sanitaires à la faune sauvage, aux animaux d’élevage et à la population en général. Et à plus long terme, d’assurer à l’espèce humaine de pouvoir subsister sur notre planète. Dans «Algaghjili murtali », j’aborde le thème très sensible de la sixième extinction massive des espèces avec le scientifique Paul Ehrlich, ancien conseiller de Barack Obama sur la question du réchauffement climatique.

 

Corse, « île de beauté»… ce ne serait qu’en apparence? Votre enquête a quelque chose d’effrayant… la situation est-elle aussi mauvaise que vous le dîtes?

La Corse est belle, oui, mais pour combien de temps encore? C’est ça la véritable question que devraient se poser nos concitoyens insulaires. Ne nous voilons pas la face, l’essor exponentiel des blooms de cyanobactéries dans les eaux de baignade, d’abreuvage des troupeaux et de boisson représente aujourd’hui une énième bombe à retardement pour les secteurs de l’agriculture et du tourisme.

Pour le moment, du côté de l’Etat, c’est le profil bas qui prime. Business is business. Moins on en parle, mieux on se porte. Le principe de précaution n’existe pas. À l’image des déchets, le jour où ça explosera à la face des pouvoirs publics, alors, il sera trop tard.

 

Mais le danger n’existe-t-il pas surtout sur des eaux stagnantes… nos barrages sont en

renouvellement régulier, ne faudrait-il pas relativiser?

À cause de la divagation animale, de la mauvaise gestion des eaux usées, de la baisse du débit des rivières et de la hausse des températures, le risque sanitaire est prégnant depuis dix ans du nord au sud, et d’est en ouest, sur tous les bassins versants de l’île. Toutes les retenues d’eau potable et agricole sont ainsi impactées par le phénomène. À tel point que les agents de l’office d’équipement hydraulique de la Corse sont sur le pont tout au long de la saison estivale.

Excusez-moi de noircir davantage le tableau, mais il y encore plus alarmant…

Le scientifique Antoine Orsini, directeur du laboratoire d’hydrobiologie de l’université de Corse, a détecté l’été dernier un développement d’efflorescences de cyanobactéries dans une rivière en aval de la ville de Corti !!!! Cela veut dire, que le mal se propage aujourd’hui bien au-delà des installations de l’OEHC et d’EDF.

Et ceci, dans la totale indifférence des pouvoirs publics.

 

Vous ciblez l’apathie des autorités, est-ce négligence, jemenfoutisme, ignorance? Face à la problématique du réchauffement climatique, la Corse est-elle vraiment armée pour lutter?

Malgré des décès présumés d’animaux et des conséquences sanitaires supposées sur la population, à ce jour, personne n’a déposé plainte pour mise en danger d’autrui.

Si un jour ça arrive, alors la justice se rendra peut-être compte du pot aux roses. Par exemple, il existe une retenue d’eau du nord-ouest de l’île où l’université de Corse a mesuré jusqu’à 800 fois le taux d’alerte maximum édicté par l’OMS. Sans que cela fasse l’objet de mesures de rétorsion et encore moins d’informations auprès du public. Dans l’île, les laboratoires d’hydrobiologie sont ultraperformants. Il existe de bonnes publications scientifiques. Vous comprenez bien que les autorités n’ignorent donc pas le problème. Tant que le lièvre n’est pas levé, c’est le silence radio qui prime. Circulez il n’y a rien à voir, et ceci, dans le seul but de gagner la paix sociale.

De par sa topographie et son fort indice de pluviométrie, la Corse est sans doute l’île de Méditerranée la mieux armée pour lutter contre le réchauffement climatique.

Ceci-dit, il faut garder un oeil attentif sur les menaces que représentent le développement du tourisme de masse et le bétonnage de nos côtes.

L’application stricte de la loi Littoral et le respect des règles du Padduc sont deux atouts indissociables pour limiter les conséquences d’un tel réchauffement sur l’homme et la nature.

 

Votre film agit en quelque sorte comme « lanceur d’alerte», que faudrait-il faire selon vous?

Je ne suis ni scientifique ni décideur. Les jeux politiciens ne m’intéressent pas. Par contre, comme vous, je suis un citoyen insulaire. C’est donc à ce titre que j’attends de la part des autorités sanitaires et des exploitants des barrages un peu plus de transparence sur la qualité des eaux destinées aux animaux, aux maraîchages et à la consommation humaine. À l’image de Qualit’air Corse, les citoyens insulaires sont en droit d’obtenir des informations en temps réel sur les eaux qu’ils consomment.

À la différence des entreprises privées comme Véolia ou de Vivendi, l’OEHC, un organisme public dont le Président est un élu du peuple, devrait faire preuve d’une meilleure traçabilité en communiquant l’intégralité de ses données à la population. Je pense qu’il faut faire confiance à nos élus. Du Président Gilles Simeoni, je connais la sensibilité de l’homme dès sa jeunesse aux grandes causes environnementales et sa compétence politique pour mettre la Corse sur de bons rails. Dès lors, j’espère que mon documentaire pourra l’aider à prendre conscience de la réalité.