Associations de défense de l’environnement, U Levante en tête, agriculteurs, syndicat Via Campagnola, et nombre de militants nationalistes se sont mis en émoi toute cette semaine à propos du rapport présenté par le Conseil Exécutif concernant la modification de la carte des Espaces Stratégiques Agricoles. Pourtant, tous concourent au même objectif : priservà a nostra terra !
La carte des Espaces Stratégiques Agricoles du Padduc a été annulée par le Tribunal Administratif pour un vice de forme. Une seconde carte comportant des données différentes avait été diffusée, interférant sur l’enquête publique. Ceci dit, hormis le cas de la commune de Peri, le Tribunal a parfaitement validé le concept, la définition et, de fait, la localisation des ESA.
Il fallait donc représenter la cartographie pour validation définitive à l’Assemblée de Corse.
Mais dans un contexte de forte consommation de ces espaces malgré le Padduc, et de critiques permanentes faites par de nombreux maires sur leur bien-fondé et leur validité, le rapport présenté par le Président de l’Agence de l’urbanisme, Jean Biancucci, n’a pas été compris.
Défaut de communication d’un côté, empressement à le faire de l’autre, l’inquiétude est allée crescendo, la critique devenant polémique, frisant une polémique mal vécue par la majorité territoriale.
Ceci dit, l’Exécutif a entendu et compris les craintes. D’autant qu’elle les partageait grandement. Et aux termes de nombreux échanges, au sein des groupes de la majorité, mais aussi devant le Conseil Économique Social Culturel et Environnemental de la Corse, enfin, à l’écoute des associations et agriculteurs, il a apporté des amendements à son rapport afin de préciser sa pensée et de rassurer sur ses intentions.
L’opposition de droite à l’Assemblée a été plutôt docile, quant à la gauche de Jean Charles Orsucci elle a totalement soutenu.
Une trentaine d’amendements, la réaffirmation des fondamentaux et surtout une explication de texte détaillée en séance par les présidents de l’AUE et du Conseil Exécutif ont permis la clarification demandée : le rapport amendé a été adopté à l’unanimité, moins la non participation de la Droite.
La suite est maintenant en main d’un «Comité Stratégique », à l’image de celui qui avait prévalu à l’élaboration du Padduc. Il sera en charge de conduire la procédure de modification tout en veillant à la préservation de ces précieux espaces.
Objectif autonomie alimentaire !
Chaque année, près de 35.000 hectares de terres agricoles et naturelles sont urbanisées en France, 50.000 sont artificialisées pour réaliser des infrastructures de transports. 20.000 autres sont transformées en jardins de loisirs. Or l’importance de l’agriculture dans les questions d’alimentation et de santé d’une part, et le besoin d’aller vers des circuits cours de commercialisation pour réduire la dépense énergétique, et lutter contre les dérèglements climatiques, d’autre part, rendent vitale la préservation de ces terres.
Les pouvoirs publics prennent conscience qu’elles sont une ressource non renouvelable et que la capacité à pouvoir nourrir l’humanité n’est pas acquise ad vitam eternam. Pour une île comme la Corse, cette conscience est encore plus indispensable.
Au moment de l’élaboration du Padduc, les élus se sont fixés un objectif d’autonomie alimentaire à l’horizon 2040.
Et pour atteindre cet objectif, ils ont évalué qu’il était nécessaire de consacrer au moins 105.000 hectares de terres à la mise en valeur agricole.
L’Exécutif a réaffirmé sans équivoque cet objectif fondamental : « Pour éviter que l’absence de cartographie ne porte atteinte à l’objectif de préservation de 105.000 ha d’espaces stratégiques agricoles, le Conseil Exécutif souhaite rétablir une cartographie des ESA opposable » énonce le rapport.
Un défi immense et difficile car il suppose d’être offensifs dans la formation des jeunes, dans la revalorisation des métiers agricoles, dans les outils à créer pour permettre aux agriculteurs de s’installer.
D’autant plus difficile que la pression foncière ne faiblit pas. Il n’y a pas que les spéculateurs qui lorgnent sur les terres, les pouvoirs publics trouvent les meilleures « raisons » du monde à vouloir consommer des terres agricoles : pour tracer une route, construire du logement, fixer des familles dans les villages… quelques milliers de mètres carrés par ci, quelques hectares par-là, on a vite fait de penser que ça n’est pas si grave !
Et pourtant, il faut pouvoir conserver l’objectif de 105.000 hectares.
C’est tout l’enjeu du Padduc et du concept d’ESA: préserver ce potentiel et progressivement, le plus rapidement possible, le mettre en valeur pour permettre à la Corse d’atteindre son autonomie alimentaire.
Aussi, toutes les communes sont appelées à participer à ce challenge, de manière solidairement responsable, par le biais de «quotas » fixés par le Padduc, qu’il leur est demandé de respecter, pour ne pas voir leur PLU rejeté.
Les ESA n’empêchent pas le développement !
Les ESA ne sont pas une « sanctuarisation ». On l’a dit, ils visent le développement agricole des communes, indispensable à la Corse. Pour que leur préservation soit compatible avec le projet de développement urbain, des procédures sont en place et des souplesses sont offertes.
Au moment de l’élaboration du document d’urbanisme (Carte Communale, PLU ou SCOT), un diagnostic agricole et sylvicole (DOCOBAS) est préconisé.
Ce document permet aux maires de mieux marier les enjeux à la fois agricole et urbain de leur commune. Ainsi, c’est le maire, sous le regard des « Personnes Publiques Associées », État et Collectivité de Corse, qui, à l’appui de ce diagnostic, fixe à la parcelle son zonage agricole en fonction des critères de définition des ESA (potentialité agroalimentaire, pente inférieure à 15%, irrigabilité des sols, etc.)
C’est pourquoi, pour faciliter la représentation de ces espaces, il a été annexée au Padduc une cartographie. Cette cartographie est indicative, mais elle recense parfaitement les ESA de la commune en fonction de ces fameux critères.
S’il arrive que ces ESA aient été artificialisés de manière antérieures au Padduc, ça ne rend pas la cartographie erronée puisqu’elle est indicative et que le maire peut corriger, en justifiant cette artificialisation (une simple photo suffit !)
et en déduisant la surface du quota qui lui est attribué.
De même, s’il arrive qu’il ait des besoins sur des ESA de sa commune, il lui faut en justifier la pertinence au moment de l’élaboration de son document d’urbanisme, et il lui est possible de déclasser cet espace, à condition de conserver par ailleurs, la même surface répondant aux critères de définition des ESA. Et si encore, il ne dispose pas du foncier nécessaire pour pouvoir le faire, il peut s’appuyer sur les communes voisines dans le cadre de l’intercommunalité.
Le Padduc a tout prévu ! Et les procès fait par les maires (toujours les mêmes) ou leurs conseils relèvent de la mauvaise foi, car ces explications leur ont été largement fournies et démontrées.
Cela peut également relever de la méconnaissance d’autres maires, souvent mal conseillés par leurs Bureaux d’études qui prennent leur travail à la légère.
C’est pourquoi l’Exécutif entend se rendre sur les territoires pour à la fois recenser les urbanisations antérieures au Padduc, et les corriger à la marge si nécessaire. Ou bien, si ces urbanisations sont postérieures au Padduc, pour les inventorier et comprendre les mécanismes qui ont conduit à ces illégalités.
« L’objectif est de prendre en compte des artificialisations antérieures au Padduc. Par exemple, des espaces placés en ESA qui, depuis 20 ans, supportent des constructions. Refuser de prendre en compte cette artificialisation est nous exposer à des recours en masse. Cela nous permet, à l’inverse, de recenser des constructions et des permis de construire qui sont intervenus après la mise en place du Padduc. Là, il faut engager un débat contradictoire et mettre en place une compensation.
Nous avons choisi d’associer, à la consultation, les maires, pas pour discuter avec eux sur un coin de table de la régularisation à postériori des constructions sur les ESA. Nous n’allons pas nous arranger de façon confidentielle, mais pour faire oeuvre de pédagogie » a expliqué le président du Conseil Exécutif Gilles Simeoni.
« Il n’y a pas de changement de cap. L’objet, c’est la mise en conformité de la cartographie des ESA» a borduré encore Jean Biancucci.
La protection de la terre est notre ADN
L’histoire du nationalisme contemporain commence dans le Fium’Orbu dans les années 60, par les luttes pour la mise en valeur de la terre.
Les nationalistes n’ont jamais cessé de lutter pour sa préservation, au prix de nombreuses luttes, parfois au prix de la liberté et certains militants y ont même sacrifié leur vie.
« Il faut que les Corses comprennent bien ce que nous sommes en train de faire ou ne pas faire. Nous ne sommes pas là pour rediscuter du Padduc et des ESA. Les ESA existent et un permis délivré dans un ESA doit être refusé… Au nom des années de lutte et de combat pour la défense des terres agricoles, ce processus de modification de la cartographie ne saurait déroger au principe de l’inconstructibilité des ESA» a pour sa part asséné Petr’Antò Tomasi, pour le groupe Corsica Lìbera.
«Nous ne renoncerons jamais à nos fondamentaux, à ce qui fait et constitue le socle et le fond de notre démarche. Nous sommes de cette terre et personne ne peut penser ou faire mine de penser que nous sommes capables de trahir notre terre, la Corse et ce que nous sommes » a surenchéri le Président de l’Exécutif Gilles Simeoni, « le rapport a évolué, il s’est nourri du débat très riche que nous avons eu devant le CESEC où nous avons précisé notre pensée. S’il y a des améliorations, il n’y a pas d’évolution dans ce que le rapport exprime et qui est l’expression de notre engagement constant, indéfectible de la terre corse et des ESA. Il s’inscrit dans la continuité de notre combat pour la défense des 105.000 ha que nous considérons comme un minimum. Nous sommes persuadés que nous pouvons aller au-delà ».
Et le rapport lui-même le réaffirme dans un amendement : « L’objectif plancher de préservation de 105.000 hectares d’ESA ne saurait bien évidemment être remis en cause ».
Le Comité stratégique Padduc en vigile
Mais cette procédure de modification réclame du temps, estimé à 11 mois, c’est une autre source d’inquiétudes des associations, vu le rythme des dépôts de permis de construire qui s’emballe, particulièrement sur les zones littorales. À cela, l’Exécutif propose plusieurs verrous.
1°- Le Président du Conseil Exécutif a interpellé la Préfète de Corse sur cette urbanisation illégale le 27 juin dernier.
Mme Chevalier a immédiatement répondu (le 28 juin !), partageant les inquiétudes de notre majorité, elle s’est engagée à y veiller affirmant : «Comme vous le rappelez, bien que la cartographie des ESA ait été annulée pour des raisons de forme, les espaces stratégiques agricoles, dont les caractéristiques sont définies par le Padduc (potentiel agronomique, taux de pente, irrigation) sont bien toujours opposables aux demandes d’autorisations d’occupation du sol ».
Malgré les demandes incessantes de l’Exécutif depuis deux ans, c’est la première fois que l’Etat s’engage de la sorte, partageant les inquiétudes de l’Exécutif. C’est un élément de nature à rassurer, d’autant que la référence à ce courrier est d’ailleurs rappelée dans un amendement au rapport : « L’absence de cartographie ne dispense nullement les autorités compétentes pour l’instruction et le contrôle des actes d’urbanisme d’appliquer les dispositions du Padduc relatives aux ESA, puisque ces dernières ont été confirmées par le juge (cf. annexe 1, le courrier du Président du Conseil Exécutif de Corse à la Préfète de Corse en date du 27 juin 2018 et la réponse de la Préfète de Corse en date du 28 juin 2018). »
Un autre amendement est encore plus explicite sur le « souci constant de faire appliquer et respecter, pendant toute sa durée, les principes d’intangibilité et d’inconstructibilité des ESA».
Voilà qui est de nature à rassurer.
Rappelons enfin que les associations agréées de défense de l’environnement sont membres du Comité Stratégique.
2°- Le rôle de la CTPENAF doit être renforcé.
Cette commission de Préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers délibère chaque fois qu’elle est saisie sur l’octroi de permis de construire et donne également un avis sur les PLU déposés.
Or si elle est particulièrement vigilante en zone de montagne où la pression foncière est plutôt faible en règle générale, elle n’est pas saisie en zone littorale, alors que c’est là que les dépôts de permis menacent réellement nos terres agricoles. Les associations demandent à ce que l’autosaisine, qui est une des prérogatives de la CTPENAF, soit systématique sur ce point. L’Exécutif a relayé en vain cette demande depuis l’arrivée des nationalistes aux responsabilités. Aussi, à la faveur d’un nouvel amendement explicite, le rapport reprend cette nécessité : « En outre, la Collectivité de Corse rappelle l’extrême importance de la Commission Territoriale de la Préservation des Espaces Naturels, Agricoles et Forestiers (CTPENAF) pour veiller à la préservation des ESA. Celleci, conformément aux textes qui régissent son fonctionnement, doit pouvoir se saisir de toute situation litigieuse relative à la consommation irrégulière des ESA, notamment sur les zones littorales. » La demande de l’Assemblée est claire : l’État et les communes qui octroient les permis de construire devraient systématiquement saisir la CTPENAF.
3°- Ouvrir des espaces de débat avec les maires pour «mieux cerner l’origine et la nature des artificialisations, dans l’objectif réaffirmé de préservation des ESA» dit le rapport.
En effet, malgré la cartographie des ESA lorsque celle-ci était en vigueur, il y a eu de très nombreux écarts dans de très nombreuses communes qui ont sacrifié des ESA (lire ICI).
L’association des communes et intercommunalités à la validation de la nouvelle carte doit donc servir à cette conscientisation : des 19 réunions initialement prévues au rapport, un amendement concentre cette consultation à « deux réunions au sein de la Chambre des Territoires dont la composition est élargie pour l’occasion à tous les EPCI, PETR et AOM (Autorités organisatrices de la Mobilité) ».
Six réunions avec les communautés d’agglomération sont également organisées sur les territoires « afin de leur présenter le diagnostic de la planification régionale de l’intermodalité, et de recueillir leurs propositions en vue de l’élaboration de ladite planification ».
Un amendement, soucieux du calendrier, précise : « cette phase d’association qui précède la proposition de modification par le Conseil Exécutif se déroule sur une durée maximum d’un mois ».
Jamais dans l’histoire de notre collectivité, les maires et communautés de communes n’ont été autant associés aux travaux de notre Assemblée. Y compris désormais, sur des domaines aussi sensibles que la préservation de la terre !
C’est dire l’esprit d’ouverture et de dialogue de notre majorité, sans pour autant renoncer ou affaiblir son attachement aux fondamentaux du nationalisme.
Une responsabilité collective
Sur le calendrier, il sera possible de gagner quelques semaines, voire davantage, mais ce qui importe pour veiller à une bonne application du Padduc, notamment en ce domaine de la préservation des espaces stratégiques agricoles, c’est que d’une part le contrôle de légalité applique et renforce sa vigilance.
D’autre part, que les maires et élus de proximité, qui sont tout autant que l’Exécutif les gardiens du Padduc et de ses grandes orientations, en deviennent les relais dans leur commune, dans leur région et auprès de notre peuple. Nous sommes tous responsables de la bonne application du Padduc, de l’élu à l’entrepreneur, en passant par notre jeunesse qui saura aussi en comprendre les enjeux et s’engager dans la revitalisation de notre intérieur et des métiers de l’agriculture et de la montagne, comme, bien sûr, par les associations qui exercent, même si elles peuvent paraître parfois désobligeantes, une vigilance indispensable dont il faut tenir compte.
Nous ne construirons pas l’autonomie alimentaire de notre île, en essayant de gratter des parts d’espaces stratégiques agricoles.
Car, si en France environ 100.000 ha de terres arables sont consommés chaque année. En Corse, avant l’adoption du Padduc, plus de 23.200 ha ont été urbanisés en 30 années, dont la moitié, 11.500 ha, sur des terres à potentialités agricoles, réparties à 61% sur des terres cultivables et à 37% sur les espaces pastoraux. Ces chiffres sont inquiétants eu égard à notre superficie globale.
Parallèlement, les zonages constructibles dans les PLU ont tendance à augmenter de 150 % par rapport à l’urbanisation existante. C’est un constat que nous avions fait lors des assises du littoral en 2012, constat qui continue de se vérifier aujourd’hui.
Cette surévaluation des surfaces constructibles appelle inévitablement une surconsommation des espaces naturels, agricoles et forestiers, mais aussi, au-delà de l’aspect purement quantitatif, leur fragmentation à travers l’éparpillement de l’urbanisation dans de trop nombreuses et trop vastes zones constructibles.
Aussi, très clairement, et c’est ce que j’ai fait devant notre Assemblée ce 26 juillet 2018, il faut en appeler à notre responsabilité collective face aux générations qui viendront. Nous sommes tous attachés à la Corse, et nous voulons tous bâtir un avenir serein pour nos enfants. Conscients de ces enjeux de survie, sachons, ensemble, préserver nos terres agricoles.
Fabiana Giovannini.