Projet de Centre d’enfouissement de Ghjuncaghju

« Inconcevable » pour le Conseil national de protection de la nature

Les mauvais choix d’aujourd’hui ne doivent pas motiver les mauvais choix de demain. C’est un peu ce que révèle l’incompréhensible projet de Centre d’enfouissement de Ghjuncaghju qui a donné lieu à la création en 2016 du collectif Tavignanu Vivu pour défendre l’environnement du second fleuve de Corse. Et comme toutes les démarches citoyennes, particulièrement dans ce secteur si lucratif du traitement des déchets, le Collectif sait que son combat sera long et difficile. Aussi, revenons sur l’avis défavorable le 25 septembre dernier donné par le Conseil national de protection de la nature à la dérogation demandée par la société Oriente Environnement pour détruire des espèces protégées. Un avis scientifique supplémentaire de poids contre le projet.

 

 

Le Conseil national de protection de la nature est l’instance d’expertise scientifique et technique compétente en matière de protection de la biodiversité et plus particulièrement de protection des espèces, des habitats, de la géodiversité et des écosystèmes. Un avis de poids d’autant qu’il est très étayé.

Après avoir fait le point qu’on connaît des différents avis défavorables, de la situation géologique instable et donc de la dangerosité du projet, de la non pertinence de son implantation géographique eu égard à celle des autres sites de traitement des déchets dans l’île, de l’insuffisance des études entourant le projet, notamment concernant l’évolution du volume de déchets à traiter et de son dimensionnement « au regard de l’équilibre à trouver avec les impacts sur la biodiversité », le CNPN estiment que ces éléments « changent notablement le cadre d’évaluation de cette RIIPM (raison impérative d’intérêt public majeur) » prise par l’État, et font que « cette condition d’octroi est clairement remise en cause ».

 

Le CNPN déplore l’absence de solution alternative et rappelle que « cette situation est rédhibitoire pour le CNPN qui s’attend à une présentation claire de différentes solutions équivalentes et faisables techniquement, puis à une démonstration du choix de la solution la moins impactante selon une analyse multicritère intégrant la biodiversité ».

De plus, « l’espace entre l’ISDND et le fleuve Tavignanu n’est pas suffisant pour gérer d’éventuelles fuites ou pollutions. Plus grave, la localisation du projet est également inadaptée au niveau hydrogéologique (pas de garantie de confinement sur long terme, zone clairement connue comme instable, fortes présomptions d’eaux souterraines traversant le méandre et risquant de polluer ce fleuve). L’analyse hydrogéologique détaillée du site est vraiment trop peu étudiée pour être convaincante » dit encore le CNPN qui rappelle que : « les captages d’eau potable et d’eau agricole de toute la région sont situés en aval du projet (plusieurs IGP et AOP locaux en dépendent) ».

Autre élément négatif : « ce site est excentré du secteur nord (Bastia est à 100 km du site), ce qui pose des problèmes d’émission de CO2 et de GES (gaz à effet de serre) associés au trafic attendu de 68 poids lourds en moyenne par jour (donc 136 passages de camion par jour) ».

 

Concernant l’atteinte aux espèces à enjeux, le CNPN note que le site est situé dans « la seule zone de reproduction (frayère) en Corse de l’alose feinte du Rhône (…). L’absence de garantie totale de confinement sur le long terme, l’instabilité reconnue de la zone, les fortes présomptions d’eaux souterraines traversant le méandre sont associées à un trop fort risque de nuisance sur les populations d’aloses, dont l’intérêt patrimonial est reconnu comme très fort et le statut UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) indique un état actuel vulnérable (VU). »

« Parmi les poissons, il faut aussi noter la présence de l’anguille, dont l’intérêt patrimonial est reconnu comme fort et un statut UICN indiquant un état actuel de danger critique d’extinction (CR). Parmi les reptiles, la superposition spatiale du phyllodactyle d’Europe et des installations 4 et 5 est surprenante, car elle ne fait pas l’objet d’évitement ou d’une description détaillée du balisage de cette espèce mobile. Menacer cette population correspond aussi à couper une fonctionnalité écologique dans cette vallée pour cette espèce. Là encore, le CNPN estime que cette condition d’octroi n’est pas atteinte. Finalement, les trois conditions pour déroger à la protection stricte des espèces ne sont pas respectées ce qui fragilise grandement le projet et le rend inconcevable en l’état. »

 

Le CNPN relève l’insuffisance et les contradictions des inventaires (notamment concernant la tortue d’Herman) et s’offusque de « la réalisation sur une partie du site de travaux de terrassement et de défrichement importants qui ont eu lieu quelques jours avant les inventaires ».

« Ces insuffisances incitent au doute à la fois sur les espèces recensées, sur l’effort d’échantillonnage et sur sa qualité. L’évaluation des impacts est aussi critiquable avec plusieurs sous-évaluations, comme par exemple celle concernant le phyllodactyle d’Europe, dont l’enjeu ne doit pas être considéré comme faible, mais plutôt comme fort, donc deux catégories supérieures d’enjeux. Pour les impacts cumulés, toutes les espèces impactées par les projets voisins ne sont pas indiquées ici, ce qui empêche l’identification des espèces (et des habitats) supportant un impact cumulé » commente encore les scientifiques.

Les mesures de compensation et d’accompagnement proposées sont jugées « confuses », manquant de « pertinence écologique », avec un « calcul de ratio de compensation » erroné.

Conclusion : « Le CNPN émet donc un avis défavorable à cette demande de dérogation. Il incite à l’abandon de ce projet d’ISDND dans cette zone, et à la recherche d’un site alternatif plutôt dans le secteur ouest de l’île en accord avec le PPGDND (Plan de prévention et de gestion des déchets non dangereux) et différentes stratégies régionales : Sraddet (Schéma régional d’aménagement, de développement durable et d’égalité des territoires), Padduc (Plan d’aménagement et de développement durable de la corse) zone d’exclusion d’enfouissement) ».

 

Une « excellente nouvelle ! » pour le collectif Tavignanu Vivu alors que cette dérogation « est nécessaire pour l’autorisation définitive du projet de centre d’enfouissement ».

Reste au préfet à statuer « par arrêté préfectoral (AP). Même si l’AP ne donne pas la dérogation, ce que nous espérons, la société Oriente Environnement peut l’attaquer en justice. Le combat n’est pas terminé : restons mobilisés ! » a appelé le collectif.

Rappelons que le collectif a porté son combat jusque devant les institutions européennes. Notamment avec la Déclaration des droits pour le fleuve Tavignanu qui a recuielli plus de 5500 signatures. Vous aussi, soutenez le : https://www.tavignanu.corsica/  •

Fabiana Giovannini.