Le Collectif Tavignanu Vivu organisait deux réunions publiques les 8 et 9 octobre dernier, respectivement à Corti et Aleria. Marie-Angèle Hermitte, juriste, directeur de recherche honoraire au CNRS et directeur d’études honoraire à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales, Marine Yzquierdo, avocate en droit de l’environnement, venues apporter leur expertise, animaient ces réunions. On aimerait voir dans le public, plus d’élus et de militants, autrefois sur tous les fronts, comme l’a regretté un participant. Le Collectif ne s’en décourage pas, il maintient la pression, plus de 5000 personnes ont signé la Déclaration des Droits du Tavignanu et leur détermination ne faiblit pas.
Marie-Angèle Hermitte introduit le débat par l’historique des combats menés dans le monde pour la reconnaissance de droits spécifiques à la nature et les recherches qui ont conduit à cette notion. Une « entité naturelle » ne peut pas parler, se défendre, elle a besoin de représentants et par les droits de ceux-ci à défendre leur milieu, il est possible de plaider et d’arracher des droits. Ce cheminement de pensée a été long, du sommet de Rio en 1992 jusqu’à nos jours, en commençant par la définition de la biodiversité en 1996, bien des combats ont été menés. Les ordonnances de villes aux États-Unis ont été de premiers signaux pour donner des droits aux « communautés naturelles ».
À Tamaka, en 2006, plusieurs décès dans les années 94-95, par contamination au staphylocoque due aux boues d’épuration, ont conduit non seulement à interdire les épandages de boues, mais aussi à définir des droits aux entités naturelles, en interrelation avec la santé des populations et leur droit à disposer d’un environnement sain, précise Marine Yzquierdo. Madame Hermitte poursuit sur l’animisme qui consiste à doter la nature d’une âme, et donc à donner à des écosystèmes, des rivières, des arbres, la qualité de sujet leur ouvrant la possibilité de faire valoir des droits. L’Equateur est connu pour avoir fait de la nature « un sujet de droit » dans sa constitution en 2008. La Colombie s’est également dotée d’une constitution écologique en 2018 et « la cour suprême de Colombie dans plusieurs décisions de justice met toujours en parallèle le droit des humains et le droit de non-humains, rivières ou forêts, générations présentes et génération futures » explique Madame Hermitte. En Inde, le Gange peut être titulaire de droits au même titre que les êtres humains.
En consacrant ces droits comme indissociables, on a responsabilisé les États concernés et on a ainsi cheminé jusqu’à ce concept de « droits de la nature ». En Nouvelle Zélande, c’est une rivière le Whanganui (Te Awa Tupua en maori), qui était l’objet de conflit entre la couronne d’Angleterre et une tribu maori se proclamant « enfants de la rivière », qui a conduit les institutions à reconnaître ce fleuve comme entité vivante et les Maori, comme « gardiens du fleuve ». Cette notion de « gardien » ou de « représentant » est l’une des bases pour agir.
Marine Yzquierdo complète l’exposé par des aspects éthiques et culturels rappelant qu’« une vision marchande et utilitariste de la nature s’est développée au fil des siècles », les logiques économiques de l’industrialisation « sont allées de pair avec une dégradation de l’environnement », d’où le besoin de passer de l’anthropocentrisme à l’écocentrisme pour donner une « personnalité juridique » aux écosystèmes. Elle développe l’idée d’interdépendance entre droits humains et droits de la nature, introduisant les concepts de préjudice écologique, d’espaces protégés et les législations qui vont avec. La justice fait parfois évoluer le droit et conduit à inscrire dans la loi des droits reconnus lors de combats juridiques. Malheureusement les dégâts ont déjà eu lieu lorsque la justice est saisie. D’où la nécessité de faire jurisprudence pour les combats futurs. Comme la nécessité aussi de faire progresser l’accès aux droits, et au juge environnemental (convention Darus). Pour ester en justice il faut obtenir un agrément ou démontrer son intérêt à agir. Or en six ans, le nombre d’associations agréées « protection de l’environnement » a été divisé par cinq. L’avocate conclut sur l’exemple de la Mar Menor dans la région de Murcie en Espagne, pour préserver une lagune d’eau salée, gravement menacée par l’eutrophisation due à la pollution urbaine et agricole (engrais) causant une mortalité massive de poissons. 640.000 pétitionnaires et un combat juridique ont conduit le parlement espagnol, puis le sénat à délibérer pour consacrer dans la loi les droits de la Mar Menor !
Le public soulève d’autres questions, un besoin d’implication politique plus forte. Plusieurs maires étaient présents, à Corti comme à Aleria, qui s’ajoutent aux 25 communes qui ont déjà délibéré en faveur de la Déclaration des Droits du Tavignanu. Ils se sont engagés à annexer ce document à leur document d’urbanisme. La nécessité d’en faire de même avec le Padduc est pointée. Chaque délibération donne du poids à la revendication. Les droits du Tavignanu se sont les droits des hommes qui en vivent, l’agrumiculture représente 2500 emplois sur la plaine. Il faut davantage user du rapport de forces pour peser sur les institutions. Revendiquer le droit à la vie des hommes qui vivent de ces écosystèmes menacés, leur attachement à leur milieu, à la terre qui forge leur identité. Le combat de terrain, le combat juridique, mais aussi le combat politique, sont à mener de front. Le Collectif creuse toutes les pistes, y compris le droit européen. L’exemple de la Mar Menor donne de l’espoir. La suite législative de la reconnaissance des droits de la lagune impliquera des obligations de préservation. Tous ces combats en France et en Europe doivent se solidariser, se coordonner.
Prochain rendez-vous pour le Collectif : le 18 octobre devant le Tribunal administratif de Bastia où l’entreprise Oriente Environnement conteste les contraintes imposées pour ouvrir ce centre d’enfouissement absurde. •