L’approvisionnement en gaz naturel de la Corse à travers l’alimentation des deux centrales thermiques EDF de Lucciana et du Vaziu a fait l’objet d’engagements de l’État au plus haut niveau depuis Nicolas Sarkozy. La haute administration veut faire marche arrière, et, à travers un courrier de dernière minute de Nicolas Hulot, elle met en cause l’aboutissement de ce projet qui a pourtant fait l’objet d’un engagement formel de l’État à travers un protocole d’accord signé par Gilles Simeoni et Ségolène Royal à Bastia. Les prétextes avancés sont un summum
de mauvaise foi, hélas parfois conforté par des positions émises localement par des gens mal informés.
1/ « Le tout ENR en Corse est annoncé pour 2050»
C’est effectivement l’objectif affirmé dans un plan (SCRAE) adopté par l’Assemblée de Corse en février 2011, il y a plus de huit ans. Mais ce plan n’avait alors pris aucun compte d’une perspective qui s’est affirmée depuis, à savoir le basculement vers le véhicule électrique de la mobilité actuellement assurée en totalité par le fioul ou l’essence. Ce basculement vers le véhicule électrique d’ici 30 ans est désormais une probabilité importante, qui fera croître les besoins en électricité de façon conséquente, alors que le SCRAE ne l’a absolument pas prévu. D’autre part, la trajectoire de développement des énergies renouvelables observée depuis huit ans est bien loin des objectifs définis par le SCRAE, avec, pour principal responsable, l’Etat lui-même. Par exemple, voilà 18 ans qu’aucun projet d’éolienne n’a pu aboutir en Corse alors que cette énergie renouvelable est passée devant l’hydraulique comme principale ENR en Europe.
Comment peut-on imaginer arriver à l’autonomie énergétique sur l’île en écartant la principale énergie renouvelable ayant montré son efficacité et sa rentabilité en Europe ?
Autre problème majeur que l’Etat et EDF connaissent très bien : la difficulté d’insérer sur un réseau insulaire les énergies renouvelables qui sont en grande partie intermittentes. Or aucun programme significatif n’est en place pour améliorer ce problème qui est d’ores et déjà sensible puisque des centaines d’heures de production photovoltaïque sont sacrifiées chaque année car le réseau ne peut les absorber. Chaque installation nouvelle accroît le problème et cela mène à l’étouffement des nouveaux projets ENR, production photovoltaïque, autoconsommation, etc.
Un investissement majeur a été envisagé, la Station de Transfert d’Energie par Pompage du Fium’Orbu, mais il est bloqué faute de crédits et faute de volonté politique. L’objectif « tout ENR en 2050» est en fait pour l’État un mythe bien pratique pour se désengager sur le gaz promis à la Corse. L’État veut revenir au fioul, et sa vraie-fausse volonté de développer les ENR n’est qu’une apparence. Refuser le gaz c’est promettre le fioul à la Corse pour encore des décennies !
2/ Une seconde barge à Aiacciu pour éviter Cyrénée
Une barge de stockage de gaz naturel en mer est un « réservoir flottant » régulièrement approvisionné par des méthaniers.
Cette barge doit être fixée sur les fonds marins, et cela n’est bien sûr possible qu’à condition de pouvoir être positionnée au dessus de fonds marins de faible profondeur. Ces fonds existent au large de Lucciana, ils n’existent pas dans le golfe d’Aiacciu, saut à toute proximité de Campu dell’Oru. S’ajoutent aussi les coûts de fonctionnement puisque la manoeuvre de chargement de la barge demande l’assistance de remorqueurs qu’il faudrait alors dédoubler. Sans Cyrénée, Aiacciu sera une centrale au fioul, et telle est désormais la volonté de l’État.
3/ Cyrénée est « irréalisable » en Corse
Ainsi, selon les « sapientoni » qui relaient complaisamment la volonté de l’État, Cyrénée serait une « balafre » qui défigurerait la Corse ! Savent-ils que plus de 8.500 km de réseau gaz sillonnent la France, au coeur des métropoles comme l’Ile de France, Lyon ou Marseille, et jusqu’à Manosque, le Massif Central, les Alpes et bien d’autres régions en France?
Où ont-ils déjà vu la « balafre » qu’ils décrivent, alors que les canalisations atteignent 900 mm de diamètre pour les plus importantes, quand celle qui est prévu pour Cyrénée est de 400 mm, soit une section 4 fois moins importante.
Une des entreprises qui soumissionne pour Cyrénée vient de terminer un gazoduc qui a traversé de part en part, sur sa zone côtière, le Pays Basque français, territoire bien plus « encombré » que la Plaine Orientale de la Corse, sans engendrer un seul contentieux. Comment peut-on postuler une « impossibilité corse » quand c’est possible partout ailleurs ? À commencer par la Sardaigne qui vient d’engager son propre projet d’approvisionnement en gaz naturel, énergie d’avenir y compris pour le futur d’un transport maritime non polluant.
4/ Un « coût exorbitant » selon l’État
C’est là le comble de l’argument dilatoire.
Au stade d’avancement actuel de l’appel d’offres, qui est maîtrisé par l’État, les entreprises candidates interrogent sur les garanties qu’elles auront sur le long terme de la part de son client principal, puisque les centrales EDF absorberont 90 % du gaz acheminé, les réseaux gaz de Bastia et Aiacciu représentant 10 %. Pour toutes les centrales nucléaires, c’est la garantie de l’Etat qui cautionne les investissements, et, dans le cas de la Corse, qui est une île non-interconnectée, tout le modèle économique repose sur la Contribution au Service Public de l’Electricité (CSPE) qui permet la péréquation du coût de l’électricité facturée en Corse et sur le Continent. C’est le refus de ces garanties qui renchérit les offres des entreprises obligées d’amortir leur investissement sur des durées plus courtes et d’intégrer des « assurances » faute de garantie de l’État apportée à travers EDF. On est là dans un jeu de dupes caractérisé !
L’Exécutif a rappelé l’État à ses engagements.
L’intérêt de la Corse est de s’y tenir sans faiblir.
François Alfonsi.