Domaine de Murtoli

La complicité de l’État

Voilà qui fait tâche dans la guérilla administrativo-politique à laquelle se livre l’État contre la majorité nationaliste à la Collectivité de Corse. L’ancienne sous-préfète de Sartè vient de se faire épinglée par la justice, suite à une plainte de l’Association U Levante par rapport à des soupçons de complicité concernant le Domaine de Murtoli, par ailleurs summum des errements du contrôle de légalité dans l’île !

 

Au moment même où la Préfète de Corse se faisait débouter par le Tribunal Administratif de Bastia concernant sa plainte contre le Président du Conseil Exécutif à propos du marché public de la fibre optique (lire ici notre éditorial ), on apprenait qu’une enquête préliminaire pour « corruption passive » était ouverte depuis le mois de février à l’encontre de l’ancienne sous-préfète de Sartène, Mme Véronique Caron, soupçonnée de complaisance par rapport à des irrégularités sur le domaine de Murtoli. Nommée en juin 2015, elle avait quitté la Corse en septembre 2017 pour un poste de secrétaire général de la préfecture de l’Orne.

La plainte déposée par U Levante dénonce « une absence d’action de la part des services de l’État concernant des infractions notoirement commises en droit de l’urbanisme au Domaine de Murtoli, alors que Véronique Caron, qui fréquentait souvent le domaine et ses restaurants dépourvus de tout permis de construire, ne pouvait les ignorer ». Mieux, Véronique Caron avait retiré le recours de l’État déposé par son prédécesseur contre un permis de construire concernant trois bâtiments déposé par la compagne de Paul Canarelli, propriétaire et gérant du Domaine de Murtoli. Valérie Guilbert avait déclaré vouloir ériger une ferme agricole alors que les bâtiments en question étaient destinés en réalité au club house du golf de Murtoli, ses annexes et un restaurant de luxe…

En complément du recours de l’État, U Levante avait déposé une « intervention volontaire » qui avait conduit le Rapporteur public à dire que l’État aurait gain de cause dans cette affaire. Or, contre toute attente, Madame Caron, alors sous-préfète, s’est désistée au nom de l’État, sans motivation. Résultat, l’intervention d’U Levante, attaché à ce recours, ne pouvait donc plus être retenue et le recours n’a pas abouti ! Le permis était donc validé et les constructions se sont faites, sans passage qui plus est devant les instances obligatoires, comme le Conseil des Sites !

L’État savait et a donc couvert une situation de parfaite irrégularité. Mais si Madame Caron a fauté, l’attitude de l’autruche tête dans le sable ou du singe qui n’entend rien, ne voit rien et ne dit rien, n’est hélas pas nouvelle pour l’Etat en Corse. Bien avant Madame Caron, le Domaine de Murtoli s’est construit et s’agrandit dans l’illégalité la plus totale !

Zone Natura 2000, Zone naturelle d’intérêt faunistique et floristique (Znieff) de type 1, Espace remarquable et caractéristique du littoral, classé inconstructible au Padduc, Espace boisé classé, Zone spéciale de conservation, Arrêté préfectoral de protection de Biotope, Bande des 100 mètres, zone vierge de toute construction, le Domaine a bravé tous les interdits !!! Des faits maintes fois dénoncés dans nos colonnes.

Le Domaine de Murtoli est un symbole criant des errements de l’État par rapport à toutes
sortes de non-respect des règles d’urbanisme.
Comme la plage privatisée, bien sûr…

L’État, sous Madame Caron, outre le désistement reproché, n’a pas davantage exercé son contrôle de légalité lorsque la mise en place du golf de 4 hectares a été effective, bravant le Code de l’Environnement. Même chose, concernant le dépôt d’un permis de construire, au hameau de Serraghja, au-dessus du Domaine de Murtoli, pour 12 maisons individuelles par la Société « Paul Canarelli – Pascal Grizot » (PCPG), l’État aurait dû exercer en son temps son contrôle de légalité. Il ne l’a pas fait.       Heureusement, suite à plainte encore des défenseurs de l’environnement, l’annulation du permis de construire a été prononcée par le Tribunal Administratif de Bastia en décembre 2018. À noter que ces constructions figuraient comme première tranche d’une opération qui en contenait cinq visant l’installation de l’équivalent de 200 habitants !

Bref, le Domaine de Murtoli est un symbole criant des errements de l’État par rapport à toutes sortes de non-respect des règles d’urbanisme, mais aussi du mutisme tous azimuts qui peut s’organiser par rapport à des illégalités manifestes, voire des complicités de fait, lorsque des hauts personnages, ici hauts fonctionnaires, mais aussi des ministres, voire des présidents de la République, comme Nicolas Sarkozy, habitué des lieux, tous forcément alertés de ces dérives (ne serait-ce que par les plaintes associatives), fréquentant pourtant les lieux et jouissant sans vergogne de leurs attraits. « Si ces faits étaient confirmés, ils constitueraient l’infraction de trafic d’influence… pour laquelle nous portons plainte contre Mme Caron et toutes personnes que l’enquête déterminera » se révolte encore U Levante. Chjìbba, saetta ! Saluons le courage de ces défenseurs de l’environnement qui pallient les carences des autorités face à un scandale sans nom !

« Si les propriétaires du Domaine de Murtoli ne sont pas poursuivis par l’État malgré toutes ces infractions commises sur un site remarquable et dans la bande des 100 m, comment le même État pourra-t-il poursuivre, en Corse, le même type d’infractions sur d’autres sites remarquables et dans la bande des 100 m… sauf à soutenir que le respect de la loi s’arrête là où commence le Domaine de Murtoli et démontrer ainsi que l’égalité des citoyens devant la loi Littoral et le Padduc est une illusion » dénonce encore l’association.

« L’endroit est magnifique, bien intégré dans le site, splendide, paisible, superbement agencé, en matériaux locaux, servant une cuisine méditerranéenne, des produits du terroir, des chants corses… Tout le calme, la discrétion, la beauté que l’on peut rechercher pour un moment d’évasion dans une île aux mille beautés ! D’ailleurs, le coin est repéré par tous les peoples de la création, politiques, businessmen, artistes, le fréquentent, certains assidûment… Et pourtant, ces installations n’auraient jamais dû voir le jour et sont une anomalie parfaite en termes de règles d’urbanisme.

Faire du beau autorise-t-il à verser dans l’illégalité et à en rester totalement impuni ? » * s’exprimait Arritti en janvier 2018 pour dénoncer le scandale. « Comment encourager les élus de proximité que sont les maires, souvent eux-mêmes confrontés à de fortes pressions sur leur territoire, à respecter le Padduc, en réalisant des documents d’urbanisme locaux (PLU ou Carte Communale) dans le respect des règles d’urbanisme ? » ajoutait notre article en commentaire.

Va-t-on enfin comprendre dans ce pays, que l’application des règles d’urbanisme ne peut supporter aucune complaisance ? Sauf à vouloir instaurer une justice à deux vitesses, extrêmement dangereuse pour la démocratie et pour la paix civile.

Espérons que cette plainte pour « corruption passive » ira au bout de son instruction et rappellera l’État à ses devoirs dans l’île. Rappelons par ailleurs qu’U Levante dénonce aussi l’illégalité de 35 constructions sur le Domaine de Mortoli dans une plainte déposée en août 2017 dont on attend, toujours, les rebondissements…

 

ARRITTI.

* Article paru le 25 janvier 2018 sous le titre qui avait d’ailleurs fait la Une de notre numéro 2545 : « Le scandale du Domaine de Murtoli, ou comment construire en terrain inconstructible ! »

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