Dans Invisible Hand, la bataille pour les droits de la nature est narrée par Mark Ruffalo, producteur exécutif du documentaire et acteur engagé pour les droits environnementaux. Ce documentaire, co-financé par le groupe parlementaire européen Alliance Libre européenne/Les verts, a été débattu le 29 septembre 2021 au sein du Parlement Européen avec de multiples invités comme Tish O’Dell et Chad Nicholson de Community Envionnemental Legal Defense Fund, Marine Yzquierdo, avocate de Notre Affaire à Tous, Alexis Cortinchi du Collectif Tavignanu Vivu et Teresa Vincente, Professeure de philosophie et directrice de la chaire des droits humains et des droits de la nature à l’université de Murcia.
Le documentaire retrace le combat des habitants de la ville de Toledo contre la pollution du lac Erie et des habitants de la ville de Grant Township contre un projet de puit d’injection. À travers ces histoires, une même problématique se dessine.
Si une société a les mêmes droits constitutionnels qu’un individu, pourquoi pas un écosystème ?
Invisible hand, 2020. « La main invisible » fait ironiquement référence à l’ouvrage d’Adam Smith La richesse des nations. Selon l’économiste une « main invisible » guideraient les individus qui, motivés par leurs intérêts individuels, agiraient involontairement pour l’intérêt commun et le bien-être public. L’histoire de ces droits de la nature s’appuie alors sur le cas de deux petites villes des États-Unis et de leurs habitants qui se battent pour protéger l’environnement contre l’intérêt des entreprises.
À Grant Township l’agence américaine de protection de l’environnement (EPA) souhaite construire un puit d’injection, un trou sous haute pression dans lequel des déchets dangereux peuvent être déversés par les entreprises. Les produits toxiques contenus, souvent issus des compagnies d’extraction de gaz et radioactifs, polluent les sols et les sources d’eau environnantes. Si les agents de l’État avouent à contre cœur à la communauté que les produits représentent un danger pour la nature et leur santé, la loi américaine autorise bien la mise en place de ce type d’installation. Une longue bataille juridique commence alors.
« Tout est fait pour maximiser le profit et minimiser tout le reste. »
Mais la communauté de Pennsylvanie se heurtent à de grandes difficultés car les sociétés et entreprises disposent de droits spécifiques. Aux États-Unis, elles sont protégées par le Premier amendement et disposent de la liberté d’expression, et peuvent donc influencer les campagnes et les élections. Les entreprises ont alors un pouvoir de nuisance considérable surtout sur le territoire de petites communautés qui subissent particulièrement leur pollution, comme à Grant Township.
Cependant, certaines récentes législations étrangères permettent aux habitants de ces communautés de garder espoir. En effet, certains État ont déjà donné des droits à des écosystèmes tels que la Colombie qui a doté de droits le fleuve Altrato depuis 2018. D’autres pays comme l’Equateur et la Bolivie ont inscrit les droits de la nature dans la Constitution ou dans la loi depuis respectivement 2008 et 2012, tout comme la Nouvelle Zélande par exemple.
Mais la bataille juridique est longue et les détracteurs du puit d’injection à Grant Township sont d’abord poursuivis en justice, pour l’interdiction de leur charte sur les puits d’injection. L’histoire se finit heureusement bien puisque le DEP de Pennsylvanie révoque enfin le permis de construction après six ans de lutte juridique. Les droits de la nature, toujours marginaux dans le monde entier, obtiennent peu à peu l’attention médiatique et la considération qu’ils méritent.
« Ce qui est en jeu dans le Grant Township, c’est la démocratie elle-même dans sa forme la plus élémentaire, le droit de « Nous le peuple » de protéger notre bien-être dans l’endroit que nous appelons chez nous. »
La thématique de ce documentaire suscite les débats au sein du Parlement européen, et démontre bien la pluralité de mouvements pour la nature. L’eurodéputé écologiste et cofondatrice de l’association Notre Affaire à Tous, Marie Toussaint, a ainsi souhaité confronter plusieurs acteurs internationaux de la lutte pour les droits de la nature lors d’un débat portant sur ce documentaire, qui ont pu échanger leurs idées. Plusieurs acteurs ont alors pu intervenir tels que Chad Nicholson, militant actif en Pennsylvanie contre l’implantation des puits d’injection. L’activiste américain rappelle que même s’il y a des actions en justice encore en cours, le seul moyen d’aboutir est la protestation populaire, constat partagé par de nombreux militants dont Alexis Cortinchi du Collectif Tavignanu vivu en Corse, qui vient justement de rédiger « les droits du fleuve Tavignanu ».
Le Collectif rappelle que son combat pour le Tavignanu débuté en 2015 face au projet d’enfouissement sur 30 ans de 2 millions de tonnes de déchets ménagers et de 2 millions de déchets amiantés près du fleuve, a débouché sur plusieurs actions en justice, toutes perdues jusque-là. Cependant, la lutte pour les droits du Tavignanu n’est pas terminée. « On continuera à se battre » assure le militant corse, après avoir lancé une pétition le 29 juillet dernier, déjà signée par plus de 3000 personnes*.
Selon lui, ce sont les communautés locales qui ont le premier rôle au sein du processus de reconnaissance des droits de la nature. « Les entreprises voient la nature comme une ressource, or les communautés locales sont très importantes car éloignées des entreprises. Les peuples sont la solution dans ce système » reconnait Trish O’Dell, activiste aux États-Unis, qui assura que c’est cet activisme qui a ainsi pu faire la différence en Pennsylvanie.
Les communautés locales ont également une importance majeure dans l’organisation et la rédaction des déclarations. Le Collectif Tavignanu vivu a voulu alors interroger les locaux pour connaitre la réalité du terrain avant de porter le dossier à un niveau supérieur. C’est la démarche à suivre si l’on veut mobiliser les gens selon Marine Yzquierdo de l’association Notre Affaire à Tous. Ce que prouve la mobilisation des communautés de Pennsylvanie, c’est que les habitants disposent d’un véritable pouvoir de protection vis-à-vis des écosystèmes de leur territoire. •
Pauline Boutet-Santelli.
* Vous aussi signez les droits du Fleuve Tavignanu : www.tavignanu.corsica