Domaine de Casabianca à Linguizzetta

Le pari gagné de la Collectivité de Corse

Quand les 469 hectares de ce domaine agricole exceptionnel, héritage de la famille Casabianca créatrice de la marque apéritive Casanis, ont été proposé à l’encan par un liquidateur judiciaire en janvier 2017, la Corse entière s’est émue. Cet immense domaine, en partie en bord de mer, pour l’essentiel occupé par des vignes désormais abandonnées et envahies de maquis, que chacun peut voir quand il suit la route entre Bastia et Aleria, allait-il être à son tour la proie d’une spéculation ? Ou aurait-on la capacité politique et opérationnelle de le consacrer à un nouveau projet redonnant à ces terres situées en Espace Stratégique Agricole du Padduc leur fonction productrice ?

 

En janvier 2017, toutes les hypothèses avaient cours, y compris des projets touristiques avec golf et autres. D’ailleurs une société financière et une société hôtelière se sont présentées à la barre du tribunal de commerce pour tenter de supplanter l’offre formulée par la Safer en charge de porter, pour le compte de la Collectivité Territoriale de Corse, un projet d’acquisition en vue de conserver la vocation agricole du site. Fort heureusement le Tribunal a finalement accepté l’offre construite en association par la Safer et la Collectivité de Corse.

Car la Safer était dans l’impossibilité financière de formuler à elle seule une offre à la hauteur des centaines d’hectares de cette propriété : même au prix du terrain agricole, une telle surface demandait de disposer de près de 2 millions d’euros en cash pour l’acquérir.

La première décision politique de la Collectivité de Corse a donc été d’attribuer une dotation financière en créant un Fonds Foncier Agricole dans lequel elle a engagé, directement ou indirectement à travers l’Odarc, 1,6 million d’euros, proposition finalement acceptée en septembre 2018 par le Tribunal de Commerce malgré la surenchère d’une société touristique du continent.

Mais les fonds mis à la disposition de la Safer ne font que du portage. Pour que l’opération réussisse, il fallait faire en sorte que les terrains soient attribués à des agriculteurs en situation d’en réaliser la remise en valeur, en résolvant les difficultés locales (l’ex-société Casabianca avait passé des baux sur une partie des terrains dont il faut négocier la caducité auprès des bénéficiaires), et en proposant une opportunité d’installation à des jeunes agriculteurs en fonction des réelles potentialités de ces sols de nature variée.

 

Durant deux ans, les procédures juridiques ont été poursuivies, les négociations menées avec certains des occupants, le contact établi avec le Conservatoire du Littoral pour qu’il se rende acquéreur de la partie littorale du Domaine tout en s’engageant à le mettre à disposition par bail à un agriculteur. En même temps, les expertises des sols, nécessaires pour répartir les lots entre viticulture, céréaliculture, élevage, arboriculture, etc., ont été menées, ainsi que l’expertise de l’état réel de la vigne restante qu’il faudra finalement totalement arracher pour éviter les risques de maladies.

Au final, ce 18 mars 2021, 245 hectares de terres à bon potentiel ont été attribués à 19 exploitations agricoles représentant 25 jeunes agriculteurs qui pourront s’installer. 77 hectares de vignes, 63 hectares de céréales, 48 hectares pour l’élevage, dont une dizaine pour l’élevage d’escargots, etc., selon les demandes formulées et les expertises recueillies.

Au mois de mai prochain, 70 hectares supplémentaires seront attribués à leur tour, les 130 hectares restants, restant grevés par des contentieux juridiques avec des occupants.

Les futurs agriculteurs ainsi retenus après l’appel à candidatures lancé par la Safer et l’Odarc, auront cinq ans pour démontrer leur capacité à mener l’exploitation pour laquelle ils se sont engagés. Ils ne deviendront propriétaires qu’au terme de ces cinq années probatoires et si, au bout de trois années, la parcelle attribuée est toujours en friche, la Safer en reprendra le contrôle et procédera à une nouvelle attribution.

Un des lots qui supporte, en bord de route, les hangars et les habitations du Domaine, sera acquis par la Collectivité de Corse et proposé pour la réalisation d’un projet de développement autour des productions agricoles de toute la région.

Quand la démarche a été lancée il y a quatre ans, dès le Domaine mis à la vente aux enchères, les difficultés apparaissaient considérables. Aujourd’hui les attributions ont fait l’objet d’un consensus général et des jeunes agriculteurs sont prêts à s’installer sur la base de projets de développement crédibles et d’avenir. Des garanties sont en place pour éviter les désillusions éventuelles du côté de tel ou tel repreneur. Aucun de ces agriculteurs n’aurait pu faire face à la complexité financière et juridique du dossier ; leur installation est une réussite collective pour laquelle la Collectivité de Corse a pleinement joué son rôle.

Nul doute qu’en cas de succès final, le Fonds Foncier Agricole créé par la Collectivité de Corse, sera appelé à perdurer et à intervenir pour que d’autres opérations foncières de ce type puissent se réaliser sur l’ensemble des zones agricoles de Corse.

Dans cinq ans, rendez-vous est pris pour visiter l’ensemble de ces exploitations consacrées au développement de l’agriculture corse. •

François Alfonsi.