Une brèche dans la défense des espaces remarquables de la loi Littoral

Procès de Rundinara

Le procès de Rundinara a défrayé la chronique judiciaire. Au terme de la procédure d’appel, le propriétaire des deux constructions illégales (1.500 m2 au total !) hérite d’une amende record d’un million d’euros. Les juges l’ont sans doute estimée proportionnée au standing des habitations construites en dépit de l’absence d’un permis valide.
Le permis initial, Pierre Ferracci l’avait déjà obtenu à l’issue d’un marathon judiciaire qui, en 2006, avait fini par valider un permis déposé en 1998. Sauf qu’entretemps les intentions du bâtisseur ont été revues à la hausse et la construction finale est bien plus grande que celle autorisée. Dans le contexte de ce site remarquable, ce permis était déjà une anomalie grave. Le travestir pour arriver à faire deux constructions démesurées est inacceptable. Sans doute l’existence d’un permis initial valide a-t-elle servi d’argument au juge pour ne pas ordonner la démolition. Mais cette « mansuétude » inquiète sérieusement.
Car, dans le domaine de constructions luxueuses dans un tel secteur, une amende, même « record », n’est pas dissuasive. Seule la destruction l’est.
On a vu dans la baie voisine de Balistra comment un milliardaire russe avait déboursé plus de 20 M€ pour la seule acquisition du terrain qu’il espérait constructible sur la foi du POS illégalement révisé de Bonifaziu qu’avait concocté l’ancienne municipalité. On sait la stratégie alors déployée : promulguer avec la complicité de l’Etat des POS aux contenus délibérément illégaux, et, dans les quelques mois avant que leur annulation ne soit prononcée par les tribunaux, distribuer permis de construire et certificats d’urbanisme à gogo. C’est ainsi que Jacques Séguéla, Jean Reno et quelques autres avaient imaginé bétonner le littoral de leurs demeures pharaoniques. Les « amis de la Corse » défilaient alors dans le bureau de Nicolas Sarkozy pour y négocier les complicités de l’Etat, de Mùrtoli à Cala Longa, et, bien sûr sur tous les autres sites prestigieux de la côte qui relie Portivechju à Bonifaziu.
Pierre Ferracci est atypique, car son père Albert Ferracci était une figure de la vie bonifacienne, et corse en général, de la Résistance aux bancs de l’Assemblée de Corse dans les rangs communistes. Impossible de faire le parallèle entre sa personnalité et celle de Jacques Séguéla ou d’un autre membre de la jet set parisienne ! Mais le béton est le béton, et la couleur locale ne change rien au préjudice apporté au site.
Car c’est l’esprit de contagion qu’il faut craindre. Jusqu’à présent, l’action d’u Levante avait été largement reconnue par les institutions judiciaires. Les condamnations ont souvent suivi les plaintes déposées, et, dans les cas les plus flagrants, comme le procès de la villa Martinolle, propriété d’un richissime banquier suisse dans un autre site prestigieux de Bonifaziu, la démolition obtenue. Cette décision de 2015 a été un coup d’arrêt, une garantie que les riches fortunes hésiteraient à revenir à la charge. La décision « Ferracci » redonne espoir à tous, milliardaires russes ou magnats de la finance, de l’immobilier ou du showbiz.

Dans le domaine des constructions luxueuses dans un tel secteur, une amende, même « record », n’est pas dissuasive. Seule la destruction l’est.

D’autant plus que la position reconnue de la famille Ferracci père et fils dans le premier cercle du nouveau Président de la République Emmanuel Macron redonne corps à l’idée que le grenouillage au sommet de l’Etat ouvre la porte à tous les passe-droits.
U Levante pourrait se pourvoir en cassation, mais les chances de succès apparaissent compromises.
A Rundinara, la défense des espaces remarquables du littoral corse a perdu une bataille emblématique.


F.A