« Vergogna à tè chì vendi a terra », « terra sacra », « sò di vighjanellu »…

Qual’hè chì hà a paura di l’ambiente in Corsica ?

Un demi-siècle de lutte et toujours les mêmes fondamentaux, au rang desquels, la terre. Le peuple corse est viscéralement, indubitablement attaché à sa terre. En dépit des incompréhensions parfois, tant les lois s’enchevêtrent et les illégalités sont multiples, la sauvegarde de l’environnement est le ciment de la défense de la Corse et des intérêts du peuple corse. Il est en effet judicieux de souligner que la sauvegarde de l’environnement comporte deux aspects : la défense de la terre, intrinsèquement liée à la défense des intérêts des Corses.

 

 

Rappelons que la Corse est une île. Loin de poser une benoite vérité, ce rappel impose une certaine lucidité. Un territoire insulaire ne peut s’étendre. Eu égard aux problèmes d’érosion du littoral, d’urbanisation des côtes, de documents locaux d’urbanisme qui ne respectent pas le Padduc, la masse du contentieux du juge administratif à Bastia s’accroit.

Rappelons également que les affaires successives de l’Argentella puis des boues rouges marquent un acte de naissance du combat pour l’environnement en Corse et constitue l’un des événements majeurs dans le mouvement nationaliste. En 1973, lorsque la société italienne Montedison déverse au large du Cap Corse du bioxyde de titane, les pécheurs se mobilisent suivis par des Corses de la société civile, conscients du dommage qui découlera de ce déversement. C’est dans ce contexte que dans la nuit du 13 au 14 septembre 1973, le Fronte paisanu revendiquera un attentat à l’explosif contre le navire Scarlino 2 de la Montedison, dans le golfe de Follonica.

Or, Christian Huglo, l’un des avocats de parties civiles à l’époque, dépose une plainte à Livourne, précisément parce que le droit français n’avait pas prévu à l’époque, la réparation d’un préjudice écologique. C’est pour cette raison que l’affaire des boues rouges raisonne encore aujourd’hui. Le droit français balbutiait alors sur la notion de trouble anormal du voisinage pour envisager la réparation des atteintes à l’environnement. Nous épargnerons le lecteur d’un état des lieux de la jurisprudence de la Cour de Cassation sur cette notion, mais ne résistons pas à l’envie de lui indiquer que le trouble anormal du voisinage est mobilisé en droit pour réparer les nuisances, qu’elles soient sonores (du chant du coq au rock de garage), visuelles, ou liées au risque de dommage (tel le risque lié à la projection d’une balle de golf). En 1973, le préjudice écologique était donc un angle mort du droit français. C’est tout l’apport des conséquences du procès de la Montedison à Livourne et de travaux d’éminents juristes (Gilles J. Martin notamment).

En effet, à la suite de l’affaire des boues rouges1, en droit civil, le préjudice écologique deviendra un préjudice indemnisable autonome et distinct aujourd’hui du préjudice moral subi par les associations de défense de l’environnement demanderesse. Le droit, en matière de dommage écologique, s’est construit (reconnu en 2012 par la Cour de Cassation puis consacré par la loi du 8 août 2016 pour la reconquête de la biodiversité), jusqu’à avoir aujourd’hui un régime juridique original, distinct du droit commun, pour cerner les difficultés liées à la réparation du préjudice écologique (délai de prescription allongé, possibilité d’affecter le montant de l’astreinte à la réparation de l’environnement…).

 

Forts de ce constat, nous pouvons affirmer que la sauvegarde de l’environnement en Corse est le terreau fertile de la défense de la terre et des intérêts du peuple corse.

De la terre parce qu’à l’évidence, cet héritage et la contrainte insulaire nous oblige. En effet, l’urbanisation et les atteintes à l’environnement sont susceptibles d’avoir des conséquences sur les espèces (faune et flore) et sur la qualité des sols, de l’eau, de l’air… Or, rappelons qu’en Méditerranée, près de 20 % des espèces sont endémiques, il y a donc une importance certaine à défendre leur existence pour les écosystèmes. Si le sujet mérite une attention particulière, c’est qu’il y a matière à en débattre. Devant le Tribunal Administratif de Bastia, les contentieux en matière d’urbanisme et d’aménagement du territoire représentent 33 %2 contre 6 % pour les tribunaux administratifs du Continent.

Des intérêts du peuple corse puisque l’urbanisation grandissante des côtes ne fait évidemment pas baisser les prix de l’immobilier, bien au contraire. Par ailleurs, il serait faux de penser que les atteintes à l’environnement n’ont pas de conséquences sur l’environnement humain. Deux conceptions se font jour ici, soit on considère l’environnement dans un sens anthropocentriste, par rapport aux conséquences que de telles atteintes peuvent avoir sur l’humain, soit au sens de la nature comme subissant en elle-même un préjudice. Or, même si le droit de l’environnement a épousé une vision anthropocentriste, il n’en reste pas moins que le dérèglement climatique, la disparition d’espèces (abeilles), les phénomènes naturels accrus par la main de l’homme, ont bien des effets sur l’environnement humain et sur la santé humaine (l’utilisation de pesticides est nocive pour la survie des abeilles, dont dépend la pollinisation…).

Tamanta strada… les Corses sont conscients de ces enjeux et méritent que leur terre soit préservée pour eux, et pour les générations futures. •

Anne Laure Marietti.

 

  1. En octobre 2023, l’entreprise Altéo était mise en examen pour les rejets de boues rouges dans la Méditerranée. L’entreprise est accusée d’avoir déversé pendant plusieurs années des boues rouges, résidus solides du rafinage de bauxite dont est extrait l’alumine, dans le parc national des Calanques. Le sujet est donc encore d’actualité en Méditerranée.
  2. Bilan du TA de Bastia, 2022, consultable sur : https://bastia.tribunal-administratif.fr/publications/chiffres-cles/bilan-d-activite-de-l-annee-2022