Università di Corti

Quand nos chercheurs deviennent experts à l’ONU

La saison des feux est chaque année une angoisse. Les moyens de lutte ont beau se perfectionner, la meilleure des solutions reste la prévention. Et dans un contexte mondial où pèsent les conséquences du réchauffement climatique, le travail des chercheurs est un des éléments clés pour s’adapter à ces nouvelles conditions et indiquer comment mieux prévenir les catastrophes. Jean Louis Rossi est maître de conférences à l’Università Pasquale Paoli. Il a intégré une équipe de chercheurs de l’ONU qui travaillent sur la Réduction des Risques de catastrophes (Disaster Risk Reduction UNDRR). Il explique son travail aux lecteurs d’Arritti.

 

Jean-Louis Rossi avec le Pr Morvan aux USA (Utah), 2019

L’ Université de Corse et ses chercheurs s’illustrent dans l’étude des mécanismes du feu. Quels sont les contours de ces recherches et que peuvent-ils apporter à la compréhension du problème ?

La problématique des feux de végétation est étudiée à l’Université de Corse depuis plus de 20 ans. 21 chercheurs y travaillent sur des thématiques balayant un spectre très large de domaines : physique, chimie, informatique, écologie, vision, drones… Une meilleure compréhension des phénomènes complexes liés à un incendie doit permettre de mieux appréhender son comportement mais également son impact. Pour cela, des études théoriques et expérimentales sont menées et nous développons également des prototypes destinés à l’aide à la décision.

 

En quoi consiste votre travail sur la gestion des risques de catastrophes et comment vous êtes-vous inscrit dans ce programme de recherche auprès de références mondiales en la matière ?

J’ai intégré le groupe E-STAG, Groupe d’experts limité à 20 membres nommés par 56 pays d’Europe ou d’Asie Centrale dont 4 directement nommé par l’United Nations Office for Disater Risk Reduction (UNDRR) et le Centre Commun de Recherche (JRC) de la Commission européenne sur des thématiques bien spécifiques ; j’y ai été nommé comme « expert lié au risque incendie ». La sélection des différents membres a été basée sur l’expertise, la capacité à fournir des informations scientifiques et techniques ou des conseils techniques pour mettre au point des outils d’aide à la décision. L’objectif principal de l’E-STAG est de fournir un appui scientifique et technique aux pays d’Europe et d’Asie centrale pour la mise en oeuvre du cadre de Sendai (Sendai Framework) et d’autres cadres pertinents au sein de l’Union Européenne en étroite collaboration avec le Disaster Risk Management Knowledge Centre (DRMKC).

C’est une expérience enrichissante qui me porte au-delà de mon domaine habituel d’activité exclusivement lié à des travaux de recherche. Cela permet de confronter ses points de vue et parfois de se remettre en question.

Qu’est-ce que le Sendai Framework for Disaster Risk Reduction 2015-2030?

Le Cadre de Sendai pour la réduction des risques de catastrophe 2015-2030 a été adopté durant le Troisième Sommet des Nations Unies dédiée à la réduction des risques de catastrophe tenue à Sendai au Japon en mars 2015. La communauté scien tifique et technologique, ainsi que d’autres parties prenantes parmi lesquelles le Centre commun de recherche de la Commission (JRC) se réunirent durant la Conférence du Bureau des Nations Unies (UNISDR) qui eut lieu les 27 et 29 janvier 2016 à Genève. La conférence a abouti à l’adoption d’une feuille de route pour la période 2015-20301 qui comprend les résultats attendus et les actions pour chacune des priorités d’action du cadre de Sendai. Au niveau régional en Europe, la feuille de route pour la mise en oeuvre du cadre de Sendai adoptée par le European Forum for Disaster Risk Reduction (EFDRR), formalisée à Istanbul en 2007, met fortement l’accent sur la nécessité d’accroître l’interface et la contribution de la communauté scientifique et technologique à la mise en oeuvre du cadre de Sendai dans cette partie du globe. Plus spécialement, le paragraphe 12 des résolutions prises à Istanbul : «Garantir que la Science, les évidences et les connaissances soutiennent la prise de décision et les stratégies de réduction des risques de catastrophe au niveau local, régional, national et européen. Créer un Réseau européen scientifique et technologique de réduction des risques de catastrophe pour permettre la mise en oeuvre du cadre de Sendai. »2 La création de l’European Science and Techno logy Advisory Group (E-STAG) est conforme à cette recommandation.

Vous avez donc participé à l’élaboration d’un rapport rendu à l’ONU sur les processus à mettre en oeuvre pour prévenir ces risques… comment avez-vous vécu cette expérience ?

Effectivement, le travail au sein de ce groupe d’expert a fait l’objet d’une publication d’un rapport de plus de 50 pages intitulé « Le rôle de l’interopérabilité des données dans la réduction des risques de catastrophe : obstacles, défis et initiatives régionales ».3 Il a été présenté lors du «Global Platform for Disaster Risk Reduction » à Genève. Personnellement, ce fut une expérience enrichissante qui m’a porté au-delà de mon domaine habituel d’activité. Cela m’a permis de confronter mes points de vue et parfois de les remettre en question. J’ai également eu le plaisir d’avoir un second travail retenu par le GAR19 : « Fuelbreaks : a part of wildfire prevention ». Travail effectué en collaboration avec l’Université de Marseille (Pr Dominique Morvan), le WPI de Boston (Pr Albert Simeoni) et l’université de Corse (Dr Thierry Marcelli et Dr François Joseph Chatelon). Le GAR (Global Assessment Report) est la publication de référence des Nations unies en matière de risques naturels. Tous les deux ans depuis 2009. Le Bilan Mondial réalise une évaluation globale de la réduction des risques de catastrophe, et une revue exhaustive des aléas naturels qui menacent l’humanité. Le Bilan Mondial fournit une expertise stratégique aux gouvernements et à la communauté internationale en matière de prévention, de politiques publiques et d’investissements. Chaque édition est focalisée sur un aspect spécifique de la réduction des risques de catastrophe.

 

Nous ne sommes plus hélas dans la lutte contre les changements climatiques, mais plutôt dans les besoins d’une politique offensive d’adaptation… n’est-ce pas déjà en soi un constat d’échec ?

En fait, sur le risque incendie, trois facteurs sont identifiés : ce fameux changement climatique, l’abondance de combustible sec (lié au facteur précédent) et le comportement des populations. Pour le risque incendie, il apparaît plus aisé d’agir sur les deux derniers facteurs si on veut réellement le minimiser rapidement. Bien entendu, cela ne veut pas dire que l’on ne doit pas s’attaquer à minimiser l’influence du premier. C’est juste que les échelles de temps ne sont pas les mêmes.

 

Quels sont les principales conclusions de ce rapport ?

Le rapport de l’E-STAG a mis en lumière plusieurs points comme, par exemple, le fait qu’il y a encore un besoin critique d’accroître les efforts au sujet de la réduction des risques de catastrophes (DRR). En particulier, pour les groupes de populations avec des individus vulnérables. Par exemple, le vieillissement de la population en Europe abaissera considérablement certaines capacités sociales et va forcément influencer toutes les dimensions de la DRR, y compris les aspects financiers.

Un autre point important à mon sens mis en avant est que l’amélioration de la collecte des données permettra de mieux planifier la prévention visant à réduire les risques et les impacts. Cette problématique globale est aussi une problématique que nous retrouvons en Corse.

Table expérimentale aux USA et un feu dessus (Montana, 2018).

Vous dites que pour réduire ces risques, il faut notamment agir sur les acteurs socioéconomiques et l’aménagement du territoire. Vu les travers de notre société, est-ce encore possible ?

Comment baisser les bras devant un tel risque lorsque l’on voit ce qui s’est passé au Portugal ou aux USA? Il faut éveiller les consciences et mettre notre Peuple devant ses responsabilités.

La politique de l’autruche ne peut mener que dans le mur !

 

Comme tout travail de recherche, surtout à un tel niveau de coopération internationale, l’objectif est d’éclairer les décideurs. Mais s’emparent-ils de vos préconisations ?

Les politiques qui sont menées sur le terrain doivent être faites après concertation avec les différents acteurs. Les chercheurs peuvent amener des points de vue sur certains problèmes mais il faut écouter les gens du terrain.

À mon humble avis, ce qui manque c’est une réelle volonté politique sur ce sujet.

Politique qui lie plusieurs domaines comme l’énergie, le tourisme, l’agriculture, la gestion des ressources… Une vraie révolution dans la manière d’appréhender l’aménagement de notre territoire ! Pour finir, nous avons été sollicités par le Conseil Économique Social et Environnemental de Corse pour y faire une conférence suivie d’échanges le mois dernier et ce fut très prometteurs. Je pense sincèrement que la problématique du risque incendie va enfin être prise en considération par l’ensemble de notre société.

 

Dépouillée de pouvoirs de décision surtout à un tel niveau, sans réelle maîtrise des facteurs déclencheurs de ces catastrophes… que peut bien faire une région comme la Corse pour influer sur la résolution du problème ?

Nous avons des outils. Nous ne pouvons pas assurer un risque 0 mais nous pouvons mettre en oeuvre des politiques afin de le minimiser. J’aime bien être concret, donc je vais vous donner deux exemples pratiques très simples à mettre en oeuvre : favoriser les espaces cultivés autour des villages comme cela existait auparavant, et arrêter de permettre n’importe quoi en ce qui concerne l’implantation de nouvelles maisons individuelles dans des zones identifiées à risque.

 

Quelle va être la suite de ce travail ?

Pour ce qui est des travaux de recherche, nous allons accentuer nos collaborations à l’internationale et favoriser l’applicatif. Au niveau local, nous avons à coeur de travailler « pè u cumunu ».

 

 

  • « Science and Technology Roadmap to Support the Implementation of the Sendai Framework for Disaster Risk Reduction 2015-2030 »
  • « Ensure science, evidence and knowledge to underpin decision-making and strategies for disaster risk reduction at local, national and European regional levels. Initiate an EFDRR Science and Technology Alliance/Network to enable use of science in the implementation of the Sendai Framework. »
  • « The role of data interoperability in disaster risk reduction : barriers, challenges and regional initiatives ».