Samedi 28 octobre, les représentants de quinze associations parmi lesquelles A Spiriatia, U Levante et Zeru Frazu se sont réunis devant la Collectivité de Corse. Leur revendication : le retrait simple et pur du plan déchet dont la mise en place par l’Office de l’environnement est prévue pour 2024. Leur lettre ouverte adressée à l’exécutif est sans équivoque : le futur projet est analysé comme la future source de graves problèmes environnementaux, économiques et sociétaux. Inutilité du plan voire nocivité manifeste, manipulation probable des chiffres avancés par le plan, enjeux mafieux, coûts exorbitants… Le dossier est à charge.
Les analyses des associations sont sans appel, le plan déchet tel que présenté aujourd’hui ne ressemblerait ni de près ni de loin à la réalité présente ou future de la Corse. « Les chiffres mentent ! », c’est ce qui est affirmé. Marine Bonavita, l’une des coordinatrices, nous explique : « Le principal argument du plan, et ce qui le fait rentrer dans le cadre de la légalité, est l’augmentation du taux de déchets valorisés. La loi demande à ce que ce taux soit de 65 %, c’est également le chiffre qui est avancé dans le plan. Or, c’est un objectif qui est non seulement impossible à atteindre avec le projet en l’état des lieux, mais qui est également contradictoire avec les chiffres avancés dans ce plan. On serait plus autour des 43 % de déchets recyclés selon nos estimations les plus optimistes, ce qui est loin d’être suffisant pour enrayer la crise des déchets et encore moins pour justifier un projet aussi coûteux [entre 300 et 400 millions d’euros au total] ». Les quantités de déchets éligibles seraient aussi largement surestimées. Le dernier chiffre, celui du taux d’enfouissement fixé au maximum à 10 %, serait en réalité de 22 % selon les estimations les plus réalistes.
La filière CSR : la réapparition d’un combat emblématique en Corse pour l’environnement
La filière CSR (combustible solide récupération) est dénoncée comme le point le plus « aberrant » du plan. Ce volet du projet consisterait en une valorisation des déchets qui ne sont pas valorisables par le recyclage, comme la mousse d’isolation ou le bois. Leur futur dans le plan déchet : leur mise à l’incinération pour permettre la production d’énergie. C’est donc un ancien combat qui revient sur le devant de la scène, l’incinération des déchets ayant été l’un des sujets les plus emblématiques de la lutte environnementale en Corse au début des années 2000. Les mouvements de protection de l’environnement en Corse et les élus s’étaient mobilisés durant de longs mois pour obtenir la victoire finale du retrait du projet. « Cette décision dans le plan déchets est un retour en arrière vis-à-vis du combat qu’on a mené à l’époque », nous dit une militante de Zeru Frazu. Jérôme Mondoloni explique : « la filière CSR est particulièrement inefficace. Une grande partie des CSR fabriqués en France ne trouvent pas de chaudières pour être incinérés… et sont donc enfouis ! Et rien n’est prévu pour les résidus nocifs résultant de l’incinération. Les mâchefers [imbrûlés, incombustibles, cendres] et les résidus d’épuration des fumées constituent pourtant entre un quart et un tiers du tonnage entrant à l’incinération ! Ces derniers, classés “dangereux”, nécessitent des infrastructures onéreuses que le Plan ne prévoit pas ». L’exécutif de Corse s’était d’ailleurs prononcé contre la filière, avant de faire machine arrière lors de la publication du plan. Lorsqu’on lui demande une explication possible sur ce revirement, Jérôme Mondoloni nous répond : « il s’agit certainement de pressions exercées par le privé, pressions combinées à l’urgence de la situation des déchets en Corse. Mais il n’est pas trop tard pour retirer la filière CSR de la planification ».
L’emprise mafieuse, l’autre enjeu de ce plan déchet
Parmi les associations représentées, les deux collectifs anti-mafia A Maffia Nò A Vita Iè et Massimu Susini pointent les risques graves d’implication de groupes mafieux dans le projet. La privatisation du projet en premier lieu, le manque de séparation des marchés ainsi que l’absence d’un plafond a priori pour le coût des transports et de traitement sont pour les associations des catalyseurs des risques mafieux. « Depuis 2017, 11 incendies criminels ont ciblé des équipements liés au traitement des déchets » rappelle Jérôme Mondoloni. « Les pressions sont là : la privatisation, notamment, de ce secteur est la porte ouverte à ce que des groupes criminels s’emparent encore plus de la problématique du plan déchet ». La lettre ouverte rappelle que la Cour des Comptes et l’Autorité de la concurrence ont estimé que ce secteur souffrait en Corse d’un défaut de concurrence. « C’est au final le contribuable corse qui va payer de sa poche un projet dangereux et opaque dans son budget » conclut-il.
Plusieurs sujets brûlants donc, contre lesquels les différentes associations membres du collectif ne comptent pas cesser de se battre tant que le plan sera sur la table de la planification écologique en Corse. •
Léa Ferrandi.
Pour participer à l’enquête publique et retrouver les chiffres avancés par le collectif :
– https://corsicapulita.com
– infocorsicapulita@gmail.com