Se trouver à Bruxelles, le 11 juillet, jour de la demie finale de la Coupe du monde de football entre France et Belgique avait quelque chose d’assez cocasse… pourtant, s’il y avait un engouement notamment pour la jeunesse… ce n’est pas autour du ballon rond, mais en l’honneur de la fête nationale flamande !
Le 11 juillet est un jour très fêté, parmi les nationalistes flamands bien sûr, mais aussi parmi le monde culturel et la société civile flamande.
Vlaamse Volksbeweghing (VVB, Mouvement Populaire Flamand) est une association détachée des partis politiques qui milite pour l’indépendance de la Flandre, pour la démocratie et pour la défense de l’identité flamande dans les institutions. Présidé par Bart De Valck, elle compte 4000 adhérents dans des dizaines de sections locales réparties dans tout le pays. C’est l’association la plus active du mouvement flamand. Et c’est un flamand bien connu du nationalisme corse qui en fut le premier président en 1956, Maurits Coppieters.
Dans les années 80, militant du parti autonomiste La Volksunie, il devint député européen pour la Flandre et il fut l’un des fondateurs de l’ALE, l’Alliance Libre Européenne aujourd’hui parti européen regroupant 45 partis nationalistes d’Europe et présidée par un Corse, François Alfonsi. La Fondation de l’ALE porte son nom.
En 1979, Maurits Coppieters avait tenu une conférence à Bastia à l’invitation de Max Simeoni, d’où il s’exclama sous des applaudissements nourris : « Je suis le député de la Corse ! »
Dès lors, le lien entre la Flandre et la Corse ne cessera jamais de fonctionner avec des entraides et des échanges politiques réguliers.
Un peu d’histoire. « Le mouvement flamand est vieux comme la Belgique, un État dont les élites qui l’ont créé par sécession du Royaume-Uni des Pays Bas Réunis (1790-1830) étaient francophones même en Flandre, et ils contestaient la politique linguistique du roi néerlandais qui voulait faire de la langue du peuple la langue officielle de son royaume, tout en respectant le français en Wallonië et l’allemand dans le Luxembourg. Quand le jeune État belge a vu le jour, la “liberté linguistique” consistait en la liberté des élites à parler le français. De fait, le peuple ne pouvait pas faire valoir ce droit » explique notre hôte, Bernard Daelemans, vice-président de VVB. «Après la première guerre mondiale, avec l’introduction du suffrage universel (1919), la majorité flamande de la Belgique a pu se faire entendre et dès 1920 le néerlandais a commencé, pas à pas, sa reconquête vers l’officialisation dans tous les domaines de la vie publique et notamment dans les organismes de l’État, les tribunaux, l’enseignement jusqu’à l’université. »
Aujourd’hui donc, le néerlandais est langue officielle en Flandre au prix d’une lutte acharnée d’un vaste mouvement transversal à tous les partis politiques. Le statut linguistique de Bruxelles, flamande d’origine mais massivement francisée dans les années 1890-1930, a toujours été source de conflit. Aujourd’hui moins d’un quart des Bruxellois parlent le français car Bruxelles est cosmopolite. Mais les Flamands doivent encore se battre pour que le statut d’officialité de leur langue y soit correctement appliqué.
« Depuis la mise en oeuvre du suffrage universel le mouvement flamand a également produit ses partis politiques autonomistes, fédéralistes, indépendantistes, de tous bords. Les nationalistes flamands ont toujours été une ou des formations minoritaires sur l’échiquier politique belge (entre 10 et 20 % des votes en Flandre). Mais depuis 2009 nous avons vu une montée assez spectaculaire du nationalisme flamand qui coïncide avec la naissance de la N-VA qui est maintenant le parti dominant en Flandre et même le plus grand parti de la Belgique » dit encore Bernard.
N-VA (Nouvelle Alliance Flamande) est un parti démocratique qui revendique l’indépendance dans l’Union Européenne.
Il adhère à l’ALE et a obtenu 32% des voix au parlement flamand en 2014 (43 sièges sur 124), 20,88 % au parlement fédéral belge (33 sièges sur 150).
N-VA, présidé par Bart de Wever, siège donc dans les deux gouvernements flamand et belge.
Vlaamse Festdag, la fête nationale flamande. Chaque année, VVB célèbre la fête nationale flamande à la fois à Malines (Michelen) et à Bruxelles, au coeur de la Flandre. En France, on pense « capitale belge », mais Bruxelles est la capitale flamande qui a du concédé énormément à l’Europe et à la Belgique.
Chaque année, à l’occasion du 11 juillet, VVB zoome sur la situation d’une nation européenne. La Catalogne, l’Écosse, le sud-Tirol y ont été régulièrement invités… Mais pour 2018, séduits par les avancées obtenues depuis 2015, c’est la Corse qui était invitée d’honneur et que j’ai eu la tâche de représenter.
Les Flamands aspirent à ce que le 11 juillet soit férié mais il faudrait l’accord du gouvernement fédéral belge, et donc seuls les fonctionnaires et agents des services publics flamands ne travaillent pas ce jour-là.
Pour l’ensemble du pays, le jour de la fête nationale est traditionnellement le jour où les institutions et les organisations indépendantistes flamandes débattent sur l’avenir de la Flandre. Chose complexe car la N-VA qui siége à la fois dans les gouvernements belge et flamand est tenu de respecter le « standstill » communautaire où les revendications indépendantistes sont mises quelque peu entre parenthèses. Pour Bernard Daelemans, « cela oblige le mouvement flamand à mesurer ses critiques à l’égard de ce grand parti politique, c’est un exercice d’équilibre difficile. On est à un an des élections tant fédérales que régionales.
Est-ce qu’on va voir la N-VA encore s’accorder pour taire son programme communautaire pour 5 ans ou est-ce qu’il va enfin réaliser des avancées pour la Flandre, c’est à dire obtenir des transferts de compétences vers davantage d’autonomie? C’est demander beaucoup de patience pour les indépendantistes flamands… »
C’est dans ce contexte que se déroulait la fête nationale. À Malines, VVB mais aussi toutes les associations culturelles étaient impliquées dans son organisation.
Malines, ville pittoresque néerlandophone de 80.000 habitants dans la province d’Anvers, sur les bords de la Dyle. Chants, discours, accueil chaleureux et enthousiaste fait à la Corse, et nous revoilà très vite de retour à Bruxelles avec notre hôte Steven Vergauwen, l’un des grands animateurs de VVB, pour finir la fête à la Maison Flamande au milieu des militants et étudiants pour une longue soirée joyeuse où la bière coule à flot en l’honneur de l’intrépide lion flamand (emblème national) : « le lion flamand est là, ils ne l’apprivoiseront pas tant qu’un Flamand vivra, tant que le lion peut griffer tant qu’il a des dents » dit l’hymne national flamand De Vlaamse Leeuw (le lion flamand).
20 ans d’autonomie flamande.
Mais avant ces rendez-vous festifs, nous étions reçus à l’Hôtel de Ville de Bruxelles le 11 juillet au matin avec toute l’élite politique flamande, ministres, députés, président du parlement. Fait notoire, le Bourgmestre (Maire) de la ville, Philippe Close, était présent pour la première fois à l’événement, il a parlé en flamand et a salué les progrès de l’autonomie. Le président du parlement flamand, Jan Pneumans, prononçait son dernier discours du 11 juillet avant son retrait de la vie politique. Il a fait un plaidoyer en forme de bilan mais aussi de « feuille de route » pour ses successeurs.
Faire du 11 juillet un jour férié, donner une Constitution à la Flandre, à l’instar des länders allemands ou suisses, qui « rappelle les principes d’une nation démocratique, moderne et plurielle », et surtout renforcer les pouvoirs de l’autonomie !
En 20 ans, la Flandre est devenue une nation qui compte à l’intérieur pour son peuple mais aussi à l’extérieur, « impliquée dans la prise de décision internationale et européenne ». Le pays donne en effet son avis sur les traités internationaux et est invité à la table du Conseil des Ministres européen lorsque les sujets relèvent de sa compétence, comme l’éducation, la culture, l’environnement.
Voilà ce qu’est une autonomie de plein exercice et de plein droit telle que la réclame la majorité nationaliste pour la Corse! Ainsi, par exemple, dans les négociations en cours sur le Brexit, la Flandre, compétente dans le domaine du commerce extérieur, voisin direct et partenaire commercial du Royaume-Uni, a son mot à dire. De même, elle donne son avis sur le dossier climatique lors des conférences internationales sur le climat.
Pousser davantage ces compétences, en arracher de nouvelles, notamment dans le domaine fiscal, avec comme «modèle inspirant » le Pays Basque, rendre Bruxelles à la Flandre, voilà les objectifs. De nombreuses compétences aspirent à être renforcés, comme la politique scientifique et technologique, la coopération, le transport et les infrastructures ferroviaires, les télécommunications, la justice, la politique sociale… autant de domaines où il faut clarifier l’enchevêtrement des pouvoirs entre le parlement fédéral et le parlement flamand.
« La Flandre peut utiliser son projet de constitution comme base à un fédéralisme coopératif sur un pied d’égalité avec la Belgique. Cette constitution renforcera notre identité et notre estime de soi. Elle verra sans doute aussi son statut renforcé à l’étranger et pourra donc poursuivre son rôle de précurseur de l’idée européenne. Dans une Flandre forte, je veux être et rester fier et célébrer avec vous pendant de nombreuses années le 11 juillet » a conclu Jan Pneumans sous les applaudissements y compris des représentants des parlements wallon, bruxellois et belge ! Un discours offensif en écho à l’aspiration indépendantiste qui ne cesse de progresser. Il sera très intéressant de suivre les résultats des élections fédérales et régionales l’an prochain. Prettige nationale vlaamse Festdag ! (bonne fête nationale flamande).
Fabiana Giovannini.