Des dirigeants démocratiquement élus incarcérés depuis bientôt quatre mois sans que la moindre action de violence ne puisse leur être reprochée, jamais on n’aurait cru cela possible au sein même de l’Union Européenne ! Comment peut évoluer la situation en Catalogne ?
Ils sont quatre encore incarcérés à Madrid, plusieurs en exil et une trentaine sous le coup de procédures où ils risquent en permanence d’être jetés en prison pour des durées arbitraires.
Depuis le referendum du premier octobre 2017, la Catalogne vit au rythme d’un bras de fer répressif d’une violence inédite entre Barcelone et Madrid.
La tenue du referendum du premier octobre, malgré les tentatives violentes de Madrid de l’empêcher en faisant intervenir la Guardia Civil, a été la première victoire des indépendantistes.
Ils la doivent à la longue et patiente préparation qui, depuis 2011, a forgé une organisation rigoureuse, massive et remarquablement démocratique autour des deux associations-phares de la société civile catalane, l’Assemblée Nationale Catalane et Omnium International.
Dans le déroulé de l’action répressive
Aussi, leurs deux Présidents, les « deux Jordi », Jordi Sanchez et Jordi Cuixart, font partie des «prisonniers politiques » que Madrid retient en détention provisoire, en même temps que les principaux dirigeants de la Generalitat qui ont ensuite validé le mandat démocratique donné par le peuple en proclamant, le 27 octobre 2017, une «Déclaration Unilatérale d’Indépendance ».
Ceux qui ont accepté de comparaître devant la justice espagnole ont été aussitôt incarcérés.
Plusieurs sont en liberté provisoire, mais Oriol Junqueras (vice- Président, ERC) et Joaquim Forn (Ministre de l’Intéreur, PdCat) semblent devoir rester en prison sine die. Ceux qui ont préféré prendre le chemin de l’exil à Bruxelles et de l’internationalisation, dont Carles Puigdemont, Président de la Généralitat, et plusieurs ministres, ont été « interdits de territoire » par la justice espagnole, à défaut d’avoir pu être mis aux arrêts dans le cadre de la coopération judiciaire européenne.
Au Danemark, en Estonie, en Suède… Madrid rencontre les mêmes réticences vis-à-vis de sa dérive post-franquiste
Dans le déroulé de l’action répressive menée par Mariano Rajoy, cette déciplusion de la Belgique refusant de donner suite au mandat d’arrêt européen lancé par l’Espagne a sans nul doute été le premier « contre » réellement réussi par le mouvement catalan contre Madrid.
Aucun gouvernement de l’Union Européenne n’a osé dé fier Madrid, la plupart comme la France affichant même un soutien immodéré, mais les plus « résilients » en termes d’exigence démocratique, comme la Belgique, ont délibérément refusé leur coopération. Ce point marqué par Barcelone a validé la stratégie de Puigdemont aux yeux de nombreux catalans. Elle vient de connaître un nouveau développement en Suisse à propos d’Anna Gabriel, leader du troisième parti indépendantiste, la CUP, qui y bénéficie d’un « quasiasi le politique » à Genève. Au Danemark, en Estonie, en Suède et dans bien d’autres pays d’Europe, Madrid rencontrera les mêmes réticences vis-à-vis de sa dérive post-franquiste, ce qui favorise une « internationalisation de fait » de la question catalane.
L a dissolution de la Generalitat « séditieuse » par la Cour constitutionnelle espagnole a obligé Madrid à organiser de nouvelles élections le 21 décembre dernier.
Leur résultat a é té la 2e victoire du mouvement indépendantiste à qui le peuple catalan a attribué une nouvelle fois la majorité absolue au sein de la Generalitat.
Certes le score 20 17 est très proche de celui de 2014, mais la participation extrêmement élevée ne laisse aucune place au doute : le mouvement national reste bel et bien majoritaire en Catalogne malgré la répression, malgré la propagande et les manifestations téléguidées, malgré les difficultés rencontrées dans les relations avec le reste de l’Europe, malgré la prise en main directement depuis Madrid de la gestion au quotidien de l’autonomie catalane.
Montrer sa résistance ou faire le dos rond ?
Cette majorité absolue est depuis son élection confrontée à un choix difficile : montrer sa volonté de résistance en élisant directement Carles Puigdemont malgré son exil à Bruxelles, ou faire le « dos rond » en consolidant la victoire électorale par la mise en place d’un Exécutif inattaquable juridiquement par Madrid, probablement en dehors des vingt-neuf leaders poursuivis par la justice espagnole, et donc menacés d’interdiction de droits civiques ; et se donner ainsi le temps de reconstruire le rapport de forces, notamment sur la scène internationale.
Le « renouvellement générationnel » est en faveur des indépendantistes
Le dilemme est difficile. Repartir dans un affrontement frontal signifierait à court terme le retour aux urnes. Or, c’est un enseignement de la crise de fin 2017, la société catalane n’a pas encore surmonté la division qui est la sienne en deux blocs, celui majoritaire des « catalanistes », et celui de ceux qui, très souvent en raison de leur origine depuis d’autres régions d’Espagne, restent attachés à « la Constitution». Le « renouvellement générationnel » est en faveur des indépendantistes, les jeunes nés et ayant grandi en Catalogne privilégiant de plus en plus leur citoyenneté catalane par rapport à leur origine d’Andalousie ou d’ailleurs.
Mais il faut du temps pour que ce mouvement en profondeur porte la représentativité du mouvement indépendantiste au-delà de 50, et même 55%, contre 47,5 % obtenus en 2014 et confirmés en 2017. N’oublions pas que les scores indépendantistes d’avant 2011 dépassaient à peine 25% !
Les deux options partagent les vainqueurs du 21 décembre 2017. PdeCat, dont le leader Carles Puigdement a gagné l’élection depuis son exil bruxellois (34 élus PdeCat, 32 élus ERC) insiste pour qu’il soit reconduit malgré tout.
ERC, dont un de ses leaders, Roger Torrent, vient d’être élu Président du Parlement, plaide pour une stratégie de patience et a ajourné le vote sur la Présidence de l’Éxécutif. La troisième composante, CUP, minoritaire (4 élus), mais indispensable à la coalition, rejette tout atermoiement.
Ces divisions tactiques ont généré de multiples réunions, sur fond d’une obligation de résultat malgré les divergences : donner à Madrid une « seconde chance » en provoquant de nouvelles élections serait évidemment suicidaire.
Depuis le week-end dernier il semble que ces négociations arrivent à leur aboutissement, et Roger Torrent a annoncé la réunion de la plénière de la Generalitat pour jeudi 1er mars.
Les négociations se sont orientées vers un dispositif «mixte », inattaquable côté « officiel » et l’élection de nouveaux responsables, tout en mettant en place un « shadow gouvernement » autour de Carles Puigdemont, doté de véritables pouvoirs, notamment à l’international.
Tout en sachant que tout cela sera scruté au jour le jour par les procureurs espagnols, véritables auxiliaires judiciaires du gouvernement madrilène.
L’exercice est manifestement difficile, et il faudra être capable de l’inscrire dans la durée. Une durée qui pourrait risquer de manquer à Mariano Rajoy, dont la situation politique, marquée par la déroute subie par son parti politique lors du scrutin catalan, apparaît désormais fragilisée.
Faire cheminer le projet d’indépendance dans les coeurs, les esprits, les faits…
En Catalogne, le bras de fer va continuer pendant plusieurs mois encore.
Pour les indépendantistes, deux impératifs sont à respecter.
Il leur faut garantir l’espace politique qui leur a été ouvert par le résultat des élections du 21 décembre 2017 en reprenant les rênes d’une région d’Europe qui reste un moteur économique à la croissance solide malgré la situation politique et une espace démocratique stable, uniquement menacé par l’attitude autocratique de Madrid ; tout en faisant cheminer dans les coeurs, dans les esprits et dans les faits, le projet d’indépendance de la Catalogne en Europe.
Car c’est dans la réalité du terrain et du peuple catalans que se construira l’issue de ce conflit, et qu’elle s’imposera à Madrid comme au reste de l’Europe.
Visca Catalunya !
François Alfonsi.