L’opinion publique a été très unanimement choquée par les images vidéos du passage à tabac sans raison d’un producteur de musique à Paris, ainsi que de jeunes qui enregistraient à ce moment-là dans les studios.
Pensant pouvoir commettre leur délit en toute impunité en s’enfermant avec lui dans ses propres locaux, ils ont commis leur méfait avec une telle rage, à coups de poings, de pieds et de matraques, qu’on se demande encore comment l’homme s’en sort vivant. Il faut dire que le gars grand et costaud, s’est efforcé malgré les coups de rester debout pensant à juste titre que s’il flanchait, il ne s’en sortirait pas. L’agression, copieusement entrecoupée d’insultes de « sale nègre » a duré 12 longues minutes et a été filmée par la caméra de surveillance du studio. L’homme n’a pourtant à aucun moment riposté et n’a démontré aucune violence ni avant, ni pendant cette attaque totalement injustifiée.
Heureusement, les jeunes qui enregistraient au sous-sol, ont pu pénétrer dans la pièce dont la porte était bloquée par les policiers, et en s’interposant les ont repoussés à l’extérieur. Appelant du renfort, les policiers ont cependant donné l’assaut à l’aide d’une grenade lacrymogène et sous la menace de leur arme cette fois. Extirpés du local, ils ont été passés à tabac encore à l’extérieur alors qu’ils se rendaient et ne témoignaient d’aucune menace criant « j’ai rien fait », « à l’aide »… Des scènes inouïes sous les caméras smartphone heureusement des voisins médusés.
Sans ces images et celles de la caméra de surveillance du studio, l’homme en question aurait pourtant été jeté en prison, accusé d’outrages à agents et d’avoir voulu « volé leurs armes » aux dires des policiers. Ce qui est faux.
Dès réception de ces images, la préfecture de police a ordonné sa remise en liberté sans poursuite et même le Président de la République a dû s’exprimer !
En plein débat controversé sur la loi de « sécurité globale » qui porte atteinte à la liberté de la presse et interdit notamment de filmer la police en intervention, cette affaire révèle à quel point cette loi est dangereuse et va inévitablement amplifier les dérives policières.
C’est une atteinte à la liberté de la presse sans précédent en Europe. Et plusieurs dizaines de milliers de manifestants dans toute la France ont protesté ce samedi 28 novembre contre ce projet liberticide. Le gouvernement a dû reculer et promettre une nouvelle rédaction, notamment de l’article 24 très constesté, mais cette affaire révèle un état d’esprit très inquiétant au cœur de l’appareil d’État.
L’Assemblée de Corse, réuni en session le 27 novembre, a adopté à l’unanimité une motion présentée par le président de l’Assemblée de Corse, et les groupes Femu a Corsica et Corsica Lìbera. La voici in-extenso. •
La motion de l’Assemblée de Corse
VU l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, disposant que « tout citoyen peut parler, écrire, imprimer librement »,
VU la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse définissant les libertés et responsabilités de la presse, et notamment son article 1er disposant que « l’imprimerie et la librairie sont libres »,
VU l’article 5 de ladite loi disposant que « Tout journal ou écrit périodique peut être publié, sans autorisation préalable, ni dépôt de cautionnement »,
VU le paragraphe 3 du chapitre IV de ladite loi, relatif aux « Délits contre les personnes »,
VU l’article 20 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 relatif au droit de manifester : « 1. Toute personne a droit à la liberté de réunion et d’association pacifiques. 2. Nul ne peut être obligé de faire partie d’une association. »,
VU la proposition de loi « Sécurité globale » votée en première lecture à l’Assemblée nationale le 20 novembre 2020 et précisément ses articles : 20, 20 bis et 20 ter relatifs à l’extension du déport de la vidéoprotection, 21 relatif à la modification du régime juridique applicable aux caméras mobiles, 22 relatif à la création d’un régime juridique encadrant le recours aux caméras aéroportées par les autorités publiques et 24 relatif à la diffusion du visage ou de tout élément permettant l’identification d’un fonctionnaire de police ou d’un militaire de gendarmerie,
CONSIDERANT que l’article 24 prévoit de punir « d’un an d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende » le fait de diffuser des images d’un policier ou d’un gendarme « dans le but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique »,
CONSIDERANT que la notion d’intégrité psychique est mal définie et présente, par conséquent, des risques d’interprétations restrictives de liberté,
CONSIDERANT que les images des violences commises par les forces de l’ordre pourraient dès lors ne plus être diffusées,
CONSIDERANT que l’article 24 crée, de fait, un nouveau délit dans la loi de 1881 sur la liberté de la presse,
CONSIDERANT que dans l’arsenal législatif actuel, une personne qui utilise de façon malveillante les vidéos qu’elle tourne, peut déjà être punie,
CONSIDERANT que certaines vidéos ont été utiles pour révéler les dérapages incontestables des forces de sécurité, notamment dans de récentes affaires rapportées par les médias,
CONSIDERANT le flou entretenu par l’Etat autour des interventions des forces de l’ordre, aucune statistique ne recensant les violences policières ou les morts par balle consécutives à l’intervention de la police,
CONSIDERANT que les seules données sur l’emploi de la force par la police émanent d’ONG dont la crédibilité est remise systématiquement en cause par l’État,
CONSIDERANT que les dispositions de l’article 24 pourraient avoir des conséquences préjudiciables sur le climat de la société et la démocratie elle-même, en accentuant l’incompréhension entre les citoyens et les forces de l’ordre,
CONSIDERANT que ces dispositions pourraient éventuellement renforcer le sentiment d’impunité de certains membres des forces de l’ordre,
CONSIDERANT que la proposition de loi comporte des mesures préoccupantes telles qu’il existe un risque de ne plus laisser aucune place à l’anonymat, lequel est consubstantiel au respect du droit à la vie privée,
CONSIDERANT les propos avancés par le Ministre de l’Intérieur Gérald Darmanin lors d’une conférence de presse en date du 18 novembre 2020, à savoir : « Je rappelle donc, que si des journalistes couvrent des manifestations, conformément au schéma de maintien de l’ordre, ils doivent se rapprocher des autorités, en l’occurrence du Préfet du département (…), pour se signaler, pour être protégés également par les forces de l’ordre, pour pouvoir être distingués, pour pouvoir rendre compte [de leur] travail de journaliste dans ces manifestations » bien que celui-ci ait en suite modéré ses propos par le biais d’un Tweet précisant que « les journalistes peuvent, sans en avoir l’obligation, prendre contact avec les préfectures en amont des manifestations »,
CONSIDERANT la Tribune « Nous n’accréditerons pas nos journalistes pour couvrir les manifestations » signée par de nombreux responsables de rédaction (Le Monde, Le Figaro, BFM TV, les rédactions de France télévision, etc.) réaffirmant leur attachement à la loi de 1881 sur la liberté de la presse et leur vigilance quant à sa préservation suite à la proposition de loi « Sécurité globale » et aux propos du Ministre de l’Intérieur,
CONSIDERANT le caractère fondamental de la liberté de la presse et de la liberté d’expression sous toutes ses formes, pour l’exercice effectif d’une démocratie réelle, dans laquelle tous les individus peuvent s’exprimer librement,
CONSIDERANT que les articles visés de la proposition de loi « Sécurité globale » portent atteinte aux libertés fondamentales des citoyens et que l’évolution actuelle ne peut avoir qu’un effet négatif sur la liberté d’expression et de manifestation,L’ASSEMBLEE DE CORSE
APPORTE son soutien total aux journalistes, injustement attaqués par le Gouvernement, dans le simple exercice de leur fonction : transmettre une information à la population.
S’INQUIETE des dispositions adoptées qui portent une atteinte directe à la libre diffusion d’informations et réduisent les libertés fondamentales des citoyens.
S’OPPOSE solennellement aux articles 20, 20 bis, 20 ter, 21, 22 et 24 de la proposition de loi « Sécurité globale ». •