Sguardu di ghjuventù

Clara Maria Laredo, étudiante, actrice : « Ne pas perdre de vue l’essentiel »

© Mona Favoreu
Dans un monde difficile et parfois désespérant (mais n’est-ce pas propre à toute époque ?), la jeunesse est l’espoir d’un avenir meilleur. Arritti souhaite aller au-devant de jeunes Corses, savoir comment ils vivent l’actualité, comment ils se projettent. Une manière d’apporter une touche de fraîcheur et d’enthousiasme dans nos colonnes. D’ailleurs – nos lecteurs l’ont peut-être remarqué – depuis quelques temps, de nouvelles signatures apparaissent dans Arritti, toutes ces nouvelles plumes vous seront présentées. Cette semaine, nous avons voulu démarrer avec une jeune femme qui illustre cette jeunesse qui s’affirme. La tête bien sur les épaules, par son discours, comme par son parcours, elle témoigne des aspirations et des ressources de cette nouvelle génération disponible pour la Corse à bâtir.
Clara Maria Laredo a 20 ans. Elle est la fille de notre ami trop tôt disparu, Norbert Laredo. C’est dire si elle a baigné dans un univers engagé. Étudiante à Bruxelles, elle tourne dans le prochain film de Thierry de Peretti inspiré du roman de Jérôme Ferrari, « À son image ». Elle y tient le premier rôle et nous raconte son expérience. Interview.

 

 

Présente-toi à nos lecteurs…

Je m’appelle Clara Maria Laredo, je suis étudiante en Sciences Politiques en deuxième année à Bruxelles. Avant cela, j’ai travaillé durant ma première année pour l’eurodéputé François Alfonsi durant six mois en tant que stagiaire assistante parlementaire. Je suivais les commissions et les plénières avec ses assistants permanents. Et puis j’ai commencé à écrire dans Arritti, c’est d’ailleurs comme cela que l’occasion du film s’est présentée puisque c’est en écrivant un article sur « Enquête sur un scandale d’État », le dernier film de Thierry de Peretti, lorsque je suis allée le voir en salle à Paris avec un ami, celui-ci m’a parlé deux mois plus tard du casting sauvage qui était dirigé par Julie Allione au sujet du prochain film.

 

Comment as-tu vécu l’expérience au Parlement européen ?

J’y suis arrivée, j’avais 18 ans, et je n’avais absolument aucune connaissance. J’ai appris beaucoup de choses. C’était super de pouvoir être sur le terrain et de changer l’apprentissage de l’école, des études, par la pratique d’un stage. Je trouvais ça beaucoup plus intéressant, ça permet d’apprendre plus vite et d’apprendre beaucoup. J’ai grandi. Ça aide pour les langues, ça permet aussi de comprendre ce qu’il se passe en Europe, comme le Fit for 55* qui sont de gros dossiers qu’aujourd’hui j’aborde en Sciences Politiques, ce qui m’aide dans mes cours, et au-delà de ça, au niveau de mon engagement personnel. C’est à ce moment-là que les choses se sont consolidées pour moi aussi.

 

Avec ton père, tu as baigné dans un monde politique engagé…

Oui, j’ai grandi dans un univers politique. Dès mes 12 ans, j’allais déjà dans des manifestations avec papa, je rencontrais Edmond souvent. Vers mes 15-16 ans, j’ai eu l’occasion de travailler sur une campagne municipale, dans l’équipe de Jean André Miniconi. J’étais dans la commission santé-social et c’était hyper intéressant. Ensuite, j’ai fondé une association caritative qui s’appelle SSP, Sous le seuil de pauvreté, et qui vient en aide aux plus défavorisés. Elle existe toujours mais est un peu inactive en ce moment. Au-delà d’aider ces personnes, je voulais sensibiliser les jeunes à cette même cause, parce que je ne supportais pas d’entendre ce que certains pouvaient dire dans la cour du lycée, de l’ordre du « ils n’ont qu’à traverser la rue »,la phrase de Macron devenue célèbre, ou encore « donner de l’argent à ces gens c’est pour s’acheter de l’alcool », etc. Il y a quelque chose qui manquait dans la sensibilité de ma génération à la pauvreté, et j’avais envie d’apporter autre chose.

 

Ça a fonctionné ?

Oui puisqu’on a réussi à avoir une bonne trentaine ou quarantaine de bénévoles, ce qui était vraiment pas mal à cette époque. C’était vraiment super.

Après, j’ai participé aussi aux élections dans l’enceinte du lycée, où j’étais représentante au Conseil académique régional. J’étais donc engagée bien avant mon expérience au parlement, ce qui n’a fait que confirmer mon envie de m’impliquer pour la Corse.

 

Comment se présente l’occasion de tourner au cinéma ?

Ça vient par hasard, à la suite de l’article d’Arritti, après avoir vu le film de Thierry de Peretti, un ami m’informe du casting de son prochain film et me lance un pari. J’ai d’abord relevé le pari pour m’amuser. Et puis je me suis retrouvée à faire des castings avec Julie Allione et j’ai été assez étonnée de l’engagement qu’elle essayait de mettre en exergue, ce qu’elle voulait toucher du doigt c’était l’engagement de la jeunesse corse. Ça m’a plu et forcément j’ai continué. Le premier tour c’était des questionnements sur ce qu’il se passait en Corse, l’agression et la mort d’Yvan, le dernier communiqué du FLNC… J’ai été assez frappée de toutes ces interrogations que je ne pensais pas de rigueur pour un film. Au fur et à mesure des tours de casting, je me suis rendue compte que ce film était éminemment politique et engagé. Je me suis vraiment intéressée à la suite.

 

Quel est le thème du film ?

C’est l’histoire d’une photographe dans les années 60 en Corse, qui va évoluer à travers les années romantiques et les années de plomb. Elle va partir, devenir reporter de guerre et revenir en Corse. C’est un peu une étude du nationalisme, un regard féminin sur ce qu’était la Corse dans ces années-là et sur la complexité d’appréhension du combat nationaliste pour toute une tranche de la population qu’on n’a pas l’habitude d’entendre, en tout cas sur ces sujets-là : les femmes.

L’histoire est tirée du livre de Jérôme Ferrari « À son image ». C’est une adaptation plutôt fidèle, mais différente. Ça reste une fiction y compris par rapport au livre, parce que dans la façon dont ont travaillé Thierry, Julie et toute l’équipe, l’idée était de créer un film avec des gens et de raconter ce qu’eux aussi ont à raconter. En fait, dans le casting, les rôles principaux, qui sont les amis d’Antonia que j’interprète, sont tous des jeunes engagés, des militants qui ont des choses à dire. Et c’est en cela que le film est différent du bouquin parce qu’il est habité par d’autres choses que les personnages tels qu’ils sont décrits par Jérôme Ferrari.

 

Et de ce pari un peu « macagna », tu te retrouves donc à jouer le premier rôle ! Comment vis-tu cette expérience ?

C’est au fur et à mesure des tours de casting que mon rôle s’est décidé. Pour moi c’était une super expérience et je l’ai plutôt très bien vécue, puisque j’ai compris et aimé la façon dont eux travaillaient et traitaient ces sujets. Je ne sais pas ce que donnera le film mais en tous les cas nous, le message que l’on a tous essayé de faire passer, on l’a fait aussi dans un esprit militant. J’ai l’impression que c’est un esprit que se perd un peu aujourd’hui, on sort un peu du militantisme pour rentrer dans de la politique politicienne.

 

On sent un peu d’amertume par rapport à ce qu’est le combat aujourd’hui… pourquoi ?

Je pense, avec du recul, que dans la désunion il sera très complexe d’avancer. Le constat actuel est relativement inquiétant et j’espère un éveil de la part de la jeunesse, mais aussi de la part de ceux qui le sont moins.

 

Tu penses que la jeunesse aujourd’hui est désabusée ?

Je pense qu’elle a la volonté de marquer elle aussi l’histoire, malgré cela il y a beaucoup de jeunes qui se désintéressent et prennent de la distance avec les différents partis ou mouvements.

Mais c’est difficile à dire, parce qu’on observe la montée d’un certain militantisme très à droite qui est aux antipodes de ce qu’est le nationalisme, ou du moins de ce que moi j’appelle le nationalisme. Il est très complexe de répondre à cette question

 

C’est quoi ton nationalisme à toi ?

Ce serait déjà un nationalisme qui n’est pas ethnique pour commencer. Et un nationalisme qui est plutôt à gauche, surtout sur des sujets sociaux et sociétaux, qui veut la sauvegarde du peuple corse et qui demande la vie de sa culture, de sa terre. Qui est évidemment écologique. Et aussi un nationalisme qui se doit d’être uni ou du moins consensuel. Il ne faut pas oublier que l’on a une cause commune à la base. La cause commune c’est la Corse, il faut garder en tête les fondamentaux, ne pas s’en éloigner. Or j’entends certains discours sur l’autonomie qui est en train d’être négociée, quelle qu’elle soit, et bien qu’elle ne remplisse pas tous les critères qu’on aurait pu espérer d’elle, c’est un premier pas. Et quand j’entends certains nationalistes qui s’opposent à cette idée parce que ce ne sont pas eux qui la proposent, parce que ça n’est pas assez, j’ai vraiment l’impression qu’on s’éloigne de quelque chose. On perd de vue l’essentiel.

 

Parmi les jeunes avec qui tu discutes sur ces questions, tu ressens plutôt de l’espoir ou du désespoir ?

C’est partagé, mais malheureusement c’est vrai que j’ai rencontré ces derniers temps pas mal de jeunes qui ont du mal à y croire encore.

 

Dans les années 60, l’espoir c’était à Paris que les jeunes allaient le chercher…

Moi, j’ai de l’espoir. Il y a des jeunes qui ont de l’espoir. Toute la jeunesse n’est pas une et indivisible et ne forme pas un corps. Évidemment, il y a des gens qui n’en ont rien à faire. Je peux le comprendre. Mais il y a aussi une jeunesse qui veut construire. Heureusement. Après, la question c’est à quel point le paysage politique d’aujourd’hui imprègne et influence la jeunesse et comment ça se retranscrira plus tard.

 

Jouer au cinéma est-ce pour toi aussi une manière de faire passer ton message, dans ton rôle par exemple ? Comment as-tu vécu l’expérience par rapport à tout cet engagement et cette attente que tu as vis-à-vis de la Corse ?

Le message du rôle, c’est plutôt un message qui est féministe. Ça n’est pas un message directement nationaliste. J’interprète un personnage auquel je peux ressembler sur certains aspects mais pas nécessairement sur tout, il s’agit d’une interprétation. Mais le message qui passera, je l’espère, est un message éminemment féministe pour moi. C’est l’histoire d’une femme dans ces années-là, dans lesquelles on ne parle en général que des hommes, qui traversent tout ça et qui est en contact avec le monde militant, mais qui ne le traverse pas elle-même.

 

Et ce message féministe tu le ressens toi aussi comme un besoin de nos jours ?

Évidemment. On a beaucoup avancé sur ce point, c’est une très bonne chose, mais il y a encore énormément de combats à mener et l’idée c’est de libérer la parole des femmes au maximum. •

 

* Plan d’action de l’Union européenne pour la réduction des gaz à effet de serre.